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Il ne me reste plus qu’à attendre des contre-propositions qui éclaireront ma lanterne magique.

C’est encore une fois celui qui a du carat qui se manifeste.

— Dommage, fait-il, car elles n’ont pas varié : la petite et cinq cents millions !

Soulagé, je fais semblant de discuter.

— Huit cents et Carolyne !

Le gars a un rire qui, décidément, me bat les claouis.

— Allons, Bucher, vous savez bien que nous pourrions avoir la cargaison contre seulement l’enfant.

— Alors, pourquoi proposez-vous du fric ? gueulé-je. Hein ? Parce que vous savez que je suis un homme d’affaires avant tout, hein, espèce de…

— Restez poli ! implore l’autre.

Ça se déroule magnifiquement, suivant le plan prévu, comme disent les maréchaux en pleine retraite.

— J’ai dit huit cents, fais-je… Vous y gagnez près d’un milliard et demi…

— La vie de votre enfant ne vaut peut-être pas cela ? demande le même loustic.

Mon indignation n’est pas feinte :

— Espèce de…

— Ne vous répétez pas…

— C’est honteux d’employer de pareils arguments ! La vie privée d’un homme ne doit pas entrer en ligne de compte sur le terrain affaires !

— Ce sont des affaires très… importantes pour nous, monsieur Bucher.

— Pour moi aussi, figurez-vous !

— Alors acceptez nos conclusions…

J’ai une forte envie de dire Ji-go ! Mais je dois avant tout sauvegarder mon personnage.

— Non. Ces armes vous sont presque aussi précieuses que ma fille ! Qui peut vous céder d’un seul coup un pareil stock, hein ? Alors cessons de tergiverser… Vous devriez vous estimer heureux…

L’autre Arbi lève la main.

— Entendu, dit-il, huit cents millions et la fille.

— L’avez-vous bien traitée au moins ? Je vous préviens que si elle a subi le moindre sévisse…

— N’ayez aucune crainte… Elle vous sera restituée saine et sauve… si vous marchez droit !

— Employez un autre ton pour me parler, voulez-vous ?

Mon coup de saveur leur en impose plus que mes paroles.

— Comptez sur nous…

— Bon, tranche l’autre gars de la Ligue qui semble moins accommodant et beaucoup plus exigeant, alors comment procédons-nous ?

Je réfléchis…

— Je ferai venir la livraison par bateau dans le port de Gênes…

— Et ?

— Procurez-vous un rafiot susceptible d’assurer le transbordement.

— Ensuite ?

— Avant que le changement s’effectue, nous nous rencontrerons sur les quais. Vous serez tous les deux. Vous aurez ma fille à la main…

— Après ?

— La valise contenant l’argent également…

— Et puis ?

— Moi je serai accompagné d’une dame… Une vieille dame. Nous lui remettrons l’enfant et moi je vous indiquerai le nom du barlu, vous pigez ?

— Ensuite ?

— La vieille dame et ma fille partiront. Je donnerai des instructions pour que le déchargement soit opéré… Je serai avec vous et vous pourrez me descendre en cas de… heu… scepticisme de votre part…

Immuable, mon interlocuteur demande :

— Et puis ?

— Lorsqu’on aura achevé le transbordement, vous me remettrez la valise contenant le fric, après, bien entendu, que j’en aurai vérifié le contenu. Alors je quitterai le bord et… tout sera dit…

Les deux hommes se regardent. Leurs yeux sont résolument inexpressifs.

Celui qui paraît prendre les décisions, c’est-à-dire le plus jeune, déclare :

— Cela me paraît à peu près convenable !

Il me regarde et dit en riant quelque chose en anglais.

— Vous en êtes un autre, réponds-je, à tout hasard.

Re-marrage du gnard qui me prouve que j’ai encore mis dans le mille !

L’autre demande :

— Parfait, quand auront lieu les transactions ?

Je réfléchis… Un jour pour régler la situation ici… Un autre pour aller à Cervia… Un troisième pour gagner Genova…

— Après-demain, fais-je… Entendu ?

Ils approuvent.

— Parfait… Quelle heure ?

— Dix heures, comme aujourd’hui… Devant les docks, d’accord ?

— Oui…

— Je voulais aussi vous dire…

Leur physionomie devient attentive.

— Surtout ne cherchez pas à me duper… Ça ne vous porterait pas bonheur… Déjà votre façon d’agir me défrise un peu…

— Nous serons réguliers…

— Je l’espère… pour tout le monde. Ma réputation n’est plus à faire, n’est-il pas vrai ?

Ils ne soulignent pas la provocation voilée que contiennent ces paroles.

D’un commun accord, ou ce qui est mieux dit d’un accord commun, ils se lèvent.

— A… après-demain, dix heures, docks de Gênes, résume le plus jeune des « ligueurs »…

Je leur fais un signe d’acquiescement.

Ils vont à la porte… Je les escorte…

Cette fois, pas l’ombre — même voilée d’une erreur : les dés sont jetés. Je les ai un peu pipés, mais quand on est seul, il faut bien s’assurer une marge bénéficiaire, pas vrai ?

TROISIÈME PARTIE

CHAPITRE XIV

Je regarde s’éloigner les plénipotentiaires… A mon avis, jusque-là tout marche bien…

Lorsqu’ils sont sortis de mon champ visuel, je m’approche du téléphone posé sur une table basse du salon. Je chope l’annuaire afin d’y chercher le numéro du Léman-Palace… L’ayant déniché entre un gars qui s’appelle Lelong et une veuve Lemann, j’en compose fiévreusement le numéro…

Je leur balanstique mon numéro de chambre et un résumé de mon curriculum.

— Personne ne m’a demandé ce matin ?

Le préposé interpelle un collègue. Y a du blabla en suisse-allemand. Après quoi il me dit que « ce monsieur » s’est présenté vers les six heures du mat et qu’il est toujours là à poireauter dans le hall…

La constance de ce flic me va droit au cœur.

— Voulez-vous me le passer ?

Il veut. J’ai bientôt Cherio à l’appareil. Je m’excuse pour le retard, le remercie de m’avoir attendu et le prie de radiner dare-dare à l’adresse de la villa du lac.

Il fait : « Très bien, monsieur le commissaire » et nous raccrochons avec un ensemble parfait.

Bon… Si je ne fais pas de fausse manœuvre, tout doit boomer le mieux du monde… Je vais sur le seuil guetter mon zigoto.

Bien que je ne le connaisse pas (et j’ai pour cela la meilleure des raisons : celle de ne l’avoir jamais vu), je le repère au premier regard. C’est un grand costaud qui a une gueule de marteau et des épaules larges comme une cabine téléphonique… Avec ça l’air commode du monsieur qui vient d’apprendre simultanément que sa femme s’est barrée avec les éconocroques de la casba, qu’il a un cancer au pylore et qu’un plaisantin vient de foutre le feu à son domicile… Pourtant son visage neutre et sévère s’éclaire d’un sourire respectueux lorsque je me présente à lui.

— Commissaire San-Antonio, fais-je…

Il s’incline.

— Enchanté de vous connaître, M. Bodard m’a parlé de vous en termes enthousiastes…

On se fait un peu de tennis-baratin, puis j’entre tête boulée dans le vif de la question.

— J’ai neutralisé un gros trafiquant d’armes et son complice. Il est essentiel pour moi que ces gens soient mis au secret absolu pendant au moins trois jours… Pouvez-vous le faire ?

Il soulève son vieux bitos verdâtre et gratte d’un index embarrassé sa manufacture de pellicules.