Elle devient énergique, comme toutes les femelles de la création lorsque leur progéniture est en danger…
— Il faut de l’alcool, Antoine…
— J’ai un flask de scotch, m’man… Ça titre 43 degrés !
— Donne…
Je pique la boutanche dans ma valoche… Félicie se dégrouille de dévisser la capsule et elle arrose ma plaie avec le contenu…
Ensuite elle va chercher une de ses chemises de toile, la déchire en lanières et me fait un pansement énergique.
— Il faudra surveiller ça de près pour le cas où ça s’infecterait. Que vas-tu faire, maintenant ?
Sa question me colle le pif dans la réalité emmouscaillante.
Oui, que vais-je faire ? Le 28 est écoulé. Il s’est produit une chose absolument différente de celle que nous escomptions… Le seul type douteux que j’ai identifié dans l’hôtel est mort… par mes soins ; alors ?
Je ne mets pas longtemps à décider. Alors, il reste encore sa femme. Et faut en profiter, vu que ça ne durera pas longtemps. D’une minute à l’autre, on va découvrir ma victime… Avant midi on saura qu’elle était descendue au K2 et les archers vont se pointer.
Ce que deviendra Mme veuve Dickson après ça, nul ne peut le dire. Conclusion : il faut que je l’interviewe avant tout le monde. Félicie emporte ma robe de chambre afin de la remettre un peu en état. Je change de pyjama, me donne un coup de peigne, vide ce qui reste de scotch dans mon gosier, embrasse Félicie en lui recommandant de se coucher. Puis je récupère mon feu sur l’appui de la fenêtre et je me dirige enfin vers la chambre de Mme Dickson.
Une fois devant la lourde, je tends l’oreille… Je perçois le bruit régulier d’une respiration. Elle dort, la veuve… Confiante.
Je voudrais bien l’éveiller sans ameuter l’hôtel… J’espère qu’elle n’a pas le sommeil en béton armé !
Après une hésitation de courte durée, je me décide à commencer une séance de grattouillette à sa lourde car rien ne s’entend plus qu’un heurt classique avec le doigt replié.
Mais c’est macache ! Elle continue d’en écraser.
Alors, que voulez-vous, j’ai recours à mon copain le petit sésame… L’outil qui ouvre tout, sauf l’appétit !
CHAPITRE VII
C’est toujours émouvant de pénétrer de nuit dans la chambre de quelqu’un, surtout lorsque ce quelqu’un est une des plus jolies poulettes qu’il m’ait été donné de rencontrer.
C’est le bruit de la porte en se refermant qui la tire des toiles. Elle sursaute et murmure :
— C’est déjà toi, Paul ?
Puis elle donne la lumière et me considère exactement comme si j’étais un pélican en maillot de bain.
— Vous ! dit-elle enfin.
Je m’approche, la bouche fleurie d’un sourire ensorceleur.
— En voilà des façons, attaque la mousmé, comment êtes-vous entré ?
— On m’appelle le passe-muraille dans l’intimité… Les jolies dames me résistent quelquefois, mais jamais leur porte.
— En attendant, filez d’ici…
— Doucement, ma jolie… Je ne viens pas pour abuser de vous, mais seulement de vos instants ! Et puis aussi…
Je la regarde. Je lis une violente colère dans ses yeux, également un brin de curiosité.
Elle fait d’une voix oppressée :
— Et puis aussi ?
— Vous annoncer une mauvaise nouvelle.
— Laquelle ?
— Dickson est mort !
Elle reste immobile, un peu interdite par cette déclaration. Elle ne sait pas ce qu’elle doit penser de mon intrusion. Des bribes de sommeil traînent encore sur la réalité.
— Que racontez-vous ?
— Que Dickson, ou Paul, si vous préférez, est mort à quelques kilomètres d’ici, sur la route de Ravenne. Ça lui est arrivé peu de temps après avoir remis la petite à deux gars en bagnole… Vous êtes au courant !
Ah ! mes aïeux ! Jamais je n’ai vu un visage se décomposer aussi vite et aussi totalement.
— Paul ! balbutie-t-elle. Paul est…
— Mort, oui, ma bonne dame. Il a pris trois balles de ce pétard dans la poitrine et c’est un truc dur à digérer lorsqu’il est administré à bout portant !
Elle bondit :
— Vous l’avez tué ?
— Chut, inutile de réveiller l’hôtel. Je l’ai buté pour sauver ma peau, il est probable que ce décès passera pour le meurtre d’un rôdeur. Tenez, voilà le fric qu’il avait sur lui… Je ne mange pas du pain de mort !
Je jette la liasse de gros bifs sur le lit. Elle regarde les feuillets rosâtres d’un œil vide.
— Vous avez intérêt à ce que cette version soit accréditée, mon petit, parce qu’autrement ça se gâterait pour vous. Si la police en découvre trop, vous serez impliquée dans une histoire d’espionnage, de contrebande et peut-être aussi…
Là, je la regarde, saisi d’une inspiration formide, comme il m’en vient assez fréquemment.
— Et aussi de rapt d’enfant, chère madame Dickson…
— Qui êtes-vous ? demande-t-elle.
— Commissaire San-Antonio, des Services secrets français.
Ça lui file un traczir monumental. Elle doit en avoir une pleine lessiveuse sur la conscience.
— Le propre d’un agent secret, dis-je, c’est d’être non seulement secret, mais discret ! Pour que je puisse l’être, il faut que je sois au courant de tout, en détail. C’est pourquoi vous allez parler. Votre mari est mort pour ne l’avoir pas fait, j’espère que vous aimez assez l’existence pour ne pas charger ma conscience d’un nouveau meurtre ?
Tout en parlant, je joue avec mon pétard.
— Un accident est vite arrivé, ma belle. Vous prenez une olive dans le chignon, je vous colle l’arme dans les pattes et je sors en appelant à l’aide. On pensera que vous avez tué votre mari…
Je hausse les épaules.
— J’ai l’air, comme ça, de vous inventer une histoire policière, mon lapin… Et une mauvaise, soit dit entre nous et un plat de ravioli, pourtant elle marcherait à tous les coups.
La belle rousse, faut que je vous affranchisse, manière de vous faire sécréter les glandes, porte une limace de noye transparente dans les mauves printemps. On a l’impression de la regarder à travers un nuage. Dans son émotion, elle a paumé un sein et je louche un peu dessus…
— Que décidez-vous, beauté ? Vous l’ouvrez ou bien je continue de faire des malheurs ?
Elle hésite. Pour lui affirmer que ça n’est pas de la rigolade de carabin, j’y mets une mandale sur le museau. Elle en a la joue toute rouge.
— Excusez du peu, je suis pressé. J’espère que vous n’allez pas m’obliger à vous esquinter ?
Je l’espère d’autant plus vigoureusement que cette gifle m’a littéralement arraché l’avant-bras. Ma blessure a dû se rouvrir…
Ça me lance terriblement…
— Bon, si vous tardez encore, je vous chope par la taille et vous passe par la fenêtre… Vous commencez à me fatiguer, les Dickson’s partners, vu ?
La colère m’emporte… Je biche la chemise arachnéenne et la fends par le mitan. O vision fugitive ! Elle a beau se draper dans son drap de lit, la donzelle, j’ai pris mon billet de corbeille !
— Joue pas les fantômes, fillette, t’es beaucoup trop en chair pour ça !
Je m’assieds au bord du lit et je lui roule un patin à la soudard !
Sa surprise est telle — la mienne itou d’ailleurs —, qu’elle ne songe pas à se rebiffer. Petite cause grand effet, comme par enchantement, ce baiser suivant de très près mes sévices, lui déclenche une crise de nerfs. Elle se met à chialer comme le Niagara en appelant son Popaul… Elle rue, se débat, étouffe, couine, piaille, grogne, se trémousse… Je fonce au lavabo pour puiser un verre de flotte qu’elle prend en pleine poire… Ça la stoppe… Trois secondes plus tard, c’est une espèce de lamentable loque qui hoquette dans mes bras.