Un spectacle… Entravée par sa robe de cuir, elle avançait à tout petits pas, très droite, le diadème vissé sur la tête. Le cuir moulait sa chute de reins d’une façon quasi obscène. Cette masse noire, ronde et cambrée se balançant harmonieusement, éclipsait les plus beaux déguisements, déclenchant des envies de viol sur son passage. L’évêque, abandonnant une noble dame à la tenue plus stricte, se précipita et lui offrit son bras pour gravir la pente herbue.
Son autre main, passée autour de la taille de Mandy, glissa, frôlant la chute de reins. Mandy gloussa et lui jeta un regard allumé. Depuis son arrivée, elle n’avait qu’une idée : regarder sous les pourpoints ce que moulaient les hauts-de-chausses. Arrivée sur l’esplanade entourant le château, elle remercia son évêque d’une œillade à lui interdire définitivement le paradis et se mit à parcourir les groupes à la recherche de Pamela Balzer.
Suivie à la trace par le pourpoint marron du propriétaire d’une galerie d’art abstrait, subitement en rut devant cette apparition sulfureuse.
Malko, d’un des buffets où il venait de se faire servir une coupe de Moët, observait Mandy Brown. Quelle joie c’eût été de se trouver à ce bal sans rien d’autre à faire que s’amuser à courtiser les belles déguisées. Ces costumes ajoutaient une note érotique à l’anonymat relatif qu’ils procuraient. Avant l’aube, les frondaisons du parc risquaient d’en voir de belles.
Il regarda autour de lui. Personne ne pouvait soupçonner que cette fête fastueuse abritait une équipe de la CIA en mission. Ni quel était l’enjeu de leur présence. Les six cadavres qui avaient jalonné le début de cette affaire gâchaient à Malko le goût de la fête. Pamela Balzer allait-elle dire ce qu’elle savait à Mandy Brown ?
Chapitre VIII
Pamela Balzer ressemblait à une princesse orientale avec son teint mat, ses longs cheveux tressés en nattes avec des perles et ses immenses yeux noirs.
Sa robe de cour, marron au décolleté carré, étranglait sa taille et rebondissait en flots de velours et de dentelles. La plus belle femme de la soirée. Kurt de Wittenberg, avec une fraise et un pourpoint pourpre, avait grande allure. Lorsqu’il aperçut Mandy Brown se diriger vers eux, tous seins dehors, ondulant dans son fourreau de cuir, son cerveau se mit à bouillir.
— Qu’est-ce que c’est que cela ?
Mandy Brown, à part le diadème, n’était guère déguisée, ce qui ne semblait gêner en aucune façon les mâles de la soirée. Son regard humide effleura à peine Wittenberg pour se poser sur Pamela Balzer.
— Pamela ! Qu’est-ce que tu fais là ?
Pamela Balzer mit quelques secondes à la situer. Puis la mémoire lui revint d’un coup.
— Mandy !
Elles s’embrassèrent comme du bon pain et elle la présenta à son fiancé.
— Marquise Mandy de Hartford. Une vieille amie du temps où je vivais à Londres.
Mandy la Salope avait beau ressembler à une marquise comme une merguez à une tranche de foie gras, Kurt de Wittenberg profita de son baise-main pour plonger sur les seins laiteux à s’enfoncer le nez dedans, se demandant brutalement si Pamela était le bon choix. Celle-ci lui fut aussitôt arrachée par Mandy qui se contenta de lui jeter :
— Excusez-nous, nous avons des tas de choses à nous raconter.
Pamela se laissa faire. Mandy savait beaucoup, beaucoup de choses sur elle. Inutile qu’elle aille donc les raconter à trop de gens. Les deux femmes se mirent à bavarder autour du buffet, après avoir commandé une coupe de Moët et un Cointreau. L’évêque continuait à rôder autour de Mandy, prêt, de toute évidence, à se défroquer au premier prétexte. Quant à l’amateur d’art abstrait, il se demandait comment il pourrait entraîner Mandy hors de cette foule sans avoir recours à une violence déplacée dans cet environnement serein.
— Avec qui es-tu ? demanda Pamela à Mandy Brown, après avoir trempé les lèvres dans son Cointreau.
— Oh, avec un copain que j’ai perdu en route, fit Mandy.
Elle n’avait pas changé. Pamela sourit avec indulgence.
— Et toi ? demanda Mandy. Toujours avec tes Arabes ?
Pamela Balzer tiqua. Voilà le genre de questions qu’elle voulait éviter en public. Ce n’était pas la peine de changer de ville pour être poursuivie par son passé. Comment Mandy Brown s’était-elle introduite dans cette soirée super-mondaine où les invités étaient triés sur le volet ?
— Moi, je crois que je vais me marier, annonça-t-elle. Avec le garçon qui m’accompagne.
Mandy eut une moue curieuse.
— Il est pas mal. Il te tire bien ? Il a du blé ?
— Il a beaucoup, beaucoup d’argent et il baise merveilleusement bien, affirma Pamela.
Mandy se fit remplir de nouveau sa coupe de Moët et lui donna un coup de coude amical.
— Allons, je sais bien ce que tu aimes…
Comme toutes les grandes putes, Pamela était plutôt lesbienne et avait un jour dévoré Mandy de façon très convenable, lui faisant ses confidences au passage. Ça amusait Mandy qui avait toujours préféré les hommes. Pamela se renfrogna et dit de sa vraie voix, vulgaire et cassante :
Arrête tes conneries, veux-tu ?
Mandy Brown se le tint pour dit. Ça faisait toujours un argument au cas où Pamela serait réticente à livrer ses petits secrets. Avec un sourire enjôleur, elle demanda :
— Parle-moi un peu de ta vie. Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Tu as bien d’autres mecs, non…
Pamela Balzer, très droite, lui jeta un regard détaché.
— Pas beaucoup ! Tu sais, Vienne est une petite ville… J’ai gardé quelques copains.
De l’équipe de Londres ?
Certains.
Visiblement, elle était hyper-prudente. Les héraults annonçant le dîner les interrompirent. Gentiment, Pamela proposa :
— Viens te mettre avec nous, si tu ne retrouves pas ton jules.
Tendu par l’angoisse, Malko n’aurait pas pu avaler un petit pois. Ils étaient à table depuis une demi-heure et il avait perdu Mandy de vue, car elle se trouvait de l’autre côté de l’estrade centrale, où avaient lieu diverses attractions d’époque. Pour l’instant, un quatuor composé d’une flûte, d’une viole, d’un tambourin et d’une cornemuse, jouait un vieil air, face à la table du Roi et de Léonard de Vinci… À l’anxiété s’ajoutait la faim. On ne leur avait encore pratiquement rien servi… À part quelques rillettes.
À côté de lui, Chris et Milton en étaient réduits à ronger leurs assiettes de bois, au bord de l’évanouissement.
Elko Krisantem avait trouvé un morceau de pain rassis qu’il mâchait courageusement, sans adresser la parole à ses voisins, de peur de commettre un impair.
Pour Malko, l’attente devenait interminable. Il se sentait totalement décalé par rapport à tous ses voisins qui oubliaient leur faim en plaisantant. Soudain, il sursauta : la longue silhouette noire de Mandy Brown se faufilait entre les tables, déclenchant sur son passage un flot de pensées lubriques. La jeune femme rejoignit Malko et se pencha à son oreille.
— C’est dur ! annonça-t-elle. Ou elle se doute de quelque chose ou elle a vraiment peur. Je ne lui sors aucune information.