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Pour la première fois, Georges Bear affronta le regard de l’Irakien.

— Si je pars, annonça-t-il, je veux emmener Pamela Balzer.

Tarik Hamadi eut l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Ainsi, tout ce qu’il avait dit n’avait servi à rien ! Son regard s’assombrit, mais il parvint à se maîtriser pour dire d’une voix presque calme.

— Vous êtes fou ! Après ce que je vous ai dit ! Cette fille est passée du côté des Américains. C’est devenu notre pire ennemie.

— Je crois que vous vous trompez, insista l’ingénieur. De toute façon, si elle vient avec nous, elle ne pourra plus trahir. Une fois en Irak, comment communiquerait-elle ? Vous y veillerez…

C’était un argument de poids. Tarik Hamadi se dit qu’il était tellement dans la merde qu’il ne fallait pas en rajouter. Georges Bear était fou de la call-girl. Il serait toujours temps de liquider celle-ci discrètement en Irak. Ce n’étaient pas les moyens qui manquaient.

— Très bien, admit-il, conciliant. À une seule condition. Ne lui dites rien d’avance. Simplement, vous lui donnez rendez-vous et vous l’emmenez à Rotterdam. Une fois sur le bateau, elle ne sera plus dangereuse.

— Parfait, accepta Georges Bear. Je m’en occupe. Avant, je dois tout vérifier sur les chargements.

* * *

— Ce projet est d’une gravité exceptionnelle !

L’ingénieur de l’armement Richard Wolleger, attaché au quartier général de l’OTAN et convoqué d’urgence à l’ambassade américaine de Bruxelles releva la tête, après avoir pris connaissance d’une flopée de documents saisis dans le coffre de la CTC. La table de conférence du chef de station disparaissait sous les papiers. Tous les agents de la station disposant d’une habilitation avaient été mobilisés pour les décrypter, les trier, les analyser. Dans une pièce voisine, d’autres agents, renforcés de membres de la Military Intelligence, téléphonaient dans tous les azimuts, vérifiant point par point ce que les documents révélaient.

Installé à son bureau, Morton Baxter, le chef de station, rédigeait des câbles à destination de Langley aussi vite qu’il pouvait écrire. Un de ses adjoints pénétra dans le bureau et annonça d’une voix découragée.

— Je viens d’avoir les Forges Walter Somers, à Birmingham. Ils ont déjà livré quarante-huit des cinquante-deux éléments constituant la commande de la CTC. Il s’agit d’éléments de tuyaux d’acier de 480 mm de diamètre et de cinq mètres de long. Ce contrat avait été signé il y a deux ans pour 1,6 millions de livres sterling[18]. Ils pensaient qu’il s’agissait d’éléments de pipe-line.

Richard Wolleger haussa les épaules.

— Ce sont des imbéciles ou des menteurs ! On n’a jamais vu des éléments de « pipe-line » coulés dans cette qualité d’acier. Elle permet des mouvements latéraux de 60°. On n’a jamais vu ça pour un pipe ! En plus, ces tubes peuvent résister à des pressions énormes, qui n’ont rien à voir avec les véritables pipe-lines.

Accablé, Morton Baxter se mit à rédiger un télégramme de plus. Depuis l’aube, cela n’arrêtait pas. Le dépouillement avait commencé tout de suite, au retour du « cambriolage », Malko n’avait guère dormi plus de deux heures et avait hâte de retourner prendre une douche à l’Amigo et voir ce qu’il advenait de Pamela Balzer, toujours sous la garde des « gorilles » et d’Elko Krisantem. Il faudrait une opération de guerre pour atteindre la jeune call-girl. Mais après les découvertes de la nuit, son rôle devenait nettement moins important.

— Avez-vous fait le point ? demanda Malko à Morton Baxter ?

Le chef de station leva sur lui un visage accablé, aux traits tirés par la fatigue.

— Oui. D’après l’analyse des documents dont vous vous êtes emparé, il apparaît que Georges Bear a conçu pour l’Irak un super-canon, auprès duquel les canons de Navarone ne sont qu’une aimable plaisanterie. Un engin capable de tirer des missiles à des distances supérieures à 400 kilomètres, avec une vitesse initiale qui en fait des projectiles balistiques impossibles à intercepter par le système anti-missile des Israéliens.

— À quel stade en est la construction de cette arme ?

— Au stade final. C’est une opération qui dure depuis près de deux ans, au nez et à la barbe de tous les grands Services de renseignements. C’est Georges Bear, qui l’a conçu, puis qui a commandé à travers toute l’Europe les différentes pièces de ce sinistre puzzle. Sous divers paravents. Matériel de forage, pipe-line, pièces de machines-outils.

— Mais enfin, personne ne s’est douté de rien ? s’insurgea Malko.

L’Américain frotta son pouce contre son index en un geste éloquent.

— Des centaines de millions de dollars ont été investis dans ce projet, totalement au profit de diverses firmes européennes, souvent aux abois. Ils ont préféré ne pas se poser trop de questions.

— Et les Israéliens ?

— Eux non plus n’ont rien vu, ils ne pénètrent pas beaucoup le milieu industriel et il ne s’agissait pas à proprement parler de trafic de matériel de guerre puisque, théoriquement, tous les morceaux de ces canons avaient des destinations civiles.

— Vous dites ces canons ?

— Oui. D’après les documents, trois sont prévus. Les tubes sont déjà en place à des emplacements complètement secrets, non loin de la frontière jordanienne, braqués sur Israël. Ils sont d’abord testés à Karbala, où les Irakiens ont un énorme complexe industriel de fabrication de missiles. Le projet 395.

» C’est là aussi qu’est testé le combustible solide destiné à propulser le projectile du super-canon. Les morceaux de tubes qui n’ont pas encore été livrés sont seulement des éléments de rechange…

Les Irakiens avaient bien joué… Malko repensa à l’élément le plus important de cette histoire terrifiante.

— Et les krytrons ?

— C’était l’élément qui manquait apparemment aux Irakiens pour fabriquer des projectiles nucléaires destinés au super-canon de Georges Bear. Mais cette partie n’est pas mentionnée dans ces documents. Nous en sommes réduits aux hypothèses. Hélas, plus que vraisemblables. Avec la combinaison de l’invention de Bear et de têtes nucléaires, l’Irak pourra détruire Israël avec une seule volée de ces canons d’enfer. C’est un tout petit pays. Il n’y a pas quarante kilomètres entre Tel-Aviv et Jérusalem…

L’exemple de la guerre chimique menée contre les Kurdes était là pour rappeler que Saddam Hussein ne reculait devant rien. Maintenant toute l’affaire était lumineuse. L’Irak avait réussi à se procurer les éléments d’une bombe atomique et le vecteur pour la transporter.

— Les Israéliens ne se laisseront pas faire, objecta Malko. Même s’ils sont atteints par des projectiles nucléaires, ils riposteront et rayeront l’Irak de la carte… fit observer Malko.

Le chef de station de la CIA eut un geste d’impuissance.

— Au Moyen-Orient, nous sommes dans un univers irrationnel. L’Irak est une dictature féroce, menée par un seul homme, Saddam Hussein, qui veut le leadership de cette partie du monde. Même si cela doit lui coûter quelques centaines de milliers de morts. Le prix à payer pour apparaître comme un héros dans l’imagerie populaire arabe.

Malko ne répliqua pas, sachant que l’Américain avait raison. L’Irak avait bien mené une guerre idiote contre l’Iran, par haine pure, qui lui avait coûté un million de morts. Alors, contre Israël… Il n’arrivait pas à comprendre comment un projet aussi explosif avait pu être mené à bien sans que les Services occidentaux soient au courant. Morton Baxter dut deviner sa pensée, car il continua.

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18

Environ 1 milliard, 600 millions.