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«Nos actions contre les Juifs devront dorénavant inclure l'ensemble de la population. Il n'y aura pas d'exceptions». Les officiers présents réagirent avec consternation; plusieurs se mirent à parler en même temps. La voix de Callsen s'éleva, incrédule: «Tous?» – «Tous», confirma Blobel. – «Mais c'est impossible, voyons», dit Callsen. Il semblait supplier. Moi, je me taisais, je ressentais comme un grand froid, Oh Seigneur, je me disais, cela aussi maintenant il va falloir le faire, cela a été dit, et il faudra en passer par là. Je me sentais envahi par une horreur sans bornes, mais je restais calme, rien ne se voyait, ma respiration demeurait égale. Callsen continuait ses objections: «Mais, Herr Standartenführer, la plupart d'entre nous sont mariés, nous avons des enfants. On ne peut pas nous demander ça». – «Meine Herren, coupa Blobel d'une voix tranchante mais également blanche, il s'agit d'un ordre direct de notre Führer, Adolf Hitler. Nous sommes des nationaux-socialistes et des SS, et nous obéirons. Comprenez ceci: en Allemagne, la question juive a pu être résolue, dans son ensemble, sans excès et de manière conforme aux exigences de l'humanité. Mais lorsque nous avons conquis la Pologne nous avons hérité de trois millions de Juifs supplémentaires. Personne ne sait quoi en faire ni où les mettre. Ici, dans ce pays immense, où nous menons une guerre de destruction impitoyable contre les hordes staliniennes, nous avons dû dès le départ prendre des mesures radicales pour assurer la sécurité de nos arrières. Je crois que vous en avez tous compris la nécessité et l'efficacité. Nos forces ne sont pas suffisantes pour patrouiller chaque village et en même temps mener le combat; et nous ne pouvons pas nous permettre de laisser des ennemis potentiels aussi rusés, aussi fourbes, derrière nous. Au Reichsicherheitshauptamt, on discute de la possibilité, une fois la guerre gagnée, de réunir tous les Juifs dans une grande réserve en Sibérie ou dans le Nord. Là, ils seront tranquilles et nous aussi. Mais d'abord il faut gagner la guerre. Nous avons déjà exécuté des milliers de Juifs et il en reste encore des dizaines de milliers; plus nos forces avancent, plus il y en aura. Or, si nous exécutons les hommes, il ne reste personne pour nourrir les femmes et leurs enfants. La Wehrmacht n'a pas les ressources pour nourrir des dizaines de milliers d'inutiles femelles juives avec leurs gamins. On ne peut pas non plus les laisser mourir de faim: ce sont des méthodes bolcheviques. Les inclure dans nos actions, avec leurs maris et leurs fils, est en fait la solution la plus humaine au vu des circonstances. En outre, l'expérience nous a démontré que les Juifs de l'Est, plus procréateurs, sont le vivier originel où se renouvellent constamment les forces du Judéo-bolchevisme comme des ploutocrates capitalistes. Si nous en laissons survivre certains, ces produits de la sélection naturelle seront à l'origine d'un renouveau encore plus dangereux pour nous que le péril actuel. Les enfants juifs d'aujourd'hui sont les saboteurs, les partisans, les terroristes de demain». Les officiers se taisaient, mornes; Kehrig, je remarquai, buvait coup sur coup. Les yeux injectés de sang de Blobel luisaient à travers le voile de l'alcool. «Nous sommes tous des nationaux-socialistes, continua-t-il, des S S au service de notre Volk et de notre Führer. Je vous rappelle que Führerworte haben Gesetzeskraft, la parole du Führer a force de Loi. Vous devez résister à la tentation d'être humains». Blobel n'était pas un homme très intelligent; ces formules si fortes ne provenaient certainement pas de lui. Pourtant, il y croyait; plus important encore, il voulait y croire, et il les offrait à son tour à ceux qui en avaient besoin, ceux à qui elles pouvaient servir. Pour moi, elles n'étaient pas d'une grande utilité, mes raisonnements, je devais les élaborer moi-même. Mais j'avais du mal à penser, ma tête bourdonnait, une pression intolérable, je voulais aller dormir. Callsen jouait avec son alliance, j'étais certain qu'il ne s'en rendait pas compte; il voulait dire quelque chose, mais se ravisa. «Schweinerei, c'est une grosse Schweinerei», marmonnait Hafner, et personne ne le contredisait. Blobel semblait vidé, à court d'idées, mais tous sentaient que sa volonté nous tenait et ne nous lâcherait pas, tout comme d'autres volontés le tenaient, lui. Dans un État comme le nôtre, les rôles étaient assignés à tous: Toi, la victime, et Toi, le bourreau, et personne n'avait le choix, on ne demandait le consentement de personne, car tous étaient interchangeables, les victimes comme les bourreaux. Hier nous avions tué des hommes juifs, demain ce serait des femmes et des enfants, après-demain d'autres encore; et nous, lorsque nous aurions rempli notre rôle, nous serions remplacés. L'Allemagne, au moins, ne liquidait pas ses bourreaux, au contraire, elle en prenait soin, à la différence de Staline avec sa manie des purges; mais cela aussi c'était dans la logique des choses. Pour les Russes, comme pour nous, l'homme ne comptait pour rien, la Nation, l'État étaient tout, et dans ce sens nous nous renvoyions notre image l'un à l'autre. Les Juifs aussi avaient ce sentiment fort de la communauté, du Volk: ils pleuraient leurs morts, les enterraient s'ils le pouvaient et récitaient le Kaddish; mais tant qu'un seul restait en vie, Israël vivait. C'était sans doute pour ça qu'ils étaient nos ennemis privilégiés, ils nous ressemblaient trop.