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— Ça sait nager, les ch’vaux ? demanda Tourte. Ç’a l’air profond, Arry… Et s’y a des serpents ?

— T’es sûre qu’on va vers le nord ? demanda Gendry. Toutes ces collines… on aurait pas, des fois, fait demi-tour ?

— La mousse des arbres… »

Il en montra un, tout près. « Çui-là a de la mousse sur trois côtés, et çui d’à côté pas du tout. Peut-être on est paumés, peut-être on fait que tourner en rond.

— Peut-être, admit-elle, mais moi, je traverse quand même. Libre à vous de venir ou de rester là. » Sans plus s’occuper d’eux, elle sauta en selle. S’ils ne voulaient pas suivre, ils n’avaient qu’à trouver Vivesaigues tout seuls, sauf qu’ils risquaient plutôt de se faire trouver par les Pitres.

Il lui fallut longer la rive un bon demi-mille avant de découvrir un endroit qui semblait à peu près propice à la traversée, mais sa jument n’en renâcla pas moins à pénétrer dans l’eau. Le ruisseau, quel que fût son nom, roulait des eaux brunes et rapides qui, au plus creux du lit, montaient jusqu’aux flancs du cheval. Malgré ses bottes inondées, elle joua tant et si bien des talons qu’elle finit par se retrouver sur la berge opposée. De l’arrière lui parvinrent un gros plouf et un hennissement nerveux. Ils ont donc suivi. Bien. Elle pivota pour les regarder traverser tant bien que mal et, tout dégouttants, monter la rejoindre. « Ce n’était pas le Trident, leur dit-elle. Ça, non. »

Moins profond, le suivant fut plus facile à franchir. Lui non plus n’était pas le Trident, et aucun des garçons ne discuta lorsqu’elle annonça qu’on traverserait.

La nuit s’installait quand ils s’arrêtèrent une nouvelle fois pour laisser reposer les montures et partager un autre repas de fromage et de pain. « Je suis trempé, frigorifié, larmoya Tourte. Sûr qu’on est loin d’Harrenhal, main’nant. On pourrait s’ faire un feu…

— NON ! » s’exclamèrent d’une même voix les deux autres, et juste au même instant. Tandis que Tourte rouscaillait un peu, Arya jeta un coup d’œil furtif vers Gendry. Il l’a dit avec moi, comme le faisait Jon à Winterfell. De tous ses frères, c’est Jon qui lui manquait le plus.

« On peut dormir, au moins ? demanda Tourte. Chuis si crevé, Arry, puis j’ai si mal au cul. Crois que j’ai des cloques…

— Tu en auras bien davantage si tu te fais prendre, riposta-t-elle. Faut qu’on continue. Faut.

— Mais y fait presque nuit, et on voit même pas la lune…

— En selle. »

Tout en lambinant à une allure de promenade, Arya sentait son propre épuisement, pendant qu’autour d’eux s’estompaient les dernières lueurs du jour, peser lourdement sur elle. Autant que Tourte, elle avait besoin de dormir, mais ç’aurait été imprudent. S’ils s’abandonnaient au sommeil, ils pourraient bien ne rouvrir les yeux que pour se retrouver nez à nez avec Varshé Hèvre et Huppé le Louf et Loyal Urswyck et Rorge et Mordeur et septon Utt et toute leur clique de monstres.

Au bout d’un moment, néanmoins, le mouvement régulier du cheval se fit aussi lénifiant qu’un balancement de berceau, et elle eut conscience que ses paupières s’appesantissaient. Elle les laissa se clore, rien qu’une seconde, puis les rouvrit en s’écarquillant. Je ne peux pas m’assoupir, se chapitra-t-elle en silence, je ne peux pas, je ne peux pas. Elle se fourra un poing dans l’œil et frotta vigoureusement pour le maintenir ouvert, tout en serrant fermement les rênes et en poussant son cheval au petit galop. Mais ni lui ni elle n’étaient en mesure de soutenir ce train et, le temps à peine de quelques foulées, ils retombèrent au pas, et quelques pas de plus suffirent pour que les yeux d’Arya se ferment une seconde fois. Sans, cette fois, se rouvrir aussi prestement.

Lorsqu’ils le firent, Arya s’aperçut que son cheval s’était immobilisé et grignotait une touffe d’herbe, et que Gendry lui secouait le bras. « Tu t’es endormie, dit-il.

— Je reposais simplement mes yeux.

— Ça fait un bon bout de temps que tu les reposes, alors. Ta bête tournait en rond, et j’ai pas compris que tu dormais avant qu’elle s’arrête. Tourte est en aussi piteux état, il s’est assommé contre une branche et flanqué par terre, t’aurais dû l’entendre gueuler. Même ça t’a pas réveillée. Te faut faire halte et dormir.

— Je peux continuer aussi longtemps que toi. » Elle bâilla.

« Menteuse, dit-il. Continue, si tu veux faire l’imbécile, mais j’arrête, moi. Je prendrai la première veille. Tu dors.

— Et Tourte ? »

Gendry pointa le doigt. Déjà roulé en boule dans son manteau sur un lit de feuilles trempées, Tourte ronflait à petit bruit. Il serrait dans son poing un gros bout de fromage mais s’était assoupi, manifestement, entre deux bouchées.

Il ne servait à rien, saisit Arya, de se quereller ; Gendry avait raison. Les Pitres aussi vont devoir dormir, se dit-elle en espérant que c’était vrai. Elle était si vannée que même descendre de selle fut une épreuve, mais elle n’omit pourtant pas d’entraver son cheval avant de se dénicher un abri sous un hêtre. Le sol était dur et trempé. Combien de temps encore s’écoulerait-il, se demanda-t-elle, avant qu’elle ne couche à nouveau dans un lit, mange chaud, retrouve un bon feu pour se dégeler ? La dernière chose qu’elle fit avant de fermer les yeux fut de retirer son épée du fourreau et de la déposer près d’elle. « Ser Gregor, murmura-t-elle dans un bâillement, Dunsen, Polliver, Raff Tout-miel. Titilleur et… Titilleur… le Limier… »

Elle rêva des rêves rouges et féroces. Les Pitres étaient là, quatre au moins, un Lysien pâle et une sombre brute à hache d’Ibbénien, le seigneur du cheval dothraki couvert de cicatrices qu’on appelait Iggo et un type de Dorne dont elle n’avait jamais su le nom. Ils ne cessaient pas d’arriver, chevauchant à travers la pluie dans leurs cuirs à tordre et leur maille rouillée, rapières et hache quincaillant aux selles. Ils se figuraient la chasser, savait-elle avec la bizarre perspicacité suraiguë que donnent les rêves, mais ils se trompaient. C’était elle qui les chassait.

Elle n’était pas une petite fille, dans son rêve, elle était un loup, un loup colossal et puissant ; et, lorsqu’elle émergeait du fourré devant eux, les crocs dénudés sur un grondement sourd, son flair captait la peur que puaient les bêtes comme les hommes. La monture du Lysien se cabrait en jetant un cri, pendant que les autres se gueulaient des paroles humaines, mais, avant qu’ils ne puissent agir, les autres loups, une forte meute, affamée, muette et mouillée, surgissaient ventre à terre et des ténèbres et du déluge.

Le combat fut bref mais sanglant. Le noiraud s’abattit avant de brandir sa hache, le chevelu périt comme il encochait une flèche, et le pâle voulut déguerpir. Frères et sœurs le rattrapèrent et l’enfermèrent dans leur tourbillon, l’assaillant de tous les côtés, mordant son cheval aux jambes, et, quand ils l’eurent enfin désarçonné, déchiquetant sa gorge à belles dents.

Seul tenait bon l’homme aux clochettes. Pendant que son cheval décochait une ruade en pleine gueule à l’une des sœurs d’Arya, son croc d’argent courbe à lui tranchait une autre presque en deux, tandis que sa chevelure tintinnabulait.

Folle de rage, elle lui bondit sur le dos, le précipitant à bas de sa selle. Pendant leur chute commune, elle lui agrippa le bras entre ses mâchoires et fouailla le cuir, la laine et la chair tendre. Ils atterrirent et, d’une violente saccade, elle arracha le membre de l’épaule. Au comble de l’exultation, elle l’agita en tous sens, dents bloquées dessus, éparpillant les chaudes gouttelettes pourpres parmi la noirceur de la pluie glacée.