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— Non. Pour trois raisons. D’abord, El Abbas ne peut pas porter une charge suffisante. Ensuite, sa précision est très relative. Et, enfin, ces salauds de sionistes possèdent un système de défense anti-missiles très sophistiqué, capable d’arrêter nos engins.

— Mais alors, comment allez-vous faire ? Vos chasseurs bombardiers sont encore plus vulnérables.

L’Irakien regarda la salle vide autour de lui, comme s’il craignait un espion invisible, et, baissant encore le ton, chuchota sa confidence :

Nous avons pratiquement résolu le problème. Grâce à un balisticien de génie qui travaille avec nous depuis des années. Tu n’as jamais entendu parler d’un certain Georges Bear ?

— Jamais.

— Tu le rencontreras peut-être un jour. Il se trouve à Vienne en ce moment et je vais l’y rejoindre. Il a conçu un canon géant.

— Un canon !

Tarik Hamadi montra toutes ses dents, éblouissantes de blancheur, dans un sourire féroce.

— Oui, mais pas n’importe quel canon. Un canon géant au tube de cinquante mètres de long qui peut tirer un projectile d’une tonne à plus de trois cents kilomètres.

— Une charge nucléaire ?

— Oui, ou chimique. Et le système sioniste anti-missiles « Patriot » ne peut pas arrêter un tel projectile. Cela fait plus d’un an que nous travaillons à ce projet. Georges Bear a commandé dans les pays d’Europe les différentes sections de son tube et le mécanisme de recul. Une partie vient d’Autriche, c’est la raison pour laquelle il se trouve à Vienne.

— Vous l’avez déjà assemblé ?

— Sur les cinquante-deux pièces nous en avons déjà quarante-huit. Trois tubes ont déjà été assemblés dans des emplacements secrets, enterrés pour échapper aux bombardements des Sionistes.

Farid Badr avait du mal à dissimuler son scepticisme.

— Tu es sûr que ça va marcher ? Ce n’est pas un rêveur, un fou… ?

— Non. Il avait déjà construit deux exemplaires d’un canon un peu moins puissant. L’un a été installé à La Barbade et a expédié un satellite à 180 kilomètres d’altitude. Et il a conçu, depuis, un canon de 155 à tir rapide très performant, que nous avons utilisé pendant la guerre[2].

— Je voudrais bien en voir tirer un, fit rêveusement Farid Badr.

— Dans quelques semaines, affirma Tarik Hamadi. Il ne reste plus qu’à acheminer la culasse et le mécanisme de recul. Ensuite…

Il laissa sa phrase en suspens, avisant un homme roux qui les observait de la grande salle. Celui-ci fit demi-tour et se perdit dans la foute.

Le ciel était en train de se couvrir et tes touristes commençaient à faire la queue devant l’ascenseur. À cette altitude, les changements de temps étaient très brusques.

Mis en alerte par la présence de l’inconnu en costume local, Farid Badr repoussa son assiette avec un sourire un peu contraint.

— Pourquoi m’avoir donné rendez-vous id ? Je me suis tapé une heure de voiture depuis Munich. On n’aurait pas pu se retrouver au Vierjahrezeiten[3] ? C’est plus confortable et plus discret…

Tarik Hamadi eut un sourire féroce.

— Je l’ai fait exprès. Pour nous porter bonheur. C’est ici qu’il y a cinquante ans, le jour de son anniversaire, Adolf Hitler a juré l’élimination des Sionistes. Ce qu’il appelait la solution finale. Il a en partie échoué, mais nous sommes là pour reprendre te flambeau. Grâce à Osirak, Inch Allah, la Palestine sera bientôt le tombeau des Sionistes et nos frères palestiniens pourront enfin retrouver la terre qui leur a été volée.

Penché en avant, Tarik Hamadi parlait avec une violence contenue. Farid Badr savait qu’il ne s’agissait pas d’une menace à la légère. Occupant un rang très important dans les services secrets irakiens, il était responsable de toutes les opérations clandestines en Europe et ne prenait d’ordres que de deux hommes : le président Saddam Hussein et le général Saadoun Chaker, en charge des activités irakienne tes plus secrètes. Même le fils de Saddam Hussein, Ouadai Hussein, ne savait rien du plan Osirak.

— Mais tu vas prendre le risque de détruire Al Qods[4] ? s’inquiéta Farid Badr.

Tarik Hamadi eut un haut-le-corps indigné et faillit s’étrangler avec son Apfelstrudel.

— Jamais. Le musulman qui commettrait, ce crime serait maudit jusqu’à la fin des siècles. Non, notre projet est d’envoyer un projectile nucléaire sur Tel-Aviv, qui est éloigné de quarante kilomètre » de Al Qods ; grâce à la précision du canon inventé par Georges Bear, c’est possible. Sans risque d’erreur. La déflagration tuera quelques dizaines de milliers de Sionistes. Ceux-ci seront ensuite tellement affaiblis et choqués qu’ils accepteront de rendre les terres qu’ils ont volées. Si ce n’était pas le cas, nous les y contraindrions en leur expédiant d’autres bombes. Avec trois projectiles tirés par nos canons, il ne restera d’Israël que des cendres, tout en protégeant notre bien-aimé Al Qods…

Le silence retomba. Mais Farid Badr, en bon Libanais à l’esprit pratique, voulut savoir :

— Et si les Sionistes ripostent ? Ils en ont les moyens.

— Ils n’en auront pas le temps, trancha Tarik Hamadi. Ils ignorent tout de ces merveilleux canons. Même si c’était le cas, nous aurions des milliers de martyrs mais Israël n’existerait plus. La Nation arabe tout entière nous aiderait alors à reconstruire notre pays.

Là, Farid Badr se dit qu’il versait dans le lyrisme oriental. Certes, la plupart des pays arabes approuveraient la « vitrification » d’Israël, mais de là à ce qu’ils aident l’Irak… Saddam Hussein était craint mais pas vraiment aimé. Quand il n’était pas franchement haï, par ses voisins comme la Syrie, l’Iran, ou l’Arabie Saoudite. L’héroïsme guerrier de Tarik Hamadi venait de sa certitude de diriger l’opération Osirak bien à l’abri derrière dix mètres de béton. Le courage n’excluant pas la prudence… En tout cas, Farid Badr avait touché dix millions de dollars via une banque d’Atlanta, pour la fourniture des krytrons et se lavait les mains de la suite des événements.

Laissant son Apfelstrudel, Farid Badr consulta sa montre.

Il va falloir redescendre, dit-il. Je retourne à Paris dès ce soir à 20 heures. Tu pourras me joindre au Plaza Athénée.

Tarik Hamadi aimait bien Paris, parlant français parfaitement. Et il s’y sentait en sécurité pour y traiter cette affaire : grâce à de longues relations commerciales avec l’État français, l’Irak y était plutôt bien traité. Comme à Londres d’ailleurs, où les Services britanniques fermaient les yeux sur bien des choses, par haine de l’Iran. Sans les Anglais, l’Irak n’aurait jamais pu construire l’usine d’obus chimiques dont Saddam Hussein était si fier. L’essai sur sa minorité kurde en rébellion avait été concluant : rien ne survivait à un arrosage bien préparé et c’était d’un prix très abordable. Évidemment, cela n’avait pas l’impact d’une bombe nucléaire. Or, le rêve de Saddam Hussein était clair : il voulait, définitivement, effacer Israël de la carte.

L’Irak était l’ennemi héréditaire de l’État hébreu. Peuplé à 80 % de Chiites, ayant sur son territoire la plupart des lieux saints du chiisme, dont le Mausolée de Karbaia, la croisade anti-Sioniste de Saddam Hussein trouvait un écho profond, dans son pays aux habitants encore frustes et illettrés. À leurs yeux, c’était vraiment le Jihad, la guerre sainte. Les Irakiens se moquaient des Palestiniens dont ils n’épousaient la cause que pour des raisons politiques.

État relativement moderne, l’Irak n’était pas intégriste, en dépit de ses Chiites. En son for intérieur, Tarik Hamadi se moquait bien de Al Qods et des incantations religieuses des croyants fanatisés.

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2

Iran-Irak

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3

Grand hôtel de Munich.

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4

Jérusalem.