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— Des Elfons ! balbutiai-je. Mais les Elfons sont de par la loi hors de toute confrérie ! Comment une confrérie pourrait-elle recruter chez eux ?

— C’est la confrérie des Rédempteurs, Tomis. Les Elfons eux-mêmes peuvent obtenir leur rédemption.

— Oui, même les Elfons, murmurai-je, dompté. Mais comme il est singulier de penser qu’une pareille confrérie existe.

— Traiterais-tu par le mépris une confrérie ouverte aux Elfons ?

— Je trouve que c’est difficile à comprendre.

— Tu comprendras quand le moment sera venu.

— C’est-à-dire ?

— Le jour où tu quitteras cette maison.

Ce jour arriva bientôt. Avluela vint me chercher et je plongeai non sans hésitation dans le printemps de Jorslem pour terminer les rites du renouvellement. Suivant les instructions que lui avait données Talmit, elle me conduisit dans tous les lieux sacrés de la cité afin que je fasse mes dévotions dans chaque sanctuaire. Après que je me fus agenouillé devant le mur des hébroux et le dôme doré des mislams, nous traversâmes le marché et gagnâmes la basse ville pour visiter la bâtisse grisâtre et inesthétique qui s’élève à l’endroit où, dit-on, mourut le dieu des christiens. Après être passé par la source de la connaissance et la fontaine de la Volonté, nous nous dirigeâmes vers le siège de la confrérie des Pèlerins où je rendis mon masque, ma robe et ma pierre d’étoile, et, de là, nous rejoignîmes le mur d’enceinte de la vieille ville. A chacune de ces étapes, je m’étais voué à la Volonté avec des mots qu’il me tardait de prononcer depuis longtemps. Les Pèlerins et les simples habitants de Jorslem se rassemblaient à distance respectueuse. Ils savaient que je venais d’être renouvelé et espéraient que je ne sais quelle émanation de mon jeune corps tout neuf leur porterait bonheur. Enfin, j’arrivai au bout de mes obligations. J’étais un homme libre et en parfaite santé, capable de choisir, désormais, le genre de vie qui me conviendrait.

— Est-ce que tu viendras avec moi chez les Rédempteurs ? me demanda Avluela.

— Où les trouverons-nous ? A Jorslem ?

— Oui, à Jorslem. Ils se réuniront dans une heure pour t’accueillir dans leurs rangs.

Elle sortit de dessous sa tunique un objet brillant que je reconnus avec stupéfaction : c’était une pierre d’étoile.

— Que fais-tu avec cela ? m’écriai-je. Seuls les Pèlerins…

— Mets ta main sur la mienne.

Elle me tendait son poing qui étreignait la pierre.

J’obéis. Son visage étiré se crispa sous l’effet de la concentration. Enfin, elle se détendit et rangea la pierre d’étoile.

— Avluela, qu’est-ce que…

— J’ai averti la confrérie qu’ils peuvent se rassembler puisque tu es prêt à assister à la réunion.

— Comment t’es-tu procuré cette pierre ?

— Viens avec moi. Oh ! Tomis, si seulement nous pouvions y aller en volant ! Mais ce n’est pas loin. A deux pas de la maison du renouvellement. Viens, Tomis, viens !

12

Il n’y avait pas de lumière. Avluela me guida dans les ténèbres souterraines et me dit que j’étais au siège de la confrérie des Rédempteurs. « Ne bouge pas », me lança-t-elle avant de me laisser.

Je sentais la présence de gens autour de moi mais n’entendais ni ne voyais rien.

On poussa quelque chose devant moi.

— Pose les mains là-dessus, m’ordonna la voix d’Avluela. Que sens-tu ?

C’était un petit coffret carré monté sur un cadre métallique — du moins eus-je cette impression. J’effleurai des cadrans et des leviers familiers. Mes doigts tâtonnants trouvèrent les poignées saillant sur la face supérieure. D’un seul coup, ce fut comme si mon renouvellement avait été aboli, comme si la Terre n’avait jamais été conquise : j’étais à nouveau un Guetteur car il ne pouvait s’agir d’autre chose que d’un équipement de Vigilance !

— Ce n’est pas le même coffre que celui que j’avais autrefois mais il n’est pas très différent, dis-je.

— As-tu oublié tes talents, Tomis ?

— Je pense qu’ils sont toujours là, même maintenant.

— Eh bien, sers-toi de cet instrument, m’enjoignit Avluela. Fais une nouvelle fois Vigile et dis-moi ce que tu vois.

Je retrouvai mes anciennes attitudes avec joie et sans peine. Promptement, j’accomplis les rites préliminaires, purgeai mon esprit du doute et de ses résistances. La mise en Vigilance s’opéra avec une surprenante aisance. Cela ne m’était pas arrivé depuis cette nuit qui avait vu la défaite de la Terre et pourtant il me semblait que c’était plus rapide que dans le temps.

J’agrippai les poignées. Elles étaient étranges. Au lieu des prises terminales qui m’étaient familières, elles comportaient chacune un objet froid et dur serti à leur extrémité. Peut-être une sorte de gemme, voire une pierre d’étoile. Mes mains se refermèrent sur les fraîches masses jumelles. J’éprouvai alors une appréhension fugitive, même un sentiment de peur à l’état brut mais recouvrai vite ma nécessaire sérénité. Mon âme se déversa dans l’appareil et je commençai à vigiler.

Je ne m’élançai pas à la rencontre des étoiles comme autrefois. Je percevais, certes, mais ma perception était limitée à l’environnement immédiat de la salle où je me trouvais. Les yeux fermés, courbé en deux dans ma transe, je sondai et entrai d’abord en contact avec Avluela. Elle était près de moi, presque contre moi. Je la voyais et ses yeux scintillaient.

« Je t’aime. »

« Oui, Tomis. Et nous resterons toujours ensemble. »

« Jamais je ne me suis senti aussi proche d’un être. »

« Dans cette confrérie, nous sommes tous proches les uns des autres, tout le temps. Nous sommes les Rédempteurs, Tomis. Nous sommes quelque chose de nouveau. Il n’y a jamais rien eu de semblable sur Terre auparavant. »

« Comment se fait-il que je te parle, Avluela ? »

« Ton esprit s’adresse au mien par l’intermédiaire de la machine. Et, un jour, la machine ne sera plus indispensable. »

« Lorsque nous volerons de compagnie ? »

« Bien avant, Tomis. »

Les pierres d’étoile s’échauffaient dans mes mains. Maintenant, je distinguais nettement les instruments : c’était un coffret de Guetteur mais auquel certaines modifications avaient été apportées, dont les pierres fixées aux poignées. Et, derrière Avluela, j’apercevais des visages. Certains que je connaissais. L’austère silhouette du Réjuvant Talmit était à ma gauche. Un peu plus loin se tenait le Chirurgien avec qui j’étais entré à Jorslem. Bernalt l’Elfon était debout à côté de lui. Je savais enfin pour quelle raison ces deux hommes avaient quitté Nayrub pour rallier la cité sainte. Les autres m’étaient inconnus mais il y avait deux Volants, un Souvenant qui étreignait son écharpe, une Servante, d’autres encore. Et si je les voyais, c’était à cause d’une lumière intérieure car la salle était toujours aussi obscure qu’à mon arrivée. Et non seulement je les voyais tous mais encore je les touchais en esprit.

Le premier esprit que je frôlai fut celui de Bernalt. Je l’effleurai sans difficulté mais avec crainte, me rétractai, le touchai derechef. Il m’accueillit avec joie. Je compris à ce moment que si je parvenais à considérer un Elfon comme mon frère, je pourrais — et la Terre le pourrait aussi — obtenir la rédemption tant cherchée. Car comment réussirions-nous à mettre fin à notre châtiment si nous n’étions pas véritablement un seul peuple ?