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— Et ça se passe chaque année ? demanda Dorcas.

— Oh, oui.

— Vraiment ? Fascinant… Et qui les recolle à leur place ?

— Personne, répondit Masklinn. Elles finissent par réapparaître.

— Toutes seules ?

Ils hochèrent la tête. Quand on est sûr d’une chose, on s’y tient.

— On dirait bien, continua Masklinn. Nous n’avons jamais vraiment compris pourquoi. Ça se passe comme ça, c’est tout.

Le gnome du Grand Magasin se gratta l’occiput.

— Eh bien… Je ne sais pas. Ça ne me semble pas très rationnel comme organisation, tout ça. Vous êtes sûrs…

Soudain, des silhouettes les encerclèrent. Une minute, il n’y avait autour d’eux que des monticules de poussières, la suivante, des gens. Le gnome qui faisait face à l’expédition arborait une barbe, un bandeau sur un œil et un coutelas entre les dents. Ça semblait rendre son sourire encore plus menaçant.

— Oh, miséricorde, jeta Dorcas.

— Qui est-ce ? siffla Masklinn.

— Des bandits. C’est toujours un problème, en Corsetterie, répondit Dorcas en levant les mains.

— C’est quoi, des bandits ? demanda Masklinn, intrigué.

— C’est quoi, la Corsetterie ? intervint Mémé.

Dorcas indiqua du doigt le plancher au-dessus de leurs têtes.

— C’est là-haut, dit-il. Un rayon. Seulement, il n’intéresse personne, parce qu’on n’y trouve rien d’utile. C’est rose, dans l’ensemble, ajouta-t-il. Et parfois l’élastique…

— Wa bourche ou wa wie ! intervint le chef des bandits en manifestant un début d’agacement.

— Je vous demande pardon ? demanda Grimma.

— Gné gnit : wa bourche ou wa wie !

— Je crois que c’est à cause du couteau, suggéra Masklinn. Il me semble qu’on vous comprendrait mieux si vous retiriez votre couteau de la bouche.

Le bandit leur jeta un regard assassin de son œil valide, mais il retira la lame de sa bouche.

— J’ai dit : la bourse ou la vie ! répéta-t-il.

Masklinn jeta un coup d’œil interrogateur à Dorcas. Le vieux gnome agita les mains.

— Il veut que vous lui donniez tout ce que vous possédez, expliqua-t-il. Il ne va pas vous tuer, bien entendu, mais ils peuvent se montrer très désagréables.

Les gnomes du Dehors se rassemblèrent pour en discuter. Cet événement dépassait le cadre de leurs expériences. L’idée de vol était pour eux totalement nouvelle. D’où ils venaient, il n’y avait personne à voler. Rectification : il n’y avait rien à voler.

— Ils ne comprennent donc pas le gnome ? s’indigna le bandit.

Dorcas lui adressa un sourire embarrassé.

— Il faut les excuser, ils viennent d’arriver.

Masklinn se retourna.

— Nous avons pris une décision, annonça-t-il. Si ça ne vous fait rien, nous allons garder ce que nous avons. Désolé.

Il lança à Dorcas et au bandit un sourire radieux.

Le bandit le lui rendit. Ou, du moins, il ouvrit la bouche et exhiba un grand nombre de dents.

— Euh… intervint Dorcas, ce n’est pas une réponse valable, vous savez. On ne peut pas refuser de se faire voler ! (Il vit l’expression de totale incompréhension qu’arborait Masklinn.) Voler, répéta-t-il. Ça signifie qu’on vous prend vos affaires. On ne peut pas dire qu’on ne veut pas !

— Et pourquoi donc ? s’enquit Grimma.

— Mais parce que… (Le vieux gnome hésita.) Je ne sais pas, en fait. La tradition, je suppose.

Le chef des bandits faisait passer son coutelas d’une main à l’autre.

— Je vais vous dire ce que je vais faire, annonça-t-il. Je tiens compte du fait que vous êtes nouveaux, et tout ça. On vous fera à peine mal. Emparez-vous d’eux !

Deux bandits se saisirent de Mémé Morkie.

Ils avaient commis une erreur. Sa main droite osseuse jaillit et on entendit claquer deux gifles.

— Quelle impudence ! jeta-t-elle, tandis que les gnomes titubaient de gauche à droite en se tenant les oreilles.

Un bandit qui essayait de maîtriser le vieux Torritt reçut un coup de coude pointu dans l’estomac. Un autre agita un coutelas en direction de Grimma, qui le saisit par le poignet : l’arme lui sauta des mains et il tomba à genoux en poussant de pitoyables borborygmes.

Masklinn se pencha, saisit d’une main le chef par sa chemise et l’éleva à hauteur de regard.

— Je ne suis pas absolument certain de comprendre vos coutumes, dit-il. Mais les gnomes ne devraient pas se faire de mal entre eux, vous ne croyez pas ?

— Ahahaha, répondit le chef, visiblement nerveux.

— Alors, ce serait peut-être une bonne idée pour vous de déguerpir, non ?

Il le lâcha. Le bandit tâtonna frénétiquement sur le sol à la recherche de son coutelas, lança un autre sourire inquiet à Masklinn et fila sans demander son compte. Le reste de la bande courut à sa suite, ou du moins claudiqua à vive allure.

Masklinn se retourna vers Dorcas, que secouait un grand éclat de rire.

— Eh bien, qu’est-ce que c’était, toute cette histoire ?

Dorcas s’appuya contre un mur pour rester debout.

— Vous n’en avez pas la moindre idée ?

— Non, répondit Masklinn avec patience. C’est pour ça que je pose la question, figurez-vous.

— Les Corsetteri sont des bandits. Ils s’emparent de ce qui ne leur appartient pas. Ils ont établi leur repaire en Corsetterie parce que les en déloger demanderait trop d’efforts pour trop peu de résultats. D’ordinaire, ils se contentent de faire peur aux gens. Ils sont assez pénibles, pour être franc.

— Et pourquoi l’autre imbécile tenait-il son coutelas dans sa bouche ? voulut savoir Grimma.

— Pour se donner l’air redoutable et sûr de lui, je pense.

— Je trouve que ça lui donnait plutôt l’air idiot, répliqua Grimma sans émotion particulière.

— Il va se prendre une bonne paire de momifies, si je le revois traîner par ici, annonça Mémé Morkie.

— À mon avis, ils ne reviendront pas. Votre pugnacité a dû les choquer, en fait. (Dorcas rit à nouveau.) Vous savez, je suis vraiment impatient de voir l’effet que vous allez avoir sur l’Abbé. Je ne crois pas que nous ayons jamais rien vu de semblable à vous. Vous allez nous apporter un peu de… de… comment appelez-vous cette chose qu’on trouve en abondance au-Dehors ?

— De l’air frais ? suggéra Masklinn.

— Exactement. De l’air frais.

Et c’est ainsi qu’ils finirent par arriver chez les Papeteri.

Allez voir les Papeteri ou retournez au-Dehors, leur avait dit le duc, signifiant par là qu’il ne voyait guère de différence entre les deux options. Et assurément, les autres grandes familles se défiaient des Papeteri, auxquels elles attribuaient d’étranges et terrifiants pouvoirs.

Après tout, les Papeteri savaient lire et écrire. Quelqu’un qui peut vous expliquer ce que signifie un morceau de papier est bizarre, forcément.

Ils comprenaient également les annonces célestes d’Arnold Frères (fond. 1905).

Mais il est difficile de rencontrer quelqu’un quand il ne croit pas en votre existence.

Masklinn avait toujours pensé que Torritt avait l’air vieux, mais l’Abbé semblait tellement ancien qu’il avait dû être sur les lieux pour donner un petit coup de démarreur au Temps lui-même. Il marchait à l’aide de deux béquilles, et quelques gnomes plus jeunes se tenaient derrière lui, au cas où il aurait besoin d’être soutenu. Son visage était un sac de rides, où brillaient des yeux pareils à deux trous noirs et nets.