— Comment vous en êtes-vous sortie ?
— Je l’ai tué, dit-elle simplement. Un jour où il avait bu. Avec un kriss, je lui ai coupé son sexe monstrueux et il a saigné à mort. Jamais je n’ai été aussi heureuse.
Il n’y avait rien à ajouter…
Malko alla prendre sa douche à son tour. Il avait hâte d’être à Vienne. Maintenant, il savait de façon certaine à qui il avait affaire. Ignorant encore pourquoi les Irakiens avaient réagi avec tant de férocité. Ce n’était pas à cause des krytrons. Pamela ignorait tout de cette histoire.
Chris Jones pénétra dans la chambre, après avoir frappé. De mauvaise humeur.
— J’ai demandé un breakfast, expliqua-t-il. On m’a juste amené deux bouts de pain et un peu de café… C’est pas étonnant qu’ils soient tout petits, ces Français… Qu’est-ce qu’on fait ?
— Vous venez à Vienne, dit Malko. Les Irakiens n’ont sûrement pas renoncé à liquider Pamela.
— On pourra aller voir votre château ?
— Si tout se passe bien, oui. Dépêchez-vous, nous partons dans deux heures.
Pamela Balzer faisait la gueule. Oublié le moment de détente de la matinée. Plus ils approchaient de chez elle, plus on la sentait mal à l’aise. Elle finit par se tourner vers Malko et lui dire :
— Écoutez, je crois que vous me menez en bateau ! Je ne veux pas me mêler de vos affaires. Si je vous donne ce numéro ils vont me tuer. Laissez-moi m’expliquer avec eux.
— Ils risquent de vous tuer de toute façon, protesta Malko. Vous en savez trop.
Ils étaient arrivés devant le 42 Schubertring. Avant qu’il puisse l’en empêcher, Pamela Balzer avait sauté à terre et courait vers sa porte ! Chris Jones bondit derrière elle. Grâce à l’avance qu’elle avait prise, elle eut le temps de se ruer dans l’ascenseur. Le « gorille » s’élança dans l’escalier à sa poursuite. Malko et Milton Brabeck arrivaient derrière. Si Pamela s’enfermait chez elle cela lui donnerait le temps de détruire le papier avec le téléphone de Georges et, à moins de lui arracher les ongles, c’était foutu…
Lorsque Chris Jones atteignit les dernières marches avant le palier du troisième, ce fut pour voir Pamela fourrager dans sa serrure. Elle poussa le battant au moment où Chris, d’un ultime effort, plongeait comme un joueur de rugby et la plaquait au sol.
La call-girl tomba avec un hurlement de rage qui, une fraction de seconde plus tard, fut noyé dans une explosion assourdissante ! Un nuage de feu, de fumée et de poussière, chargé de divers débris franchit la porte, tandis que des projectiles de tous ordres criblaient les murs à hauteur d’homme. Milton Brabeck et Malko, pourtant un étage plus bas, ressentirent un souffle brûlant. Tout l’immeuble vibra.
— Holy shit ! murmura Milton, sortant son arme à tout hasard. Qu’est-ce qui se passe ?
Le silence était retombé. On entendit des portes s’ouvrir, des gens s’interpeller plus bas. Malko rejoignit Chris et Pamela en train de se relever, couverts de poussière. La call-girl sanglotait convulsivement en regardant son appartement dévasté. La bonbonnière rose ressemblait à un bunker pris d’assaut. Il ne restait que des morceaux de fer tordus d’une splendide table basse de Claude Dalle.
Chris Jones arracha un rideau qui brûlait et, avec un extincteur, Milton acheva d’arrêter l’incendie naissant.
La porte s’était volatilisée en petits morceaux, comme les vitres et la plupart des objets.
Pamela se laissa tomber sur un canapé aux coussins brûlés. Affolée.
— Mon Dieu ! Qu’est-ce qui est arrivé !
— On a essayé de vous tuer, fit simplement Malko. Un vieux truc de Beyrouth. Il y avait une charge explosive collée sur le battant de la porte, à l’intérieur. En rabattant celle-ci contre le mur, vous avez enfoncé le détonateur… Si Chris ne vous avait pas jetée à terre, vous auriez été déchiquetée.
Des gens commençaient à arriver, muets de stupeur. À Vienne, on n’était pas habitué aux attentats. Pamela croisa le regard de Malko et fondit soudain en larmes. L’odeur âcre de l’explosif et de la poussière, mêlée aux relents d’incendie, rendait l’atmosphère irrespirable.
— Je vous demande pardon, murmura-t-elle. Je ferai ce que vous voulez…
— Ne restons pas ici, conseilla Malko. Prenez le papier et venez. On parlera à la police plus tard.
Pamela Balzer se leva et gagna sa chambre d’une démarche mal assurée. Elle n’eut pas à ouvrir la porte : celle-ci n’existait plus… Le grand lit « Art Déco », autre création de Claude Dalle, était jonché de débris, sa luxueuse soierie transformée en chiffon noirci et son bois des îles, de la loupe d’amboine, réduit en copeaux.
Malko la vit déplacer un tableau dissimulant un petit coffre et l’ouvrir. Elle en sortit deux sacs de cuir et referma.
— Je vous suis, dit-elle simplement.
Elle avait vieilli de dix ans en cinq minutes… En bas, ils se heurtèrent à une Golf verte de la police et aux pompiers. Malko expliqua qu’il y avait eu un attentat inexpliqué et qu’il emmenait Pamela Balzer, choquée, à l’hôpital. Trente secondes plus tard, ils roulaient vers Liezen. Le meilleur endroit pour se sentir en sécurité. Si Alexandra était revenue, cela risquait de faire des étincelles, mais Pamela Balzer était son « assel » le plus précieux.
Fatima Hawatmeh commença à ranger soigneusement ses affaires dans la penderie de sa chambre de l’Intercontinental, puis se fit couler un bain. Avec ses courts cheveux noirs, ses yeux de braise, son nez bien refait, sa bouche sensuelle, ses bijoux à tous les doigts, ses colliers, son bronzage impeccable, elle ressemblait à toutes les Libanaises aisées qui parcouraient l’Europe, essayant d’oublier le calvaire de leur pays. Sa haute taille, ses épaules larges et ses longues jambes lui donnaient une allure sportive, adoucie par une poitrine plus qu’honnête et des hanches de baiseuse. Elle se contempla quelques instants dans la glace. À l’aéroport, un homme d’une cinquante d’années l’avait carrément abordée pour l’inviter à dîner. Elle avait d’ailleurs conservé sa carte. Avec son pull blanc qui écrasait un peu ses seins et le « caleçon » en fausse panthère moulant des jambes parfaites, elle se savait parfaitement attirante.
D’ailleurs, une brève aventure ne la rebutait pas, au contraire. Sexuellement, elle était parfaitement normale, bien que ne voyageant jamais sans un vibrateur qui lui servait parfois de somnifère…
Elle prit son bain et en était à peine sortie qu’on frappa à sa porte. Elle alla ouvrir, enveloppée dans un peignoir blanc. Un petit moustachu lui adressa un sourire et lui tendit une mallette avant de faire demi-tour sans un mot.
Fatima referma, verrouilla et alla ouvrir la mallette sur son lit. À l’intérieur, elle était doublée en mousse, avec plusieurs alvéoles. Il y avait un Walther PKK. avec son silencieux, deux mini-charges de Semtex avec des détonateurs miniaturisés, trois aiguilles imbibées d’un poison aussi violent que le curare et qui pouvaient être fixées sur divers objets, des produits de maquillage, des perruques, une paire de lunettes comportant un émetteur récepteur-radio et deux stylos-pistolets semblables à celui qu’elle avait utilisé pour tuer Farid Badr à Roissy.
Fatima n’était pas libanaise, mais irakienne. Toute jeune militante du Baas, son père, officier supérieur de l’armée irakienne, avait été tué durant la guerre Iran-Irak, comme le mari de Fatima.
Celle-ci avait toujours travaillé avec les Services irakiens, mais découvert sa vocation quelques années plus tôt. Lorsqu’on l’avait envoyée liquider un opposant à Saddam Hussein vivant à Marbella, cela avait été d’une facilité dérisoire. Ils avaient fait l’amour, il s’était endormi après avoir bu un Johnny Walker bourré de drogue, et Fatima lui avait tranquillement tiré une balle dans la tête avec le Walther.