— Nous sommes dans un cas de figure extrêmement grave, dit-il. Maintenant qu’Israël n’a plus peur des Soviétiques, ce vieux fou de Shamir est capable de vitrifier préventivement ses voisins arabes si nous ne retrouvons pas dare-dare ces fichus krytrons.
« Enfin une solution au problème du Moyen-Orient », pensa le Directeur des Opérations qui était plutôt anti-arabe. Avec ce qu’on savait de Saddam Hussein, Israël n’attendrait pas les événements sans réagir.
La secrétaire entra de nouveau avec des papiers, que Jeff Miller examina rapidement. Il tourna la tête vers le Directeur des Opérations.
— Messieurs Jones et Brabeck demandent des instructions. Leur mission à Paris est terminée…
Un ange passa, drapé dans un suaire. En dépit de leur dévouement, les deux « gorilles » ne pouvaient pas suivre Farid Badr là où il se trouvait maintenant.
— Nous répondrons d’ici une heure, dit le Directeur des Opérations. Il faut être prudent. Il y a déjà six morts dans cette affaire, et nous n’avons aucune idée de l’identité des coupables. Je viens de recevoir un rapport de la Station de Vienne. Il semble que Malko Linge ait commencé à suivre un embryon de piste, une call-girl mêlée à l’incident de Berchtesgaden.
— Cela ne m’étonne pas du prince Malko, remarqua suavement le Directeur Adjoint. Vous m’auriez dit qu’il s’intéressait à un mineur de fond, c’eût été plus étonnant.
— Ne faites pas de mauvais esprit, protesta le Directeur des Opérations. Si nous avions beaucoup de chefs de mission de sa trempe la Company se porterait mieux… Étant donné ce qui est déjà arrivé, j’ai bien envie de lui envoyer Jones et Brabeck. Puisqu’ils sont déjà en Europe.
— Accordé ! fit Jeff Miller. Il faut que nous obtenions un résultat. Coûte que coûte. Les Israéliens vont faire jouer leur lobby et ça va être l’horreur…
— Et nous ? protesta le représentant du FBI. On va se faire traîner dans la boue. Dites-moi, les Iraniens ne collaborent bien sûr pas avec l’Irak, mais est-ce qu’il est pensable qu’ils agissent pour le compte des Libyens ?
— Pas impossible, conclut le Directeur des Opérations, mais peu probable. Hélas, nous avons très peu de sources de ce côté. J’ai pourtant activé tous les agents susceptibles de nous apporter un peu de lumière sur cette affaire. On doit me rappeler de Beyrouth aujourd’hui. J’ai alerté aussi le roi du Maroc et surtout les Algériens. Ceux-ci ont déjà répondu : ils ne sont au courant de rien. Si c’étaient les Libyens, je pense qu’ils le sauraient.
Jeff Miller consulta sa montre.
— Messieurs, j’ai un meeting avec des membres du Congrès. Bien entendu, cette affaire doit demeurer secrète le plus longtemps possible. Le président va entrer dans une colère noire si cela sort dans la presse.
Le représentant du FBI secoua la tête avec résignation.
— Vous pouvez faire confiance aux Israéliens ! Ils vont se mettre à couiner dans tous les coins.
Jeff Miller enfournait ses papiers dans sa serviette. Il se tourna vers le Directeur des Opérations.
— Mettez la pression maxima sur la Station de Vienne. Il semble certain que la piste de cette call-girl soit la seule dont nous disposions.
Le jeune duc de Wittenberg avait un rire sot et haut perché qui exaspérait Malko. Ce n’était hélas pas le moment de le lui faire remarquer… Installé dans la bibliothèque du château de Liezen, à côté du plateau de son petit déjeuner, Malko bavardait aimablement avec le jeune homme qu’il avait appelé un peu plus tôt. Apparemment, la pulpeuse Pamela Balzer ne lui avait pas parlé du somptueux bouquet de roses envoyé par Malko après l’accident…
La silhouette légèrement voûtée d’Elko Krisantem apparut à la porte de la bibliothèque, faisant signe à son maître que l’heure passait.
Malko devait aller à l’aéroport de Schwechat accueillir Chris Jones et Milton Brabeck qui arrivaient de Paris. Il devait bien ça à une amitié de longue date. Il décida d’abréger.
— Cher ami, proposa-t-il, que diriez-vous de venir passer le prochain week-end à Liezen avec la dame de votre choix ? Ou même plusieurs dames…
Il ne risquait rien : le jeune aristocrate autrichien était désespérément fidèle à Pamela Balzer. Le rire aigrelet du petit duc éclata désagréablement dans le récepteur, vrillant les tympans de Malko.
— Ach ! Toujours coquin. Vous savez bien que je suis amoureux. J’aurais accepté avec grand plaisir mais nous allons en France ce week-end.
Ah bon ? À Paris ?
Non, chez les Saint-Brice. Ils organisent un bal costumé. Toute l’Europe y sera. C’est à Amboise, à deux cents kilomètres de Paris. Je vais me déguiser en page…
— Vous serez superbe, affirma Malko très sérieusement. Nous nous y verrons peut-être. J’hésitais encore à m’y rendre, mais puisque vous y allez…
À peine eut-il raccroché que Malko se rua sur la cheminée où s’entassaient les invitations. Il dénicha celle concernant le fameux bal masqué et la relut. Il avait autant envie de se déguiser que de faire du deltaplane… Seulement, les appels de la station de la CIA de Vienne se succédaient, de plus en plus pressants. L’enquête sur la call-girl avait commencé presque comme une mondanité, mais il réalisait maintenant que Pamela Balzer était l’unique piste permettant de remonter aux meurtriers de Berchtesgaden et aux voleurs de krytrons. Seulement, pour avancer, il était obligé de procéder très, très doucement. Tout en sachant que chaque minute comptait.
Il fut interrompu dans ses pensées par l’entrée d’Alexandra. Somptueuse dans son tailleur de cuir rouge.
— Je sors, dit-elle sobrement, puisque tu vas t’amuser avec tes singes miteux…
Elle ne portait pas les « gorilles » dans son cœur.
— Où vas-tu ?
— Déjeuner à Vienne.
— Avec un homme ?
— Tu m’as déjà vue déjeuner avec une femme…
— Dans cette tenue ?
Glissant la main le long de sa cuisse, il venait de se rendre compte qu’elle ne portait rien sous son tailleur. Alexandra lui adressa un sourire provocant.
— Tous les hommes ne sont pas aussi audacieux que toi, Lieblich ! Et même si j’en fais bander quelques-uns, tu devrais être fier. Je te promets de bien me tenir. Enfin presque.
— Tu es une merveilleuse salope !
Il se souvenait d’une fois où elle avait vampé un hobereau en visite à Liezen, avec une grande économie de moyens. Alexandra assise en face de lui, le dominant légèrement, s’était contentée d’ouvrir légèrement les jambes en le regardant droit dans les yeux, lui permettant de se régaler de la vue de ses cuisses, des bas, et de ce qu’il y avait au-dessus. Le malheureux avait mis six mois à s’en remettre et avait envoyé assez de fleurs à Alexandra pour lui permettre d’ouvrir une boutique…
Elko Krisantem apparut à la porte de la bibliothèque.
— Un téléphone pour vous, Sie Hoheit.
Malko prit l’écouteur. La voix sucrée et sensuelle de Mandy Brown La Salope lui caressa aussitôt agréablement le tympan.
— Maaalko ! Tu m’as appelée ? Hier matin, j’étais allée jouer au golf ! C’est très amusant et c’est plein d’hommes sportifs, musclés, un régal. Tu joues au golf ?
— Non, dit Malko.
Alexandra se pencha et tapota la touche « haut-parleur » avec un rictus sardonique. Juste à temps pour que la voix langoureuse de Mandy Brown éclate dans la pièce.
— Tu as raison au fond. Moi aussi, je préfère baiser. Surtout avec toi. Tu te souviens à Brunei… Quand j’y pense je suis encore toute trempée. Et à Abu Dhabi, dans la Rolls pendant que ce Khalid se faisait décapiter. Je crois que je n’ai jamais autant joui de ma vie…