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— Que voulez-vous, c’est la nature gnomique, dit Dorcas.

— Je ne vois pas l’importance que ça peut avoir, commenta Mémé d’un ton rogue. Dans trois semaines, ils seront tous du Dehors. Ça leur apprendra. Il faudra qu’ils passent leur temps à ne pas se voir. On verra si ça les amuse, hein ? (Elle leva le nez en l’air et poursuivit, avec des accents précieux :) Ho, ’scûûsez-moi, m’sieur l’Abbé, jeu vous as traaîbu-ché d’sus, mais c’est que jeu ne vûûs as pas vûû, voyez-vûûs…

— Je suis sûr qu’ils comprendraient s’ils prenaient la peine de nous écouter, insista Masklinn.

— Ça m’étonnerait, fit Dorcas en donnant un coup de pied dans un tas de poussière. Je suis idiot de les en avoir crus capables, en fait. Les Papeteri ne prêtent jamais attention aux idées neuves.

— Excusez-moi, intervint une petite voix dans leur dos.

Ils se retournèrent pour découvrir qu’un Papeteri se tenait derrière eux. Il était jeune, fort grassouillet, et arborait des cheveux frisés et une mine inquiète. En fait, il tortillait nerveusement le coin de sa chasuble.

— C’est à moi que vous parlez ? demanda Dorcas.

— Euh… J’étais… euh… je voulais parler à… euh… ceux du Dehors, énonça soigneusement le petit homme.

Il exécuta une courbette à l’intention de Torritt et de Mémé Morkie.

— Dans ce cas, vous avez meilleure vue que les autres, constata Masklinn.

— Euh… oui, dit le Papeteri.

Il jeta un coup d’œil sur le couloir derrière lui.

— Euh… j’aimerais vous parler. Dans un endroit plus discret.

Ils se retranchèrent derrière une solive du plancher.

— Eh bien ? demanda Masklinn.

— Cette, euh… chose qui parle. Vous croyez ce qu’elle dit ?

— Je ne pense pas qu’elle soit capable de mentir, expliqua Masklinn.

— Qu’est-ce que c’est exactement ? Une espèce de radio ? insista le nouveau venu.

Masklinn quêta un secours auprès de Dorcas.

— C’est un appareil qui produit du bruit, répondit ce dernier d’une voix négligente.

— Vraiment ? fit Masklinn avant de hausser les épaules. Je ne sais pas. Nous possédons cet objet depuis longtemps. Il prétend qu’il est arrivé de très loin en compagnie des gnomes, il y a très longtemps. Nous nous en sommes occupés depuis des générations, pas vrai Torritt ?

Le vieillard opina frénétiquement.

— Mon papa en avait la garde avant moi, et son père avant lui, et son père avant lui, et son frère en même temps, et leur oncle avant eux… entonna-t-il.

Le Papeteri se gratta le crâne.

— C’est très inquiétant, dit-il. Les humains se comportent de façon inusitée. On ne renouvelle plus les marchandises dans le Grand Magasin. On voit apparaître des annonces qu’on n’avait encore jamais vues. Même l’Abbé est inquiet, il n’arrive pas à déterminer ce qu’Arnold Frères (fond. 1905) attend de nous. Alors, euh…

Il tire-bouchonna sa chasuble, se hâta de la remettre en ordre, et poursuivit :

— Je suis l’assistant de l’Abbé, voyez-vous. Je m’appelle Gurder. Je suis chargé des tâches qu’il ne peut accomplir personnellement. Alors, euh…

— Eh bien, quoi ? le pressa Masklinn.

— Est-ce que vous pourriez m’accompagner ? S’il vous ; plaît ?

— Il y aura à manger ? demanda Mémé Morkie, qui savait toujours aller droit au cœur de tout problème.

— Nous allons en faire livrer, assura Gurder avec empressement.

Il s’enfonça à reculons dans le dédale de solives et de fils.

— S’il vous plaît, suivez-moi. Je vous en prie.

5

I. Or il y eut des gens pour dire : Nous avons vu les nouvelles Annonces d’Arnold Frères (fond. 1905) dans le Grand Magasin, et nous sommes troublés, car nous n’en comprenons point le Sens.

II. En cette saison devrait se tenir le Fêtons Noël, et pourtant les Panneaux ne sont point ceux du Fêtons Noël.

III. Ce ne sont point non plus ceux de la Quinzaine du Blanc, ni ceux de la Rentrée des Classes, ni du Printemps des Prix, et point non plus l’Été des Affaires, ni aucune Annonce que nous reconnaissons en son Temps.

IV. Car ces Annonces proclament : Liquidation. Et nos Cœurs en sont troublés.

La Gnomenclature, Réclamations, Versets I-IV

Gurder, avec force courbettes et révérences, les conduisit plus profondément en territoire Papeteri. Il flottait une odeur de moisi. Çà et là s’empilaient des choses dont on apprit à Masklinn qu’il s’agissait de livres. Il ne comprit pas bien quel usage on en faisait, mais Dorcas paraissait les tenir en grande estime.

— Regardez-moi ça, disait-il. Bien des choses là-dedans pourraient nous être bougrement utiles, et les Papeteri les surveillent comme… comme…

— Comme quelque chose de bien surveillé ? suggéra Masklinn.

— Exactement. Exactement. C’est tout à fait ça. Ils les regardent fixement, sans arrêt. Ils appellent ça lire. Mais ils n’y comprennent rien.

Dans les bras de Torritt, le Truc vrombit, et quelques voyants s’allumèrent.

— Les livres sont un dépôt de savoir ? demanda-t-il.

— On prétend qu’ils contiennent beaucoup de choses, assura Dorcas.

— Il est vital que vous en obteniez, conclut le Truc.

— Les Papeteri y tiennent jalousement, expliqua Dorcas. Les livres brûlent la cervelle de ceux qui ne savent pas les lire comme il convient, selon eux.

— Par ici, s’il vous plaît, fit Gurder en écartant une barrière en carton.

Quelqu’un les attendait, assis dans une posture raide sur une pile de coussins, le dos tourné aux nouveaux arrivants.

— Ah ! Gurder, dit-il. Entre. Parfait.

C’était l’Abbé. Il ne se retourna pas.

Masklinn poussa Gurder du coude.

— La première entrevue a déjà été assez pénible. À quoi bon recommencer cette comédie ?

Gurder lui adressa un regard qui semblait dire : faites-moi confiance, c’est le seul moyen.

— As-tu commandé de la nourriture, Gurder ? demanda l’Abbé.

— Monseigneur, je m’apprêtais…

— Charge-t’en sur-le-champ.

— Très bien, monseigneur.

Gurder jeta un nouveau regard implorant à Masklinn avant de disparaître prestement.

Les gnomes attendirent avec embarras, en se demandant ce qui allait se passer.

L’Abbé prit la parole.

— J’ai presque quinze ans. Je suis plus vieux que certains rayons du Grand Magasin. J’ai vu beaucoup de choses merveilleuses, et je vais bientôt partir à la rencontre d’Arnold Frères (fond. 1905) avec l’espoir d’avoir été un gnome bon et vertueux. Je suis si vieux que certains gnomes me confondent d’une certaine façon avec le Grand Magasin, et ils redoutent de le voir disparaître quand je ne serai plus là. Et maintenant, vous venez prétendre la même chose. Qui est le responsable du groupe ?

Masklinn regarda Torritt, mais tous les autres le regardaient, lui.

— Eh bien, euh… Moi, je suppose, dit-il. Pour le moment, en tout cas.

— Voilà, c’est ça, confirma Torritt, soulagé. C’est juste pour le moment que je lui confie la responsabilité du groupe. Parce que le chef, c’est moi.