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— Allez, môme, lui fais-je doucement à l’oreille, cesse de jouer les Mata-Hari pour quartier pauvre, et dis-moi tout, ce sera plus fastoche. Je ne demande qu’à te tirer du bousin !

Elle a un mouvement d’assentiment.

Cette fois, mes petits, je tiens le bon bout avec cette greluse.

— Commençons par le commencement. Ton Dickson n’était pas amerlock, hein ?

— Non, il est français.

Elle n’arrive pas encore à parler de lui au passé, ça viendra, ça vient toujours. Ensuite, on se demande comment les disparus ont fait pour avoir été là…

— Son vrai nom ?

— Paul Sion !

Je tique.

— L’ennemi public ?

— Oui…

Nom d’une endive meunière, j’en apprends une chouette ! Sion était une des épées du mitan en France après la Libération. Hold-up, faux fafs, traite des blanches, il avait tout ça à son pedigree, plus quelques règlements de comptes tapageurs : un taulier descendu à Marseille en pleine Canebière, et deux autres autour de Pigalle sous le nez d’un gardien de la paix !

Et puis ç’a été tellement brûlé pour sa pomme qu’il a disparu… Le bruit courait qu’il s’était fait flanquer à la Seine par des amis avec son bloc de béton de cinquante kilos attaché au bide… Des charres !

Monsieur s’était gentiment installé en Afrique du Nord sous un passeport amerluche, m’explique sa nistoune, laquelle est anglaise.

Je profite de son état dépressif pour la questionner bien à fond et c’est ainsi que, par petits morceaux, je découvre le pot aux roses. Sion faisait partie de l’organisation AA1 depuis qu’il avait quitté la France.

Il était devenu le sous-fifre de Bucher, le grand patron de AA1, un ancien G.I. qui, ayant goûté de l’Europe, n’avait plus voulu retourner dans ses Etats. Ensemble, ils avaient réussi des coups fumants. Le dernier en date concernait l’achat à l’Angleterre d’une importante cargaison d’armes qui s’était effectuée par l’intermédiaire d’un petit pays d’Amérique centrale.

Pour des achats de cette importance, le processus était toujours identique. Les Affaires étrangères d’un minuscule pays passaient la commande et Bucher rachetait en sous-main. Il prenait directement possession de la marchandise qu’il livrait où bon lui semblait.

Pendant quelques années, tout avait bien boomé entre Sion et Bucher, et puis, récemment, les choses s’étaient gâtées. Sion n’avait pas le tempérament à jouer longtemps les seconds plans. Il avait décidé de se mettre à son compte en faisant un gros coup d’arnaque à son chef. Vous me suivez toujours ? Les ceuss qui seraient un peu paumés dans les méandres de ces explications n’auront qu’à échanger le présent ouvrage contre un abonnement à Rustica. O.K. ? Alors je poursuis…

Profitant d’un voyage aux Etats de Bucher, c’était l’ancien gangster qui avait négocié les transactions pour le dernier achat. Ensuite, il s’était mis en contact avec un gros mouvement terroriste arabe qu’il savait financé par des pontes solides du larfouillet. Il allait leur brader la camouse, et les Africains ne se tenaient déjà plus de joie devant cette aubaine, lorsque Bucher avait cru bon de jouer « Reviens-veux-tu ». Lui n’était pas d’accord pour solder ce lot de « Tout à cent francs » à ces clients-là. Il en avait dégauchi un meilleur prix autre part. La scission s’était alors produite entre les deux truands… Gros bidule, les gars ! Du Wagner chez Messieurs les Hommes, avec cymbales et dégustation de nez !

Bucher allait l’emporter… Sion, très emmouscaillé, voyait ses clilles de la ligue arabe lui tomber sur le pardingue. Pour s’en tirer, il avait fait un coup à sa manière : enlevé la fille de Bucher. Moyennant la forte pincée, il la refilerait aux Arabes qui, ensuite, n’avaient plus qu’à l’échanger contre la cargaison.

Parvenu à ce point du résumé, je dis à la pseudo Mme Dickson :

— Et c’était toi la nounou ?

— Oui… Les rebelles arabes avaient envoyé quelqu’un pour prendre livraison de la petite… Mais ce quelqu’un est mort dans un accident d’avion…

— Kazar ?

— Ah, vous savez…

— Comme tu vois, ma belle. Alors Sion a pris un nouveau rendez-vous avec ses fameux clients, n’est-ce pas ?

— Oui…

Je me gratte le bocal, perplexe… S’il y a une chose qui me défrise les poils des jambes, c’est bien un rapt d’enfant. Voyez-vous, bande de chétifs de la coiffe, pour moi, un môme c’est sacré. C’est un truc en dehors de la vie qu’on doit respecter plus que tout et qui, en aucun cas, ne saurait servir de monnaie d’échange, voire d’instrument de pression.

La pensée de cette pauvre gamine, trimbalée entre les Dickson et les Arabes, me contriste. Je suis d’autant plus inquiet sur son sort que je la vois mal partie avec ces derniers.

Je reviens à mes moutons, c’est-à-dire à ma brebis galeuse.

— Elle s’appelait comment, déjà, la gosse ?

— Carolyne…

Un instant, je la revois, courant sur la plage avec les petits macares de l’endroit. Lorsqu’elle va s’éveiller, tout à l’heure, elle poussera une drôle de grimace en voyant qu’elle a changé de proprio.

Bon, San-Antonio, ça va être à toi de jouer, mon fils… Et pas de fausse manœuvre, hein, mon chou ? Ou alors t’auras droit qu’à ton cercueil la foule vienne et prie !

— Où peut-on trouver Bucher ?

Elle ne répond pas.

J’éclate.

— Espèce de sauteuse à la manque, tu vas me le dire illico ou je mets ta jolie frime en compote ! T’as pas honte, dis, roulure, de prêter ta paluche à des combines aussi dégueulasses ?

Tout en parlant, je lui bourre la bouille de petits coups de poings très secs. Sa chouette portion devient une espèce de punching-ball vivant. Elle part de gauche à droite, d’avant en arrière, pétant contre le panneau du pieu.

— Vas-y, tordue ! Parle ou je t’écrabouille comme une araignée !

Elle pleurniche :

— Laissez-moi, vous me faites mal… Vous êtes un lâche…

— Et kidnapper une pauvre gosse, ça n’est pas de la lâcheté, des fois, hein ?

Une nouvelle mandale, mieux décernée que les précédentes, a enfin raison de sa résistance.

— Bucher est à Montreux, en Suisse… Il habite au Léman-Palace…

— T’es certaine ?

Je l’examine sous le nez pour voir si elle cherche à me carotter, mais je ne le pense pas.

— Parfait, ma fille… Je prends le tuyau pour bon. Mais écoute bien, si jamais tu m’as monté un turbin, je te retrouverai et alors tu pourras te commander un manteau toutes saisons chez le menuisier du coin ! En attendant, tiens fort ta langue, compris ?

Elle hoche du cigare.

Un peu flétrie de la toiture, la gamine ! Elle s’en souviendra de cette noye !

Je la quitte pour regagner enfin ma base… Une fatigue carabinée me cisaille le paletot. Le jour se lève sans bruit… Comme je n’ai rien de plus urgent à faire, je me glisse dans les toiles après avoir bu un grand verre d’eau. Demain, j’aviserai. En attendant, je dois récupérer.

Ma blessure me donne un peu de température… Pourvu qu’il n’y ait pas de complications de ce côté-là ! Parce que, franchement, sans être le fakir Duchnock, on peut prédire que je vais avoir besoin de mes deux bras dans les jours qui viennent !