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J'arrivai à Lutsk dans l'après-midi. Blobel, d'après von Radetzky, ne reviendrait pas tout de suite; Hafner nous indiqua confidentiellement qu'on l'avait en fin de compte déposé dans un asile d'aliénés de la Wehrmacht. L'action de représailles avait été menée à bien, mais personne ne semblait trop disposé à en parler: «Vous pouvez vous estimer heureux de ne pas avoir été là», me glissa Zorn. Le 6 juillet, le Sonderkommando, se collant toujours à l'avancée de la 6e armée, déménagea à Rovno, puis rapidement à Tsviahel ou Swjagel, que les Soviétiques nomment Novograd-Volynskii. À chaque étape, on détachait des Teil-kommandos pour identifier, arrêter et exécuter les opposants potentiels. La plupart, il faut le dire, étaient des Juifs. Mais nous fusillions aussi des commissaires ou des fonctionnaires du Parti bolchevique, quand nous en trouvions, des voleurs, des pillards, des paysans qui cachaient leur grain, des Tsiganes aussi, Beck devait être content. Von Radetzky nous avait expliqué qu'il fallait raisonner en termes de menace objective: démasquer chaque coupable individuel étant une impossibilité matérielle, il fallait identifier les catégories socio-politiques les plus susceptibles de nous nuire et agir en fonction. À Lemberg, le nouvel Ortskommandant, le général Rentz, avait petit à petit réussi à rétablir l'ordre et à calmer les excès; néanmoins, l'Einsatzkommando 6, puis le 5 venu le remplacer, avaient continué à exécuter des centaines de personnes en dehors de la ville. Nous commencions aussi à avoir des ennuis avec les Ukrainiens. Le 9 juillet, la brève expérience indépendantiste prit abruptement fin: la SP arrêtait Bandera et Stetsko et les envoyait sous escorte à Cracovie, tandis que leurs hommes étaient désarmés. Mais ailleurs, l'OUN-B entrait en révolte; à Drohobycz, ils ouvrirent le feu sur nos troupes, plusieurs Allemands furent tués. À partir de ce moment-là on commença aussi à traiter en menace objective les partisans de Bandera; les melnykistes, ravis, nous aidaient à les identifier, et prenaient le contrôle des administrations locales. Le 11 juillet, le Gruppenstab auquel nous étions subordonnés échangea sa désignation avec celui rattaché au groupe d'armées Centre: dorénavant, notre Einsatzgruppe s'appelait le «C»; le même jour, nos trois Opel Admiral entraient à Jitomir avec les chars de la 6e armée. Quelques jours plus tard, je fus envoyé renforcer ce Vorkommando, en attendant que le gros de l'état-major nous rejoigne.

Dès Tsviahel le paysage changeait complètement. C'était maintenant la steppe ukrainienne, une immense prairie ondulante, intensivement cultivée. Dans les champs de blé, les coquelicots achevaient de mourir, mais le seigle et l'orge mûrissaient, et sur des kilomètres sans fin, les tournesols, dressés vers le ciel, suivaient de leurs couronnes dorées la trajectoire du soleil. Çà et là, comme jetées au hasard, une rangée d'isbas à l'ombre des acacias ou des petits bois de chênes, d'érables et de frênes brisaient les perspectives étourdissantes. Les chemins de campagne étaient bordés de tilleuls, les rivières de trembles et de saules, dans les villes, on avait planté des châtaigniers le long des boulevards. Nos cartes se révélaient entièrement inadéquates: les routes signalées n'existaient pas ou disparaissaient; au contraire, là où se trouvait indiquée une steppe vide, nos patrouilles découvraient des kolkhozes et de vastes champs de coton, de melons, de betteraves; les minuscules municipalités étaient devenues des centres industriels développés. Par contre, alors que la Galicie était tombée presque intacte entre nos mains, ici, l'Armée rouge avait pratiqué sur sa retraite une politique de destruction systématique. Les villages, les champs flambaient, nous trouvions les puits dynamités ou comblés, les routes minées, les bâtiments piégés; dans les kolkhozes, il restait du bétail, de la volaille et les femmes, mais hommes et chevaux étaient partis; à Jitomir, ils avaient incendié ce qu'ils pouvaient: heureusement, de nombreuses demeures se dressaient encore parmi les ruines fumantes. La ville se trouvait toujours sous contrôle hongrois et Callsen enrageait: «Leurs officiers traitent les Juifs amicalement, ils dînent chez les Juifs!» Bohr, un autre officier, compléta: «Il paraît que certains des officiers sont eux-mêmes juifs. Vous vous rendez compte? Des alliés de l'Allemagne! Je n'ose plus leur serrer la main». Les habitants nous avaient bien reçus, mais se plaignaient de l'avancée Honvéd en territoire ukrainien: «Les Allemands sont nos amis historiques, disaient-ils. Les Magyars veulent juste nous annexer». Ces tensions éclataient quotidiennement en menus incidents. Une compagnie de pionniers avait tué deux Hongrois; un de nos généraux dut aller présenter des excuses. D'autre part, la Honvéd bloquait le travail de nos policiers locaux, et le Vorkommando fut obligé de se plaindre, via le Gruppenstab, au QG du groupe d'armées, l'OKHG Sud. Enfin, le 15 juillet, les Hongrois furent relevés et l'AOK 6 vint s'installer à Jitomir, suivi de près par notre Kommando ainsi que le Gruppenstab C. Entre-temps, on m'avait renvoyé à Tsviahel assurer la liaison. Les Teilkommandos sous Callsen, Hans et Janssen s'étaient vu assigner chacun un secteur, irradiant en faisceau presque jusqu'au front, immobilisé devant Kiev; au sud, notre zone rencontrait celle de PEk 5, il fallait coordonner les opérations, car chaque Teilkommando fonctionnait de manière autonome. C'est ainsi que je me retrouvai avec Janssen, dans la région entre Tsviahel et Rovno, à la frontière de la Galicie. Les brefs orages d'été tournaient de plus en plus souvent à l'averse, transformant la poussière de lœss, fine comme de la farine, en une boue gluante, épaisse et noire, que les soldats appelaient buna. D'interminables étendues marécageuses se formaient alors, où se décomposaient doucement les cadavres et les carcasses de chevaux semés par les combats. Les hommes succombaient à des diarrhées continuelles, les poux faisaient leur apparition; même les camions s'embourbaient et il devenait de plus en plus difficile de se déplacer. Pour assister les Kommandos, on recrutait de nombreux auxiliaires ukrainiens, baptisés Askaris par les anciens d'Afrique; on les faisait financer par les municipalités locales et avec des fonds juifs confisqués. Beaucoup d'entre eux étaient des Boulbovitsi, ces extrémistes volhyniens dont parlait Oberländer (ils prenaient leur nom de Tarass Boulba): après la liquidation de l'OUN-B, on leur avait donné le choix entre l'uniforme allemand ou les camps; la plupart s'étaient fondus dans la population, mais un certain nombre étaient venus s'engager. Plus au nord, en revanche, entre Pinsk, Mozyr et Olevsk, la Wehrmacht avait laissé s'installer une «République ukrainienne de Polésie», dirigée par un certain Tarass Borovets, ci-devant propriétaire d'une carrière à Kostopol nationalisée par les bolcheviques; il pourchassait les unités isolées de l'Armée rouge et les partisans polonais, cela nous dégageait des troupes, en échange nous le tolérions; mais l'Einsatzgruppe s'inquiétait qu'il protège des éléments hostiles de l'OUN-B, ceux qu'en plaisantant on appelait les «OUN (bolcheviques)» par opposition aux «mencheviques» de Melnyk. Nous recrutions aussi les Volksdeutschen que nous trouvions dans les communautés, pour servir de maires ou de policiers. Les Juifs, un peu partout, avaient été mis au travail forcé; et l'on commençait à fusiller systématiquement ceux qui ne travaillaient pas. Mais du côté ukrainien du Sbrutch, nos actions se trouvaient souvent frustrées par l'apathie de la population locale, qui ne dénonçait pas les mouvements des Juifs: ceux-ci en profitaient pour se déplacer illégalement, se cacher dans les forêts du Nord. Le Brigadeführer Rasch donna alors l'ordre de faire défiler les Juifs en public, avant les exécutions, afin de détruire aux yeux des paysans ukrainiens le mythe du pouvoir politique juif. Mais de telles mesures ne semblaient pas avoir beaucoup d'effet.