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On frappa à la porte et une voix de femme inquiète demanda à travers le battant.

— Tout va bien ? Nous avons entendu du bruit.

Malko alla ouvrit la porte et se heurta à une femme de chambre qu’il accueillit avec un sourire désarmant.

— Tout va très bien, dit-il. Pourquoi ?

— Oh, rien ! J’avais cru entendre une explosion, s’excusa la femme de chambre.

— Ce n’était pas ici, assura Malko en refermant le battant.

Georges Bear s’était calmé. De toute évidence, choqué par ce qu’il venait d’apprendre, il dévorait Pamela Balzer des yeux.

La jeune femme, installée sur le divan, les jambes croisées assez haut pour révéler la majeure partie de ses interminables jambes, gardait son visage fermé, ne s’adoucissant que lorsque l’ingénieur posait les yeux sur elle.

Elle avait trouvé un fiancé de rechange…

— Mr Bear, dit-il, j’appartiens à la Central Intelligence Agency et vous n’êtes pas forcé de me croire, mais Miss Balzer est au courant d’un certain nombre de faits facilement vérifiables. C’est nous qui avons cambriolé vos bureaux. Ce qui nous a permis de découvrir les plans de votre super-canon. Vous aviez déjà travaillé pour les Irakiens et cela ne m’étonne pas.

Georges Bear l’interrompit d’une voix amère.

— Si les gens de Washington avaient été moins obtus, je travaillerais toujours pour mon pays.

Malko le calma d’un geste apaisant.

— Pas de polémique. Je veux simplement m’assurer que vous êtes conscient d’être sur le point de déclencher un conflit majeur au Proche-Orient, un conflit nucléaire.

Il avait appuyé sur le dernier mot. Georges Bear le fixa avec une expression de totale incompréhension.

— De quoi parlez-vous ? Les Irakiens m’ont demandé de leur construire des armes à longue portée leur permettant de frapper Téhéran avec des obus chimiques si l’Iran les attaquait de nouveau avec de puissantes forces blindées pour prendre Bagdad. Leurs informations indiquent que les Iraniens renforcent sans cesse leur potentiel militaire pour une attaque surprise.

L’ingénieur canadien semblait parfaitement sincère. Indigné, même. Malko commençait à entrevoir la vérité, le mécanisme secret de cette histoire en apparence décousue.

— Parfait, dit-il. Savez-vous que les Irakiens viennent de se procurer les derniers éléments qui leur manquaient pour construire des charges nucléaires. Il s’agit de krytrons, volés aux USA et de centrifugeuses spéciales, fournies par la Chine.

Georges Bear secoua lentement la tête.

— Non, mais je ne connais rien au nucléaire. Mes amis irakiens me disent au contraire qu’ils sont très loin d’avoir l’arme atomique.

Malko chercha le regard de l’ingénieur canadien et le fixa avec force.

— Mr Bear, dit-il, vos amis irakiens vous mentent. Ils vous ont de surcroît, manipulé. Ils ne veulent pas se défendre contre l’Iran, mais attaquer Israël. Très exactement, détruire tout ou une partie du territoire de l’État hébreu. Cela en combinant les canons que vous avez inventés et leurs armes nucléaires.

Le silence retomba. Malko pouvait voir les idées cheminer sous le crâne déplumé de Georges Bear. Le sang se retirait peu à peu de son visage, comme s’il était en train de s’éteindre. Son regard se voilait. Il serra ses mains l’une contre l’autre pour les empêcher de trembler.

— Vous êtes certain de ce que vous dites ? demanda-t-il d’une voix blanche.

— Certain.

— My God !

Chapitre XIV

Son visage se crispa et, silencieusement, il se mit à pleurer.

Un silence pesant se prolongea plusieurs secondes. Georges Bear semblait avoir vieilli de vingt ans en dix minutes. Pamela Balzer, dépassée, croisait et décroisait les jambes comme une sauterelle folle. Elle était venue dans cette chambre pour harponner définitivement un fiancé grâce à une séance sexuelle comme elle savait en programmer et elle se retrouvait en pleine politique-fiction, avec des gens parlant de sujets qu’elle ne comprenait pas. Elle avait beaucoup de peine à imaginer que ce petit bonhomme falot qui faisait l’amour comme un lapin puisse bouleverser l’équilibre du monde.

Quant aux Juifs, c’était une notion quasi inconnue pour elle. Les journaux et la télé ne l’intéressaient pas, à part les reportages sur les princesses et les milliardaires.

— Donnez-moi des détails, demanda Georges Bear. Je n’arrive pas à vous croire.

Malko lui communiqua toutes les précisions dont il disposait. L’ingénieur canadien l’écoutait attentivement, posait parfois une question, fumant avec nervosité.

Chris Jones et Pamela Balzer commençaient à trouver le temps long. Malko sentait que son interlocuteur était ébranlé. Il assena le coup final en mentionnant le réseau anti-missiles d’Israël et ses lacunes. Les traits de Georges Bear se défirent un peu plus : il se retrouvait en terrain connu.

— Vous êtes certain que les Irakiens vont disposer très vite de l’arme nucléaire ? demanda-t-il.

— D’après les meilleurs experts, dit Malko, il ne leur manquait guère que des krytrons. Selon les informations en possession de la CIA, ils ont développé leur technologie nucléaire dans trois centres : Azbel, Mossoul et Tuwartha. Ils peuvent maintenant, en moins de trois mois, assembler plusieurs « têtes » nucléaires susceptibles d’être utilisées par votre super-canon. À propos, cela ne vous gênait pas de participer au massacre de centaines de milliers d’iraniens en les bombarbant d’obus chimiques ?

Georges Bear eut un geste désabusé.

— Ce n’est pas moi qui ai construit des usines d’obus chimiques en Irak. Ce sont les Anglais. Mon métier, c’est de fabriquer des canons ; ce qu’on met dedans ne me regarde pas.

Évidemment, Werner Von Braun, avant d’expédier une fusée dans la lune pour le compte des Américains et de la NASA avait fabriqué pour le compte du régime nazi des VI et V2 pour bombarder Londres. C’était inutile d’engager ce genre de discussion. Malko changea son fusil d’épaule.

— Êtes-vous aussi d’accord pour la destruction d’Israël ? demanda-t-il.

Georges Bear secoua lentement la tête.

— Non, je vous le jure, je ne veux pas être l’homme qui porterait cette responsabilité.

— Et pourtant, martela Malko, c’est ce qui va se produire… Vos réticences ne pèseront pas lourd en face de Saddam Hussein et les Irakiens ont maintenant tout à pied d’œuvre. Je suppose que les ingénieurs irakiens n’ont plus besoin de vous pour mettre en service vos super-canons ?

— Non, pas vraiment, reconnut l’ingénieur canadien. Mais ce n’est pas aussi simple.

Malko crut avoir mal compris.

— Ils ne peuvent donc pas se passer de vous ?

— Si, si, corrigea Bear. Mais toutes les parties du canon n’ont pas été livrées. Avec ce qu’ils ont déjà, ils ne peuvent pas faire fonctionner mes canons.

* * *

Georges Bear semblait faire un effort surhumain sur lui-même pour parler d’une voix calme. Il enchaîna devant le regard interrogateur de Malko.

— C’est vrai que le plus gros est déjà monté. Les pièces les plus encombrantes ont été forgées en Grande-Bretagne et en Italie. Ce qui constitue les tubes et les affûts. Mais il manque le principal : le mécanisme hydraulique de recul et les culasses. C’est moins encombrant, mais sans cela les canons ne peuvent pas tirer…

Malko n’en croyait pas ses oreilles. Voilà pourquoi Georges Bear était toujours en Europe.