Выбрать главу

Chapitre V

Le colonel Ephraim Neguav était blême de rage. Officier de liaison du Mossad attaché à la CIA, il avait été convoqué à Langley à huit heures du matin pour un briefing impromptu, suite aux événements de Roissy. À cause du décalage horaire – il était deux heures du matin à Washington lorsque l’attaque avait eu heu –, une enquête avait déjà eu le temps d’être lancée, ce qui ne semblait pas le calmer. Il n’y avait que cinq personnes dans le bureau de Jeff Miller, Deputy Director de la Company. Lui-même, le Directeur des Opérations, un représentant du FBI et un de la Maison-Blanche.

L’officier israélien tourna le regard froid de ses yeux gris sur le haut fonctionnaire de la CIA et dit d’une voix cinglante.

— Je suis obligé de constater, messieurs, qu’à cause d’une série d’imprudences de vos deux Agences, quarante détonateurs nucléaires sont en possession d’individus liés très vraisemblablement à nos pires ennemis.

Visé, le représentant du FBI protesta aussitôt.

— En aucun cas, il n’y a eu imprudence. La collaboration entre nos services et la police française a été parfaite.

— Il y a eu quatre morts, répliqua l’Israélien. C’était de la folie de laisser partir ces krytrons.

— C’était aussi la seule façon de savoir qui les voulait, remarqua d’une voix douce le Directeur adjoint de la CIA. Ce qui s’est passé était imprévisible.

— Vous le savez, aujourd’hui, qui les voulait ?

Un ange passa, des bombes accrochées sous les ailes. Le Directeur des Opérations rompit le silence qui commençait à devenir pesant.

— Nous avons identifié deux passeports utilisés par les Services iraniens, remarqua-t-il. Or, l’Iran est encore très loin de pouvoir se doter d’armes nucléaires. Par contre, il est proche du Pakistan. Ce sont les Indiens qui devraient s’inquiéter, pas vous.

L’officier du Mossad faillit grimper au mur.

— Ce n’est pas vous qui allez me dire si nous devons nous inquiéter ou non ! aboya-t-il. Ce n’est pas vous qui risquez de prendre un projectile nucléaire sur votre pays ! Vous ne savez pas que le Pakistan et la Libye coopèrent dans beaucoup de domaines ? Et que la Libye est le pays le plus acharné à nous détruire, avec l’Irak ? Sans parler de la Syrie.

— La Syrie est hors de cause, trancha le représentant de la Maison-Blanche. Nous venons de recevoir des assurances formelles de Damas. Ils ne s’amuseraient pas à ce petit jeu en ce moment.

Depuis quelques mois, Hafez El Assad, le président syrien, lâché financièrement par l’Arabie Saoudite, faisait les yeux doux aux États-Unis pour obtenir des crédits. La Syrie avait même mis en sourdine quelques groupes terroristes qu’elle abritait.

— Tous les Arabes mentent ! écuma l’Israélien. Vous savez très bien que les Syriens sont impliqués dans l’attentat de Lockerbie. Pourquoi vous obstinez-vous à tourner la tête de l’autre côté ?

— Nous n’avons aucune preuve, fit platement le Directeur des Opérations.

Le silence retomba. Tous avaient hâte que ce meeting se termine. Dehors un soleil radieux éclairait les arbres du parc de Langley. Le bureau insonorisé ne laissait filtrer aucun bruit. Un voyant rouge s’alluma sur le bureau de Jeff Miller, qui appuya aussitôt sur l’ouverture de la porte donnant sur le bureau de sa secrétaire. Celle-ci pénétra dans la pièce, salua d’un signe de tête et déposa sur le bureau une chemise rouge vif barrée de la mention « COSMIC. EYES ONLY ».

Jeff Miller l’ouvrit et prit connaissance du message. Lorsqu’il releva la tête, ses traits n’avaient pas bougé, mais sa voix était visiblement altérée.

— Il s’agit d’un message du Ministre de la Défense du Pakistan. En ce moment il est dix-huit heures à Rawalpindi. Il a procédé à une enquête approfondie dans ses Services et apporte une réponse absolument négative à notre question : il n’a en cours aucune opération concernant des krytrons.

Le colonel Neguav haussa les épaules et murmura entre ses dents : « bullshit ». Jeff Miller fit comme s’il n’avait pas entendu et enchaîna :

— Je le crois. Les Pakistanais savent que nous suspendrions notre aide économique pour une histoire semblable. Ils n’ignorent pas non plus que nous avons les moyens de savoir s’ils mentent ou non. Donc, je suis certain qu’ils disent la vérité.

Toute l’aide pour l’Afghanistan transitait par le Pakistan et les officiers intégristes commandant les Services pakistanais avaient des contacts étroits avec la CIA. Surtout depuis l’assassinat du Président Zia.

Le silence retomba. Les quatre hommes étaient certains que Jeff Miller ne s’engageait pas à la légère sur un sujet aussi grave. S’il disait être sûr des Pakistanais, c’est qu’il en était sûr. Le colonel Neguav connaissait les règles du jeu. Dès qu’il s’agissait de prolifération nucléaire, les Américains ne plaisantaient pas.

— La police française a-t-elle découvert qui a tué Farid Badr ? demanda-t-il.

— Non, dut avouer Jeff Miller. D’après les témoins, il semble que ce soit une femme de type oriental. Les recherches pour la retrouver ont été vaines.

— Et pourquoi l’a-t-on tué ? insista l’Israélien.

C’est encore Jeff Miller qui répondit :

Ce n’est qu’une hypothèse… Ceux qui se sont emparés de ces krytrons ont voulu éliminer toute possibilité de remonter jusqu’à eux. Farid Badr les connaissait. Ils ont pensé qu’il pouvait tomber entre nos mains ou celles des Français et parler. Je ne vois pas d’autre explication. Il n’était pas armé et ne s’attendait pas à être attaqué. Mais cela ne nous donne aucune indication sur les commanditaires de toute cette opération.

Le colonel Neguav eut un soupir excédé.

OK ! admit-il. Ce ne sont pas les Pakistanais. Ni les Syriens. Ni les Iraniens. Il reste le diable, les Libyens ou les Irakiens. C’est encore plus grave. Parce que nous avons affaire à des fous furieux.

Cette fois le silence fut de plomb. Il n’y avait rien à répondre. Les méthodes utilisées supposaient des moyens importants. Donc un grand Service, pas un groupuscule terroriste capable de mettre une bombe dans un avion. Et là, c’était grave. Car cela révélait une faute de tous les services occidentaux, y compris le Mossad. Ceux-ci entretenaient à grands frais une armada d’informateurs destinés justement à leur fournir ce genre de renseignement. Le Directeur Adjoint de la CIA récapitula le mémo, qu’il avait réclamé une heure plus tôt, sur les pays capables de construire une arme nucléaire dans des délais assez brefs. Au premier rang, le Pakistan. Ensuite l’Irak et, très loin derrière, la Libye.

Le colonel israélien consulta son gros chrono, un souvenir de son passé de baroudeur.

Je dois appeler Jérusalem et prévenir mon gouvernement, annonça-t-il. Il s’agit d’une affaire mettant en péril la sécurité de mon pays. Nous allons prendre les choses en main. Je pense que vous ne tarderez pas à recevoir une protestation officielle.

Dès que nous aurons du nouveau, promit Jeff Miller, vous le saurez en même temps que nous.

L’Israélien ne put claquer la porte à cause des épais bourrelets de cuir, mais l’intention y était… Dès qu’il fut parti, les quatre hommes allumèrent chacun une cigarette, avec un ensemble touchant, puis se versèrent du café. La tension était tombée d’un cran. Le représentant du FBI qui rompit le silence se jeta à l’eau.

— Que pensez-vous de la situation, Mister Miller ?

L’homme de la Maison-Blanche répondit à sa place.