— Apparemment, il a changé son fusil d’épaule, remarqua-t-il. Les Irakiens ne sont pas rancuniers.
— Ils sont pragmatiques, conclut Morton Baxter. Mais il faut qu’il rende de sacrés services à l’Irak pour qu’ils lui aient pardonné sa collaboration avec l’ennemi héréditaire.
— Il aurait repris son projet de super-canon ? demanda Malko. Ce serait donc lié à l’affaire des krytrons ?
— Une fois qu’on a des bombes atomiques, remarqua l’Américain, il faut les transporter.
— Les Irakiens possèdent des avions et des missiles.
— Trop vulnérables, objecta Morton Baxter. La couverture radar israélienne est une des meilleures du monde et nous avons mis un Awacs à leur disposition. Ils ont en permanence des intercepteurs prêts à décoller du désert du Neguev. Capables d’arrêter n’importe quel chasseur bombarbier.
— On peut expédier des obus nucléaires avec du 155, remarqua Malko.
L’Américain secoua la tête.
— En aucun cas, les Irakiens ne sont capables de miniaturiser à ce point des armes nucléaires. Ensuite, leurs 155 ne portent qu’à 80 kilomètres.
— Et si Georges Bear les aidait à fabriquer des missiles ?
Nouvelle moue dubitative.
— Ils en ont déjà. Les Soviétiques leur ont fourni des SCUDS qu’ils ont améliorés en portée et en précision. Ce sont des vecteurs qui portent à plus de trois cents kilomètres.
— Ça suffit largement pour frapper Israël…
— Oui, mais ces missiles sont repérables par le système anti-missiles israélien « Patriot ». Ils ne passeraient pas car ils sont relativement lents et pas très modernes.
— Donc, cela doit être le super-canon, conclut Malko. Qui leur permettrait de frapper Israël avec des charges nucléaires, grâce à leur progrès dans ce domaine. Ce qui explique que les Irakiens se soient donné tant de mal pour dissimuler leurs liens avec Georges Bear.
Le chef de station lui adressa un regard pénétrant.
— C’est probable, mais il faut en être certain. Et découvrir coûte que coûte à quel stade ils en sont. La Cosmos Trading Corporation a des bureaux à Bruxelles. Là doit se trouver le secret de sa collaboration avec l’Irak. Il faut le découvrir. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes…
— C’est-à-dire sur moi, remarqua avec perfidie Malko.
— Et sur nos amis Chris et Milton, corrigea Morton Baxter. Cette affaire est une priorité absolue.
— Si on kidnappait ce Georges Bear ? suggéra Chris Jones. On pourrait l’enfermer quelque part et le cuisiner sérieusement…
La suggestion ne fut pas accueillie avec enthousiasme… Le chef de station bruxellois eut un haut-le-corps.
— Il y a des limites à ce que nous pouvons faire. Nous ne sommes pas des sauvages et les Belges sont très susceptibles. Je vous conseille plutôt de vous intéresser au siège de la Cosmos Trading Corporation. Chris Jones n’a pas son pareil pour ouvrir les serrures…
Chris baissa modestement les yeux, mais Malko corrigea :
— Derrière les serrures, il y aura certainement des gens… Qui ne se laisseront pas faire.
Morton Baxter prit l’air dégagé.
— Si ce ne sont pas des Belges, vous pouvez y aller.
Milton Brabeck se rembrunit.
— On peut pas leur demander leur passeport avant de les flinguer…
— Physiquement, corrigea suavement Malko, il doit y avoir quelques différences visibles à l’œil nu entre un Irakien et un Flamand. C’est ce que voulait probablement dire Mr Baxter.
— Exactement, confirma le chef de station, soulagé de trouver autant de compréhension chez ses collaborateurs. Mais ne déclenchez quand même pas une guerre ouverte.
— Si on la gagne, marmonna Chris Jones entre ses dents, quelle importance…
Malko réfléchissait toujours au problème.
— Je continue à « traiter » Georges Bear par l’intermédiaire de Pamela Balzer. Il y aura peut-être des retombées intéressantes. Une question : allez-vous révéler aux Israéliens l’identité et le rôle de Georges Bear ?
— La décision ne dépend pas de moi, répondit prudemment le chef de station, mais de Langley. Ou peut-être même de la Maison-Blanche. En attendant, nous gardons nos petits secrets.
— Et nous essayons de connaître ceux de Georges Bear.
Chapitre XII
Malko remontait lentement en voiture la rue de Stalle, dans le quartier d’Uccle. Les élégantes résidences avaient fait place à une sorte de village urbain et, ensuite, la voie continuait, défoncée, bordée de buildings, de bureaux. Chris Jones, le « navigateur », tendit la main vers un bâtiment de verre et d’acier, un peu en retrait et en surplomb.
— C’est là !
Les glaces verdâtres des deux étages les plus bas renvoyaient les rayons du soleil : elles étaient à l’épreuve des balles. Malko s’arrêta un peu plus loin dans le parking d’un immeuble en construction, puis se tourna vers Milton Brabeck.
— À vous, Milton.
En uniforme d’employé du gaz belge, le « gorille » était parfait. Il prit sa sacoche, qui contenait quand même un 357 Magnum et partit vers le numéro 61. Première reconnaissance d’environnement. Il pénétra facilement dans le hall de marbre et consulta le tableau des locataires. La Cosmos Trading Corporation occupait le premier et le second. Milton prit l’ascenseur et débarqua sur un minuscule palier. Une caméra était fixée au-dessus d’une porte visiblement blindée, doublée d’un dispositif de sécurité infrarouge… La serrure était à code et un petit haut-parleur était encastré dans le mur, à côté de la porte. Il enfonça le bouton de la sonnette, n’entendit rien mais, quelques instants plus tard, une voix caverneuse demanda.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Le gaz.
— Voyez le concierge.
Clac, la communication était coupée. On devait l’observer à travers un œilleton fixé à la porte. Il résonna et la même voix répéta sans s’énerver.
— Voyez le concierge. Nous ne recevons que sur rendez-vous.
Sous peine d’éveiller les soupçons, Milton Brabeck dut décrocher et reprendre l’ascenseur. Jusqu’au sous-sol. Plusieurs voitures étaient garées dans les emplacements marqués CTC. Toutes immatriculées en Belgique. Il essaya la porte de service. Blindée et verrouillée… Quand il retrouva Malko, il était plutôt découragé.
— C’est un véritable coffre-fort ! annonça-t-il. Impossible même de se rendre compte de ce qu’il y a à l’intérieur. Par contre, les bureaux du troisième sont normaux…
— Retournons à l’hôtel, conseilla Malko. Cela demande une sérieuse préparation.
Il retrouva, à l’Amigo, Pamela Balzer gluée devant la télé Akaï de sa chambre, sous la garde vigilante d’Elko Krisantem. Elle semblait finalement se faire une raison. De plus, elle avait vraiment cherché à joindre son fiancé « disparu » depuis le bal costumé ! Comme Mandy Brown ne donnait pas non plus signe de vie, la conclusion était facile à tirer.
— Pas de nouvelles de Georges Bear ? demanda Malko.
— Aucune, fit la call-girl. Voulez-vous que je l’appelle ?
— Attendons demain, dit Malko.
Les Irakiens avaient dû réagir. Il ne comptait plus beaucoup sur l’ingénieur canadien pour les aider. Il restait la méthode brutale.
— Nous agirons cette nuit, annonça Malko aux deux « gorilles ».
Malko s’effaça devant la porte de l’ascenseur pour laisser passer une très jolie femme blonde, avec un grand sac en crocodile vert. Les jambes gainées de nylon noir, décolletée juste comme il fallait, arrosée de Shalimar. Superbe créature. Un peu de dentelle noire moussait à travers l’échancrure de son chemisier. Lorsqu’il la regarda, elle soutint le regard de ses yeux dorés avec une pointe d’impertinence et même de provocation.