Malko avait l’impression que le ciel lui tombait sur la tête par petits morceaux. Il croisa le regard d’Alexandra : celui d’une panthère prête à déchiqueter sa proie. Il voulut lui ôter la main du téléphone, mais elle lutta silencieusement et finit par enfoncer de toutes ses forces ses dents dans la main de Malko. Celui-ci poussa un cri auquel répondit le roucoulement langoureux de Mandy Brown.
— Tu jouis déjà ! Attends, j’ai à peine eu le temps de me caresser. Tu sais que je suis dans mon grand lit avec des draps de soie rose. Comme ça glisse, j’ai fait coudre des étriers pour s’accrocher les pieds. On baise encore mieux.
— Qui est cette pouffiasse ? hurla Alexandra assez fort pour que Mandy Brown entende.
Un ange passa et s’enfuit à tire-d’aile, le silence se prolongea quelques secondes, puis la jeune Américaine demanda d’une voix dangereusement calme.
— Je n’ai pas entendu le mot « pouffiasse » par hasard ? Tu es avec ta femme de chambre, honey ?
Malko crut qu’Alexandra allait arracher le fil du téléphone. Penchée sur le combiné, elle hurla.
— J’ai dit « pouffiasse » et j’aurais pu ajouter pute. Et c’est encore trop gentil.
— Is that so[14] ?
Mandy Brown avait même réussi à attraper l’accent d’Oxford. Conservant un calme olympien et vipérin, elle enchaîna aussitôt.
— Malko chéri, ta bonne est vraiment trop vulgaire. Ce n’est pas parce que j’adore avoir ta grosse queue au fond de ma petite chatte qu’elle peut se permettre de me parler sur ce ton.
— Sale petite pute ! hurla Alexandra, en arrachant le fil du téléphone.
Ses yeux flamboyaient. D’un coup d’escarpin bien ajusté, elle pulvérisa un vase chinois de l’époque Ming. Le coup suivant était destiné à écraser les parties vitales de Malko, qui réussit à l’éviter. Le pied de la jeune femme heurta le bois d’un fauteuil Régence et elle recula avec un hurlement de douleur.
— Salaud ! En plus, tu me fais mal !
La mauvaise foi, à ce niveau, méritait largement une médaille d’or.
— Calme-toi ! essaya de plaider Malko, Mandy plaisantait. Elle te faisait marcher. Nous ne…
Plantée en face de lui, Alexandra rugit.
— Eh bien moi, je ne vais pas te faire marcher ! Je vais me faire baiser par tous ceux qui voudront de moi aujourd’hui. Et je déjeune avec cinq hommes qui me font tous la cour.
Elle sortit de la bibliothèque en claquant si fort la porte qu’un vase de cristal bascula et se brisa. Quelques instants plus tard, Malko entendit le moteur de la Volkswagen démarrer rageusement. La tornade s’éloignait. Contournant les débris de porcelaine, il alla décrocher le téléphone de l’entrée. Mandy Brown était toujours au bout du fil.
— Tu as eu des problèmes avec ta bonne ? demanda-t-elle avec une candeur hypocrite.
— Mandy, fit Malko, je savais que tu étais une horrible salope, mais-là, tu t’es surpassée… Ce n’était pas la bonne, mais Alexandra. Et…
— Elle n’était pas bonne avant de baiser avec toi ?
Sa voix avait la froideur du marbre. Visiblement, elle prenait son pied. Sentant que Malko était de mauvaise humeur, elle demanda d’une voix redevenue merveilleusement douce :
— À propos, pourquoi m’appelais-tu ?
Il y avait un zeste de méfiance dans sa voix. Chaque fois que Malko avait fait appel à elle, c’était pour la plonger dans des histoires plutôt glauques où, sans son don inouï pour la survie, elle aurait laissé sa peau. Alors qu’elle s’en sortait avec quelques millions de dollars. Il n’était évidemment pas question de lui expliquer qu’à travers elle, Malko espérait remonter à des gens qui avaient déjà assassiné six personnes.
— Pour t’emmener à un bal costumé, annonça Malko.
Il avait d’abord projeté d’inviter Mandy Brown à Liezen. Il fallait quelqu’un pour tirer les vers du nez à Pamela. Mandy, une fois briefée, serait parfaite… Maintenant, ça devenait plus compliqué.
Un ange plana longuement dans la pièce.
— Un bal… quoi ? demanda Mandy Brown prise à contre-pied.
— Déguisé, si tu veux.
— Comme le Muppet show ! s’exclama Mandy Brown, ravie.
Elle n’allait jamais au cinéma, ne connaissant que la télé.
— Pas vraiment, dit Malko. C’est en costumes d’époque.
— Quelle époque ?
— Renaissance.
— C’est une époque, ça ?
— Il paraît, et c’est très joli pour les femmes. Tu seras superbe !
— C’est chez toi, avec ta panthère ?
— Non, pas vraiment, corrigea-t-il. Chez des amis en France.
— En France ! s’exclama Mandy. J’y suis jamais allée. Il paraît que c’est plein de vignes et que les mecs te sautent dessus en mangeant des grands morceaux de pain. C’est tous des cochons.
— Mandy, corrigea Malko, tu éveilles chez tous les hommes le goret qui sommeille en eux.
— C’est vrai ?
Elle ronronnait.
— Alors, tu viens ?
Le silence se prolongea tellement qu’il crut la communication interrompue. Jusqu’à ce que Mandy Brown demande d’une voix chargée à ras bord de méfiance.
— Dis-moi, ton bal costumé, ça cache quoi ? La dernière fois, tu m’as fait faire le tour du monde pour me faire rencontrer une bande de dégénérés qui marchaient tout juste sur leurs pattes de derrière.
— Ne sois pas raciste, corrigea gentiment Malko. Le prince Mahmoud a été charmant avec toi.
— C’est vrai, reconnut Mandy, il me défonçait comme un marteau-piqueur avec son énorme truc, mais c’est quand même un chimpanzé. Alors, tu me dis la vérité ? Où est le loup ?
— Il n’y a pas de loup, affirma Malko. J’avais envie de te revoir. Je pensais aller à ce bal avec Alexandra et toi, mais je crois que nous ne serons que tous les deux.
— Tu pensais mal ! coupa sèchement Mandy Brown. Jamais je n’aurais été avec cette bonniche… D’ailleurs ton truc en costume, ça me fait gerber. C’est trop compliqué. Si tu veux me voir, viens à Londres, on baisera tout le week-end.
— Viens, insista Malko ; il y aura toute l’aristocratie européenne, les plus vieilles familles.
— C’est vrai, demanda Mandy d’une toute petite voix, tu ne vas pas m’entraîner encore dans un coup fourré ?
Elle était comme une midinette. Dès qu’on parlait de Bottin mondain, elle fondait. C’était son talon d’Achille.
— Je te présenterai à tous les nobles célibataires du continent, continua Malko.
Mandy Brown émit un gros soupir.
— Bon, tu vas encore me baiser ! De toute façon, j’avais un problème pour le week-end : j’avais promis à deux mecs de le passer avec eux. Comme ça, je me brouille avec les deux. On se rejoint où ?
— À Paris, proposa Malko. Je vais arranger cela.
— C’est chouette de m’inviter. Je vais m’acheter un truc Renaissance. J’espère qu’ils ont ça, ici, soupira Mandy Brown. Je croyais que tu m’avais oubliée.
— On ne peut pas t’oublier, assura Malko. À propos, il y aura quelqu’un que tu connais peut-être, là-bas.
— Ah bon, qui ?
— Une certaine Pamela Balzer.
— Connais pas.
— Tu l’as peut-être rencontrée quand elle s’appelait Pamela Singh…
Mandy Brown eut un rugissement joyeux.
— Pamela ! C’est pas vrai ! Tu la connais ?
— Un peu. Pourquoi ?
— C’est un sacré numéro ! Quand elle a débarqué à Londres, elle avait juste une culotte et pas un rond. Elle se faisait passer pour star du cinéma indien. Elle n’avait jamais tourné que dans des pornos, mais elle avait un cul inouï, une gueule superbe avec ses grands yeux noirs et l’air d’une sainte-nitouche. Plus des dents qui traînaient par terre… En un rien de temps, elle connaissait tout Londres. On s’est rencontrées et elle a voulu me piquer mon mec. Comme j’en avais rien à foutre, ça m’a amusée et nous sommes devenues copines. Mais c’est une dure, qui en a bavé. Elle hait les hommes. Il faut dire qu’elle a dû en avaler des kilomètres de bites…