— Alors ? demanda Ibrahim qui transpirait à grosses gouttes dans sa cabine.
Tarik Hamadi prit sa décision en une fraction de seconde.
— Liquide-la, dit-il. Le plus vite possible et discrètement. Ensuite, tu iras te reposer à Bagdad quelque temps. Tu commences à être trop connu par ici.
Ibrahim Kamel remercia chaleureusement. Il aurait préféré aller se reposer à Paris, mais on ne discute pas les ordres de son chef. Il raccrocha et quitta la poste, pensif.
Comment liquider discrètement Pamela Balzer ? Sans se l’avouer, il espérait bien se payer sur la bête avant de la tuer. Comme avec Heidi Ried. C’étaient quand même des moments bien agréables. Il regagna la Ford Escort où l’attendait son ami Selim qu’il mit au courant.
— On va agir ce soir, annonça-t-il. Tu m’accompagneras. Je monterai seul.
Aucun problème, Pamela Balzer le connaissait et il lui transmettait souvent des messages de son chef. Elle ne se méfierait pas. Seul, il pourrait se payer quelques moments agréables avec elle avant de la tuer. Personne n’en saurait jamais rien. Au contraire, cela permettrait de déguiser son exécution en crime de sadique.
— Ils ont conduit la voiture dans un garage privé, annonça Chris Jones. Une autre les suivait. Une Ford Escort dont j’ai le numéro.
— Qui conduisait ? demanda Malko.
Un type petit, aussi large que haut, avec une grosse moustache. Plutôt chauve et enfouraillé. Ça se devinait sous sa veste.
Malko nota le numéro. Il était en train de déjeuner au restaurant du Sacher. Seul. Se demandant si Alexandra allait mettre ses menaces à exécution.
— Très bien, dit-il. Rejoignez-moi à l’ambassade, après le déjeuner.
— Je n’en reviens pas, avoua le chef de station de la CIA. Et je ne suis pas le seul. J’ai envoyé un rapport à Langley concernant l’implication des Services irakiens dans cette affaire et ils me croient tout juste. Pourtant, il n’y a plus aucun doute.
— Vous en savez plus sur eux ?
— Nous sommes en train de chercher. Leur centre nerveux se trouve à Genève. Ils sont très bien implantés à Londres, Paris et Bruxelles, également. Mais leurs réseaux sont discrets : il ne s’agit pas de terrorisme, seulement de marchés d’armes et d’exécutions d’opposants en exil. Ils ont une douzaine de tueurs qui parcourent l’Europe. Nous ignorons malheureusement leur identité.
— Ce sont eux qui ont commis les six meurtres et la tentative contre moi, avança Malko. Et à mon avis, ils s’apprêtent à en commettre un septième.
— Vous ?
— Non. Pamela Balzer.
Jack Ferguson fronça les sourcils.
— Vous croyez vraiment ? Elle travaille avec eux. Pourquoi la liquideraient-ils ?
— Farid Badr aussi travaillait pour eux, fit remarquer Malko. Ils l’ont tout de même liquidé.
— Que suggérez-vous, concernant la menace qui pèserait sur elle ?
— La protéger, répondit Malko. Sans qu’elle s’en doute. De toute façon, elle part après-demain au bal d’Amboise où nous allons aussi. Il peut se produire quelque chose avant. Ensuite, ils ne tenteront plus rien. Chris et Milton peuvent très bien se charger de cette mission. Je sais que demain elle déjeune avec son amant et qu’elle passe ensuite la soirée avec lui. Mais il reste ce soir.
— OK, approuva Jack Ferguson. Donnez vos instructions à Chris et Milton.
La sonnerie sur son bureau se déclencha et il répondit.
— Les voilà, dit-il.
Cinq minutes plus tard, les deux gorilles pénétraient dans le bureau.
— J’ai un nouveau job pour vous, annonça Malko : baby-sitter.
— Pour vous ?
— Non, pour une ravissante créature.
Il leur tendit la photo de Pamela Balzer au bar du Bristol. Avec ses yeux immenses, très écartés, et son nez droit et plat, elle ressemblait vaguement à Jackie Kennedy. Malko expliqua aux deux Américains en quoi consistait leur mission.
— C’est de la protection active ou passive ? demanda Chris.
— Les deux, fit Malko. Si vous la sentez vraiment en danger, vous intervenez. Voilà son adresse. Si elle sort, vous la suivez. Si quelqu’un de suspect se présente, prévenez-moi. Je serai au Sacher, soit au restaurant, soit dans ma chambre.
Pamela Balzer était en train de dîner d’une banane et d’une tasse de thé, installée à une superbe table basse composée d’un plateau de verre supporté par deux défenses d’éléphant qu’elle avait commandée à Paris chez Claude Dalle, le décorateur le plus en vogue du moment, lorsque le téléphone sonna. Peu de gens avaient sa ligne et, à cette heure-ci, ce n’était pas un client. Quant à son amant, il était retenu à un dîner de famille. Elle décrocha et fit « allô ».
— Bonsoir, fit la voix d’Ibrahim Kamel. Je vous appelle de la part de Mr Tarik. Il voudrait que je vous dépose quelque chose tout à l’heure. Cela ne vous dérange pas ?
La call-girl n’ouvrait jamais le soir si elle n’était pas prévenue, mais Ibrahim travaillait pour un de ses plus gros clients. Un peu intriguée, elle n’hésita pas à répondre.
— Bien sûr, ne venez pas trop tard, je veux me coucher tôt.
— Je serai là dans une demi-heure, annonça l’Irakien.
Malko était en train de terminer son café lorsque le maître d’hôtel l’avertit qu’on le demandait au téléphone. Ce ne pouvait être qu’un des deux « gorilles ». Il se hâta de gagner la cabine capitonnée et prit l’écouteur.
— Allô ?
— C’est Chris !
Le « gorille » semblait très énervé. Depuis deux heures, il planquait Schubertring, avec pour seule distraction une minuscule télé Seiko portable, grosse comme trois paquets de cigarettes, posée sur le tableau de bord.
— Que se passe-t-il ? demanda Malko.
— Un type vient d’entrer dans l’immeuble. Celui qui a conduit la BMW chez le garagiste. Il y en a un autre qui l’attend dehors dans une bagnole. Qu’est-ce qu’on fait ?
Cette visite ne disait rien de bon à Malko.
Le temps d’arriver, les Irakiens auraient dix fois le temps de liquider Pamela. Une intervention directe des deux gorilles risquait de tourner à la confusion. Mais, Pamela Balzer disparue, toute chance de remonter la piste irakienne disparaissait.
— Où êtes-vous ? demanda-t-il.
— Dans une cabine à trente mètres de l’immeuble.
— Rappelez-moi dans trois minutes.
Il raccrocha et composa le numéro de Pamela Balzer.
Ibrahim Kamel était immobile comme une statue dans l’entrée de l’immeuble, le sas avant les interphones. Essayant de se remettre du choc qu’il venait d’éprouver. Il avait trop d’expérience pour ne pas comprendre que les deux armoires à glace en planque devant l’immeuble étaient soit des policiers, soit des gens comme lui. Tout sauf des amis… Et comment connaissaient-ils ses plans ? C’était diabolique, il n’en avait parlé à personne. Ou bien la call-girl s’était-elle doutée de quelque chose ? Les pensées s’entrechoquaient sous son crâne. À cette heure, impossible de joindre son chef. Le mieux était de différer l’opération, mais cette surveillance ne lui disait rien qui vaille. Si Pamela Balzer tombait entre les mains de la CIA, lui n’avait plus qu’à s’enfuir au bout du monde : il valait encore mieux affronter la police autrichienne… Il tâta machinalement sa poche revolver où il dissimulait son Skorpio, une véritable petite mitrailleuse.