Au lecteur
Cette version électronique reproduit dans son intégralité la version originale.
La ponctuation n'a pas été modifiée hormis quelques corrections mineures.
L'orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés. La liste des modifications se trouve à la fin du texte.
COLLECTION "PLUME ET CRAYON"
CLOWN, par A. Vimar 1 vol.
JEAN-QUI–LIT ET SNOBINET, par L. Métivet 1 vol.
NOUVELLES HISTOIRES SUR DE VIEUX PROVERBES, par G. Fraipont 1 vol.
LES BONNES IDÉES DE PHILIBERT, par H. Avelot 1 vol.
LE BOY DE MARIUS BOUILLABÈS, par A. Vimar 1 vol.
ANDRÉ LE MEUNIER, par G. Fraipont 1 vol.
GRAND'MÈRE AVAIT DES DÉFAUTS!… par Louis Morin 1 vol.
LES ASSIÉGÉS DE COMPIÈGNE, par A. Robida 1 vol.
LA POULE A POILS, par A. Vimar 1 vol.
YVES LE MARIN, par G. Fraipont 1 vol.
PARIS EN L'AN 3000, par Henriot 1 vol.
L'ILE DES CENTAURES, par A. Robida 1 vol.
LE TOUR DU MONDE DE PHILIBERT, par H. Avelot 1 vol.
DÉLURETTE ET LAMBINE, par L. Métivet 1 vol.
LE TRÉSOR DE CARCASSONNE, par A. Robida 1 vol.
ARTHUR VEUT… ARTHUR NE VEUT PAS, par H. Avelot 1 vol.
PATTARSORT, par Pierre Noury 1 vol.
MONSIEUR DE LA TRACASSIÈRE, par David Burnand 1 vol.
LES MÉMOIRES D'UN PERROQUET, par Pierre Noury 1 vol.
1837.-ÉVREUX, IMPRIMERIE HÉRISSEY.-7-33
[Illustration: Frontispice. Le sculpteur de gargouilles.]
[Illustration:
Les Assiégés de COMPIÈGNE 1430
texte & dessins par A. ROBIDA
PARIS.-H. LAURENS, ÉDITEUR, 6, RUE DE TOURNON.]
Copyright by Henri Laurens, 1906.
PRÉFACE
La rapide et merveilleuse carrière de Jeanne d'Arc est un rayon de soleil au milieu des plus terribles malheurs de la France; la catastrophe du siège de Compiègne, en 1430, la termina comme par un coup de foudre.
Chef d'armée à dix huit ans, la bergère de Domrémy, conduisant à la victoire de rudes soldats, des chevaliers et des princes, accourait avec trois ou quatre cents hommes au secours de Compiègne assiégé par les Anglais et défendu par Guillaume de Flavy. Le jour même de son arrivée, sa troupe, à peine reposée, attaqua vigoureusement le camp des assiégeants, mais ceux-ci battus d'abord, survinrent en grandes masses et refoulèrent la sortie jusqu'au gros rempart établi à la tête du pont de Compiègne.
Alors, soit par suite d'une panique des assiégés, craignant de voir les Anglais pénétrer dans la place pêle-mêle avec les derniers combattants de la sortie, soit par trahison, au moment où Jeanne, qui combattait à l'extrême arrière-garde, allait entrer en ville, le pont-levis se releva, la laissant se débattre à grands coups d'épée parmi la foule des assaillants. Précipitée à bas de son cheval, elle fut faite prisonnière ainsi que son frère Pierre d'Arc et Xaintrailles, et son long martyre commença qui devait finir au bûcher de Rouen.
Depuis cette époque, le souvenir du drame plane sur les rives de l'Oise, où le vieux pont de Compiègne vit passer Jeanne marchant à l'ennemi pour la dernière fois, et le soupçon de la trahison pèse sur le gouverneur de Compiègne, Guillaume de Flavy.
Et pourtant ce gouverneur, après la prise de Jeanne d'Arc repoussa toutes les tentatives de corruption et continua à lutter courageusement sur ses remparts; il défendit pendant six mois contre toutes les attaques la ville confiée à sa garde, jusqu'au jour où une nouvelle troupe de secours étant survenue, il put avec son concours, en jetant la garnison et les gens de Compiègne sur les bastilles ennemies, emporter tous les retranchements et forcer les Anglais à lever le siège.
Un frère de Flavy périt pendant le siège et lui-même ne se ménagea pas. Si le pont se releva devant Jeanne, ce ne fut certainement pas sur un ordre de Flavy, personne ne l'en accusa alors; il est permis de penser que le crime fut le fait de quelque traître introduit parmi les défenseurs de la porte, et nous pouvons, sur le grand drame historique, aux détails demeurés inconnus, supposer ou imaginer telles circonstances et telles explications.
Le vieux pont n'existe plus, on le connaît cependant par quelques plans et par un dessin datant du règne de Louis XIII, alors que ses défenses extérieures se dressaient encore à peu près intactes à l'endroit où Jeanne fut prise.
[Illustration]
[Illustration: Sur le marché.]
I
ASSIS à califourchon sur une planche, en haut d'un échafaudage dressé devant le nouveau grand portail, tout clair et tout frais, de l'église Saint-Corneille, le brave Jehan de Compiègne, ymagier de son état, c'est-à-dire sculpteur, tailleur d'images en pierre, travaillait avec une animation extraordinaire à grands coups de ciseau, tout en parlant et grommelant très haut comme s'il avait de la peine à s'entendre réfléchir, à travers le bruit du marché qui se tenait en bas.
— Ah! ah! mauvais chien, double pendard, triple larron!… Pan! attrape ce coup sur ton nez de voleur! Tiens!… C'est tout à fait bien ressemblant maintenant, ton museau de détrousseur de braves gens!… Pan! attrape encore! ça me soulagera peut-être, je suis de mauvaise humeur aujourd'hui.
C'était sur une longue gargouille, destinée à rejeter l'eau loin de la balustrade du portail, que Jehan s'escrimait; elle venait d'être tout récemment posée et le sculpteur lui donnait quelques dernières retouches d'un ciseau un peu rude. Cette gargouille, sur un corps d'animal étrange, vampire ou dragon pustuleux et griffu, avait une tête humaine au vaste gosier tordu par la plus horrible et la plus méchante des grimaces. Elle n'était pas seule, tout le long des bâtiments d'autres tendaient la tête: guivres à gueules menaçantes, diables cornus, êtres fantastiques moitié hommes, moitié bêtes, contorsionnés, hurlants ou ricanants, taillés dans la pierre par un ciseau énergique et violemment caricatural.
[Illustration: Repos au soleil.]
— Eh bien, et moi? grommelait Jehan, je parle des autres! Est-ce que je vaux mieux, tout de même? Bon garçon, certainement, personne n'a jamais dit le contraire, même ceux avec qui j'ai eu des discussions un peu vives, puisque si je leur avais, par hasard, donné un peu plus que leur compte en coups de poing, je mettais sur leurs bleus un emplâtre d'amitié repentante, avec le baume de quelques jolis flacons!… Et ceux qui oseraient dire que je ne suis pas le plus gentil des garçons, je leur rentrerais vivement leur mauvaise opinion dans la gorge à coups de pied… Mais j'ai le droit de le dire, moi, et de proclamer, et je le proclame, ici tout haut, devant tous ces imbéciles qui m'entendent, oui! devant vous tous, les gens d'en bas! que je ne vaux pas mieux que ce brigand de Rongemaille l'usurier! Non, je ne vaux pas mieux… dans un autre genre, c'est vrai, mais pas mieux! pas mieux! non pas mieux! Et celui qui dirait le contraire, je… Hélas! je suis faible! je suis très faible! j'ai toujours été trop faible, et c'est ce qui m'a perdu… Faible contre le péché, contre mon petit penchant pour la bonne chère et la paresse, pour le repos au soleil sous les arbres, le repos accompagné de menues distractions: jambonneries, saucisses et petits vins de Touraine expéditifs! Oui, voilà comme j'étais et comme je suis, c'est-à-dire comme je ne peux plus être, puisque en raison de ces faiblesses coupables, honteuses, abominables… et délicieuses, j'ai mangé tout mon bien jusqu'à la dernière bribe!… Mais à partir d'aujourd'hui, je le jure, me voilà bien corrigé, décidé à rentrer dans la bonne voie, la voie du travail, du pain sec: et de l'eau claire!… C'est juré! D'ailleurs je ne pourrais plus faire autrement, puisque de mon tout petit avoir il me reste… Combien me reste-t-il? Oh, inutile de tâter ma bourse plate, il me reste juste un tout petit écu. Aussi me voici repentant, bien repentant, — quoique toujours affligé du même appétit, hélas!