— Maintenant, réveille-toi, Tomis, et sors. Ouvre les yeux.
— Je suis jeune à nouveau.
— Le renouvellement ne fait que commencer.
J’étais incapable de bouger. Des assistants me soulevèrent, m’emmaillotèrent dans des linges absorbants, me placèrent sur un brancard roulant et me conduisirent jusqu’à un bassin beaucoup plus grand où baignaient des douzaines de gens, chacun isolé dans son univers intérieur. Leurs crânes glabres étaient garnis d’électrodes, des bandes adhésives roses cachaient leurs yeux, ils avaient les mains paisiblement jointes sur la poitrine. J’entrai dans cette piscine ; là, plus d’illusions, rien qu’un long sommeil sans rêves.
Cette fois, ce fut le bruit d’un ressac impétueux qui me réveilla. J’étais entraîné, les pieds en avant, le long d’un étroit conduit débouchant dans un bac scellé où l’on ne respirait que des liquides. J’y demeurai un certain temps — un peu plus d’une minute, un peu moins d’un siècle — tandis que mon âme se dépouillait, couche par couche, de ses péchés. C’était long et éprouvant. Les Chirurgiens, les mains glissées dans des gants contrôlant les minuscules couteaux écorcheurs, opéraient à distance. Infatigables, les petites lames dépiautaient, élaguaient mon âme de ses impuretés et de ses afflictions, de la jalousie et de la colère, de la cupidité, de la concupiscence, de l’impatience.
Quand ce fut terminé, on ouvrit le couvercle du bac et on me repêcha. Je ne tenais pas debout. On fixa des instruments de massage à mes membres ankylosés pour rendre leur souplesse à mes muscles. Alors, je pus marcher. Mon corps nu était vigoureux et ma chair était drue. Talmit s’approcha et lança en l’air une poignée de poussière-miroir pour que je pusse me voir. Quand ces particules se furent amalgamées, j’examinai mon reflet.
— Non, protestai-je. Le visage ne va pas. Je n’étais pas comme cela. Mon nez était plus acéré, mes lèvres n’étaient pas aussi pleines, mes cheveux pas aussi noirs…
— Nous nous sommes basés sur les documents de la confrérie des Guetteurs, Tomis. Tu ressembles plus à ton ancien moi que ta mémoire ne peut s’en rendre compte.
— Est-ce possible ?
— Si tu préfères, nous pouvons te remodeler à ton idée. Mais ce serait bien frivole et prendrait beaucoup de temps.
— Non. Cela n’a pas d’importance.
Il en convint et m’informa que je ne quitterais pas la maison du renouvellement avant d’être parfaitement adapté à mon nouveau moi. On me donna le costume neutre d’un hors-confrérie puisque j’étais maintenant sans affiliation. En me renouvelant, j’avais automatiquement perdu ma qualité de Pèlerin. Il ne me restait plus qu’à choisir une confrérie qui m’accepterait lorsque je sortirais.
— Combien de temps a duré mon renouvellement ? demandai-je à Talmit tout en m’habillant.
— Tu es arrivé en été et nous sommes en hiver. Nous ne travaillons pas vite.
— Et comment va Olmayne ?
— Nous avons échoué avec elle.
— Je ne comprends pas.
— Veux-tu la voir ?
— Oui.
Je pensais qu’il me conduirait à la cellule d’Olmayne mais non : ce fut vers son bac qu’il me guida. Je gravis une rampe menant au couvercle clos. Le Réjuvant me désigna une sorte de lunette faite d’une matière fibreuse dont béait fixement l’œil unique. Je regardai dedans et vis Olmayne. Ou, plus exactement, on me demandait de croire que c’était effectivement Olmayne que je voyais. Une fillette nue d’environ onze ans, lisse de peau et plate de poitrine, était roulée en boule au fond du bac, les genoux ramenés contre le ventre, le pouce dans la bouche. Sur le moment, je ne compris pas. Mais l’enfant bougea et je reconnus sous forme embryonnaire les traits de la royale Olmayne que j’avais connue : la bouche large, le menton accusé, les pommettes effilées et saillantes. Abasourdi et horrifié, je m’exclamai.
— Qu’est-ce que cela veut dire ?
Talmit me répondit :
— Quand l’âme est trop souillée, il faut creuser profond pour la nettoyer. Ton amie Olmayne s’est révélée un cas difficile. Nous n’aurions pas dû essayer avec elle mais elle a tellement insisté… Et certaines indications permettaient d’espérer que nous réussirions. Comme tu vois, ces indications étaient erronées.
— Mais que lui est-il arrivé ?
— Le renouvellement est entré dans le stade irréversible avant que nous ayons pu éliminer les poisons.
— Vous êtes allés trop loin ? Vous l’avez trop rajeunie ?
— Comme tu peux t’en rendre compte.
— Qu’allez-vous faire ? Pourquoi ne la sortez-vous pas de la et ne la laissez-vous pas se remettre à grandir ?
— Tu devrais écouter plus attentivement, Tomis. Je t’ai dit que le renouvellement était irréversible.
— Irréversible ?
— Elle se dilue dans les rêves de l’enfance. Chaque jour qui passe, elle perd quelques années de plus. Son horloge intérieure est devenue folle. Son corps rapetisse, son cerveau devient de plus en plus lisse. Bientôt, elle aura l’âge de la petite enfance. Elle ne se réveillera jamais.
— Et à la fin… (Je me détournai.) Que se passe-t-il ? La disjonction d’un spermatozoïde et d’un ovule dans le bac ?
— La régression n’ira pas aussi loin. Elle mourra à l’état de nourrisson. C’est un cas fréquent.
— Elle me disait que le renouvellement présentait des risques.