— Eh bien… commença-t-il.
Et sous son bras le Truc déclara :
— Nous avons besoin de cet individu.
— Ma parole, s’émerveilla Dorcas. Elle est minuscule, votre radio. Jusqu’où ira-t-on, quand même ?
Dorcas les conduisit à un trou banal. Grand, carré, profond, sombre. Quelques câbles, plus épais qu’un gnome, plongeaient dans les ténèbres.
— Vous habitez là-dedans ? demanda Grimma.
Dorcas farfouilla dans le noir. On entendit un déclic.
Très loin au-dessus d’eux, il y eut un choc sourd suivi d’un grondement étouffé.
— Hmmm ? Oh, non. Il m’a fallu des éternités pour tout comprendre. C’est une espèce d’étage accroché à une corde. Qui monte et qui descend, vous voyez ? Avec des humains dedans. Alors, je me suis dit que je n’allais pas en rajeunissant. Tous ces escaliers, ça me coupait les jambes. J’ai regardé pour voir comment ça marchait. C’est d’une simplicité enfantine. Forcément, sinon les humains ne sauraient pas s’en servir. Reculez, s’il vous plaît.
Une énorme chose noire descendit le long du conduit pour s’immobiliser à quelques centimètres au-dessus de leurs têtes. On entendit des chocs et des coups, et le bruit désormais familier d’humains qui se déplaçaient maladroitement.
Il y avait également, suspendue en dessous du plancher de la cabine, une petite nacelle en fil de fer, accrochée par de courtes cordes.
— Si vous vous imaginez, intervint Mémé Morkie, que je vais monter dans un… dans un nid en fil de fer pendu à une ficelle, vous vous faites des…
— C’est sans danger ? demanda Masklinn.
— Plus ou moins, plus ou moins, répondit Dorcas en enjambant l’espace vide et en tripotant une nouvelle série de manettes. Dépêchez-vous, s’il vous plaît. Par ici, madame.
— Euh… c’est plus ou c’est moins ? demanda Masklinn pendant que Mémé, abasourdie par le terme madame, se laissait guider à bord.
— Eh bien, ma partie à moi est parfaitement sûre, je suis catégorique, répondit Dorcas. Mais la partie au-dessus de nous a été construite par des humains, et on ne peut jamais être vraiment certain. Cramponnez-vous, s’il vous plaît ! On monte !
Un choc métallique au-dessus d’eux, une légère secousse, et la nacelle commença à s’élever.
— Ingénieux, non ? demanda Dorcas. J’ai passé un temps fou à mettre toutes les commandes en dérivation. Et vous croyez qu’ils se seraient aperçus de quelque chose ? Ils appuient sur le bouton pour descendre, mais si je veux monter, ils montent. Au début, j’avais peur que les humains s’étonnent de voir les cabines monter et descendre toutes seules, mais ils sont bougrement idiots. Nous sommes arrivés.
Avec une nouvelle secousse, la cabine s’arrêta, amenant la nacelle du gnome au niveau d’un nouvel espace sous le plancher.
— Électro-Ménager, annonça Dorcas. Ce n’est pas grand-chose, mais j’y suis chez moi. Personne ne vient m’embêter, ici, pas même l’Abbé. Je suis le seul à savoir comment tout fonctionne, voyez-vous.
C’était un lieu voué aux fils. Ils couraient en tous sens sur le sol, par gros paquets. Quelques jeunes gnomes démontaient un objet au milieu de tout cela.
— Une radio, expliqua Dorcas. C’est une chose stupéfiante. On essaie de comprendre comment elle fait pour parler.
Il fourragea dans des piles de papier épais, en tira une feuille qu’il tendit à Masklinn avec une timidité évidente.
On y voyait un petit cône rose, coiffé d’une houppette de poils.
Les gnomes n’avaient jamais vu de bigorneau. Autrement, ils en auraient reconnu sur ce dessin la représentation exacte. Sauf la petite houppe.
— Très joli, commenta Masklinn, un peu désarçonné. Qu’est-ce que c’est ?
— Hem. C’était une hypothèse que j’avais formulée sur l’apparence des gens du Dehors, voyez-vous.
— Comment ça, avec des têtes en pointe ?
— C’est à cause de la Pluie, vous comprenez. Dans les anciennes légendes des temps anté-Magasiniens. La Pluie. Des gouttes d’eau qui tombent tout le temps du ciel. De cette façon, elle peut ruisseler. Et les flancs en pente évitent d’être renversés par le Vent. Je ne disposais que des anciennes légendes pour me guider, voyez-vous.
— Mais il n’y a même pas d’yeux !
— Mais si ! (Dorcas tendit le doigt) Tout petits. Dissimulés par les poils pour ne pas être aveuglés par le Soleil. C’est une grosse lumière très vive, dans le ciel, ajouta Dorcas à titre d’explication.
— On l’a déjà vue, fit Masklinn.
— Qu’est-ce qu’il raconte ? s’inquiéta Torritt.
— Il raconte que tu devrais ressembler à ça, répondit Mémé Morkie, goguenarde.
— Mais j’ai pas la tête aussi fine !
— Ça, c’est pas moi qui dirai le contraire, repartit Mémé.
— Je crois que vous vous êtes un peu égaré, dit lentement Masklinn. Ce n’est pas du tout comme ça. Personne n’a donc été vérifier sur place ?
— Un jour, j’ai vu la grande porte ouverte, répondit Dorcas. Celle qui est dans le garage, je veux dire. Mais dehors, on ne distinguait qu’une immense lumière blanche, qui m’a aveuglé.
— Ça ne m’étonne pas, si vous vivez en permanence dans cette pénombre.
Dorcas tira à lui une bobine de coton vide.
— Il faut que vous me racontiez tout ça, dit-il. Tout ce que vous vous rappelez sur le Dehors.
Sur les genoux de Torritt, un nouveau voyant vert du Truc commença à clignoter.
Un jeune gnome finit par apporter de la nourriture au groupe. Et ils expliquèrent, discutèrent et souvent se contredirent, tandis que Dorcas écoutait et posait des questions.
Il leur apprit qu’il était inventeur. En particulier de choses fonctionnant à l’électricité. Dans les premiers temps, lorsqu’ils avaient cherché à se brancher sur l’installation électrique du Grand Magasin, beaucoup de gnomes avaient péri. Ils avaient désormais mis au point des méthodes plus sûres, mais un certain mystère s’attachait encore à l’entreprise, et peu de gnomes étaient enclins à trop s’approcher. Voilà pourquoi les chefs des grandes familles et l’Abbé des Papeteri lui-même le laissaient tranquille. Être doué pour quelque chose que les autres ne veulent pas ou ne peuvent pas faire est toujours une bonne idée, dit-il. Et donc on le laissait s’interroger à voix haute, de temps en temps, sur le Dehors. Du moment qu’il ne s’interrogeait pas à voix trop haute.
— Je ne me souviendrai jamais de tout, soupira-t-il. Comment s’appelle l’autre lumière, celle qui existe à l’Heure de la Fermeture ? Pardon, la nue, je voulais dire.
— La nuit, corrigea Masklinn. On appelle ça la lune.
— La lune, répéta Dorcas en faisant rouler le mot sous sa langue. Et elle n’éclaire pas autant que le soleil ? Ça, c’est curieux, tout de même. Il serait plus intelligent d’installer la lumière la plus forte pendant la nuit plutôt que pendant le jour, puisqu’à ce moment-là on y voit de toute façon. Vous ne savez pas pourquoi c’est comme ça, je suppose ?
— C’est comme ça, voilà tout, répondit Masklinn.
— Que ne donnerais-je pas pour aller voir par moi-même ! J’observais les camions quand j’étais gamin, mais je n’ai jamais eu le courage de monter dans l’un d’eux.
Il se pencha en avant.
— Selon moi, Arnold Frères (fond. 1905) nous a mis dans ce Magasin pour que nous fassions des découvertes. Que nous l’explorions. Sinon, à quoi bon nous doter de cerveaux ? Qu’en pensez-vous ?