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Je cogne encore sur le pauvre visage informe du gars Dickson.

La sueur plaque mes crins sur ma tempe.

— Tu vas parler, dis, fumelar ! Tu vas te foutre à table avant que je t’aie transformé en ratatouille niçoise !

Mais tout ce que je récolte entre deux gémissements, c’est une insulte bien sentie. Dickson me dit combien il déplore que ma mère m’ait mis au monde ! Il suggère qu’une impécuniosité chronique avait privé ma dabuche d’une installation sanitaire !

Vous voyez à peu près la jactance…

Je m’arrête de le tabasser. Décidément je n’en tirerai rien…

Comme je m’essuie le front d’un revers de manche, je perçois une espèce de déchirure puis, aussitôt, un trait de feu me zèbre l’avant-bras.

Je bondis… Cette carne de Dickson avait un rasoir dans sa poche… Il est parvenu à le récupérer et il s’en est servi pour éventrer son sac et me bondir sur le lardeuss à la première occase. Nature, je me croyais peinard avec sa pomme, vu sa position de saucisson en croûte ! Il ne faut jamais perdre de vue un adversaire…

Tout cela, je me le bonnis en moins de temps qu’il n’en faut au ministre des Finances pour voter un impôt nouveau ! Il s’agit de faire fissa si je veux conserver ma carotide en état. Les manieurs de razif, personnellement j’aime pas ça… C’est une arme de dégonflé ! Pour se promener avec ça sur soi, faut avoir une mentalité d’égorgeur… ou de garçon coiffeur !

Dickson m’a culbuté d’une ruée sauvage, un rédacteur sportif écrirait qu’il impose sa loi, qu’il prend le meilleur sur moi ou encore qu’il bouscule la défense adverse[7]. Ça chauffe pour San-Antonio, les mecs ! Du train où ça va, on va me retrouver débité en tranches… C’est ce qui se fait de plus pratique pour faire voyager quelqu’un dans une mallette avion !

Je me refous en boule (au sens propre du terme) et je roule au creux du fossé. L’autre truffe me suit… J’ai lâché ma loupiote et je vois la lame sanglante de son rasoir scintiller à la clarté de la calbombe céleste.

Heureusement j’ai toujours ma gomme à effacer le sourire. Je braque le canon sur Dickson.

— Stoppe, Figaro, ou je te pratique des orifices supplémentaires !

Autant jouer du Brahms à Popaul-le-sourdingue ! Il continue de me charger, fou de haine. Je recule encore, mais le talus me bloque, la lame s’avance sur moi. Alors, mande pardon, docteur, mais je perds le contrôle économique de mes actes, et mon antagoniste perd son acte de naissance. Pif, paf, pouf ! je lui envoie la fumée ! Il morfle le blaud dans le baquet, pousse un cri, tousse un brin comme le gars qui n’a jamais entendu parler des pastilles Valda, et s’écroule dans l’herbe.

Je me penche sur lui. Mon calibre a fait du travail sérieux. Dickson me paraît aussi mort que l’article de fond du Figaro. Je palpe sa poitrine : plus rien…

Alors j’empoche ma rapière et je me gratte le crâne, sérieusement emmouscaillé par la tournure des événements. On parlait gentiment, et puis voilà que les choses se sont gâtées. Manque de bol ! Qu’est-ce que je vais faire, maintenant, avec cette viande froide sur les bras ?

Il va y avoir du rififi dans le patelin, au petit jour… Enquête à l’hôtel, interrogatoire, etc. Sans compter que cette patate de Dickson est cannée sans m’avoir affranchi le moins du monde. Mon ignorance est intégrale…

Je lui pique son larfeuille et je jette un coup d’œil sur le contenu. Je trouve des fafs amerlocks au nom de Dickson, comme sur son passeport. Il y a aussi du fric… Je glisse celui-ci dans ma poche. C’est pas que j’ai l’habitude de détrousser les morts, mais j’aimerais assez que les condés italiens concluent au crime crapuleux. Un touriste ronflait dans son sac de couchage. Un truand passait… Il a voulu lui sucrer son pèze. L’autre n’a pas été d’accord… Patacaisse ! Oui, c’est la version idéale… Tous les clodos du secteur — et il y en a des paquets, faites-moi confiance — vont se faire ramoner l’alibi par ces messieurs du Guet ! Tant pis…

Moi, je vais farfouiller un peu dans la bagnole… Je ne trouve absolument rien d’intéressant. Vraisemblablement il s’agit d’une tire de location. Rentrons, les soirées sont fraîches.

Je grimpe dans ma brouette et après une manœuvre rapide, je reprends le chemin de l’hôtel…

Quatre heures du mat sonnent au clocher de ma montre-bracelet lorsque je franchis le porche du K2. Je remise ma bagnole et je rentre à pas de loup, comme toujours. Je ne tiens pas à signaler mon arrivée. Je me garde bien de repousser le verrou de la porte, car ça indiquerait que quelqu’un de l’intérieur a verrouillé après le caltage de Dickson…

Je regagne ma chambre, un peu vanné par ces émotions… Equipé en robe de chambre, les gars ! Elle a bonne mine, ma tenue de Casanova, je vous le jure ! Elle est froissée, tachée de boue, déchirée… La manche droite est presque en deux. Le sang l’a collée à ma peau et je passe une minute de jouissance à me la décoller de sur le lard.

Cela fait, je ne peux réprimer une très vilaine grimace car la plaie est plutôt moche ! Il n’y est pas allé avec le dos… du rasoir, Dickson ! La viande est ouverte sur le côté du bras, depuis le coude au poignet… Ça pisse dru… Pourvu que je n’aie pas laissé de traces sur mon chemin !

Du coup, les matuches n’auraient plus qu’à jouer au Petit Poucet, et je serais fabriqué vilain…

Je fais couler le robico d’eau chaude et je nettoie la plaie en me retenant de geindre parce que c’est un truc qui incite à chanter le grand air de l’Acné ! Voilà-t-il pas qu’on frappe doucement à ma porte. Charmant ! J’hésite… J’ai le feu dans la poche de ma robe de chambre… Je le pose à l’extérieur de la fenêtre, puis je vais ouvrir. C’est ma brave Félicie… Elle est en limace de noye avec un fichu sur les épaules et son air inquiet des grands days !

— Antoine, fait-elle, que se passe-t-il ?… Tu…

Elle ouvre de grands carreaux en avisant mon lavabo rouge de sang. Je lui mets la main sur les lèvres et la force à entrer.

— Ne dis rien, m’man…

— Tu es blessé ?

— Une simple coupure…

— Mais… Dans quel état es-tu ? Je t’ai entendu sortir, je ne pouvais pas dormir… Tu sais, lorsqu’il m’arrive de faire la sieste l’après-midi, la nuit qui suit…

— Je sais…

— J’ai cru que tu étais allé faire une promenade au clair de lune…

— Y a de ça…

— Que t’est-il arrivé, on t’a attaqué ?

— Oui !

— C’est affreux ! Montre un peu cette… Seigneur Jésus ! C’est ça que tu appelles une simple coupure !

— Ne te tracasse pas. Un coup de rasoir…

— Mais il faut porter plainte ! Appeler un médecin…

— Tais-toi, je t’en conjure, m’man… J’ai refroidi le type qui m’a fait ça !

Elle est pétrifiée.

— Hein ?

— Oui. Je lui ai cloqué trois prunes dans le buffet. Je crois qu’il est un peu mort sur les bords, à c’t’heure.

Elle est toujours disposée à me voter, les yeux fermés, les circonstances atténuantes.

— C’est de la légitime défense, cela ! Dieu merci, les lois…

— C’était de la légitime défense de sa part, m’man… Ecoute, faut que je te fasse un aveu.

Ça me fend le cœur de la décevoir, mais je lui bonnis tout le pacson, comme quoi je suis en mission et ne l’ai amenée avec moi que pour me servir de façade. Vous croyez qu’elle est déçue ? Pas du tout ! Ce qu’elle voit dans tout ça, c’est que son cher bambin a effacé un sale coup…

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7

Un grand critique (il mesure 1,86 m) me le disait pas plus tard que l'année d'avant : « San-Antonio, votre esprit vous mènera tout droit à l'Académie de Billard de l'Avenue de Wagram. » En attendant, à dix voix près j'ai raté le Goncourt !