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— Vous avez pu vérifier si Georges Bear dit la vérité en ce qui concerne le matériel livré ?

L’Américain regarda encore les documents avant de répondre.

Je crois que c’est vrai. Nous avons pu pointer tout ce qui est déjà arrivé en Irak. Cela représente 80 % du total. Le reste est dans la nature, mais a déjà été livré par les différentes usines, emporté par des camions. Nous en possédons une liste partielle, mais inutilisable. Il y a des Roumains, des Bulgares, des Britanniques, des Grecs. Tout cela a dû être transbordé sur des navires depuis.

— Et le mécanisme de recul ?

L’Américain fouilla longuement dans son dossier avant d’annoncer :

— Voilà. Commandé à Eagle Trust pour 55 000 livres sterling. Livré et emporté sur un camion roumain il y a quinze jours.

— Donc, avec nos moyens, il n’y a aucune chance d’empêcher les Irakiens de mener à bien Osirak ? insista Malko.

— Nous ne pouvons pas fouiller toute l’Europe.

— Georges Bear, s’il change de camp, est donc le seul à pouvoir nous aider, conclut Malko.

— Exact, reconnut Morton Baxter de mauvaise grâce. Mais je n’y crois guère.

— Attendons demain, dit Malko. Je retourne à l’Amigo.

Il avait hâte de retrouver Pamela Balzer saine et sauve. De nouveau, c’était son meilleur atout. Il avait laissé les deux « gorilles » dans le hall du Hilton en protection rapprochée, avec mission de ne pas la lâcher d’une semelle. Les Irakiens n’avaient sûrement pas renoncé à la liquider.

* * *

Tarik Hamadi dissimula sa rage sous un sourire mielleux.

— Où étiez-vous ? Vous avez semé mes hommes.

Georges Bear soutint son regard sans faiblir.

— Je voulais revoir Pamela Balzer. Elle est d’accord pour venir avec moi en Irak. Quand partons-nous ?

L’Irakien réussit à dire d’une voix presque calme :

— Je vous avais dit de ne pas revoir cette fille. Nous partirons demain dès que le chargement sera terminé. Nous assurerons votre sécurité jusqu’à l’embarquement. Mais il faut se méfier des Américains, ils vont sûrement tenter de vous retenir. Et encore plus des Israéliens…

Georges Bear fit comme s’il n’avait pas entendu.

— Pourquoi avez-vous tenté de faire assassiner Pamela Balzer ? demanda-t-il d’une voix calme.

Tarik Hamadi ne s’attendait pas à cette question. Il masqua son embarras d’un sourire.

— Qui vous a dit cela ?

— Elle, avec des détails qui prouvent qu’elle dit la vérité. Vous avez même fait sauter son appartement, à Vienne.

L’Irakien lui jeta un regard de commisération.

— Georges, dit-il, vous rendez des services immenses à notre pays et, nous, Irakiens, vous en serons toujours reconnaissants. Jusqu’ici, personne ne connaissait nos liens. J’ai eu l’imprudence de vous présenter Pamela Balzer sans savoir qu’elle travaillait pour les Services américains et israéliens. Une informatrice. Dans son métier, cela arrive souvent. Lorsque je m’en suis rendu compte, j’ai tout fait pour vous protéger. Pour cela, il n’y avait qu’une chose à faire : cisailler le lien entre vous et nous. J’ai agi dans votre intérêt.

Georges Bear ne répliqua pas : il connaissait les règles féroces des opérations clandestines. L’Irakien lui disait au moins une partie de la vérité. C’est vrai que l’Irak avait beaucoup d’ennemis. Édifié sur ce point, il reprit son interrogatoire.

— Vous ne m’aviez pas dit que vous aviez l’intention d’utiliser mon canon pour lancer des charges nucléaires sur le territoire israélien, lança-t-il d’une voix ferme.

Tarik Hamadi crut que le ciel lui tombait sur la tête. Maudissant intérieurement la CIA et cette salope de Pamela Balzer. Celle-là, il lui arracherait les yeux de ses propres mains. Le regard de Georges Bear fixé sur lui comme un laser l’embarrassait. Il se jeta à l’eau, pour crever l’abcès.

— Je ne devrais même pas vous parler de cela, dit-il. C’est un secret d’État. Mais, comme toujours, les Sionistes ont altéré la vérité. Celle-ci est simple. Nous sommes leur pire ennemi. Nous savons qu’à un moment donné, ils vont être obligés de vitrifier leurs ennemis arabes, parce qu’ils sont débordés. Ni la Syrie, ni la Jordanie, ni même la Libye ne disposent d’armes pour leur répliquer. Grâce à vous et à d’autres amis – Allah leur vienne en aide –, nous sommes en train de mettre au point une dissuasion nucléaire qui maintiendra la paix dans la région. Vous y avez, sans le savoir, apporté votre contribution.

Georges Bear ne dit rien, plongé dans ses pensées. Donc l’agent de la CIA n’avait pas menti.

— Pourquoi ne m’avoir rien dit ? demanda-t-il.

Tarik Hamadi eut un geste d’impuissance désolée.

— Seul notre Président pouvait vous en parler. J’aurais encouru une lourde sanction en vous mentionnant ce projet. Il s’agit d’une affaire encore plus « fermée » que la vôtre. Mais je crois savoir que le Président avait l’intention de vous mettre au courant dès votre retour à Bagdad.

Le silence retomba. Georges Bear passa la main dans ses cheveux, il semblait convaincu par les explications de l’Irakien et ce dernier en éprouva un soulagement indicible. Pour détourner la conversation, il demanda :

— Vous désirez donc emmener Pamela Balzer avec vous ?

— Absolument.

Tarek Hamadi demeura impassible : l’homme en face de lui était le protégé personnel de son Président.

Très bien, dit-il. Je vais prendre les dispositions nécessaires pour qu’elle ne manque de rien. Le voyage risque d’être long.

Il se leva, mettant fin à l’entretien. Le jour commençait à tomber et les voitures klaxonnaient dans l’avenue de Floride.

— Vous avez votre voiture ? demanda-t-il.

— Absolument.

— Un véhicule de chez nous va vous escorter jusqu’au garage, cela vaut mieux. Ne bougez plus de votre appartement jusqu’au départ. Les Américains ou les Israéliens pourraient vouloir vous enlever.

Il regarda l’ingénieur canadien monter dans l’ascenseur et rentra en toute hâte dans son bureau pour envoyer un télex codé à Bagdad. Il fallait modifier les plans. Plus question maintenant d’attendre le moment propice pour frapper Israël. Les Sionistes allaient réagir, tenter de détruire les canons. Heureusement, c’était presque impossible, car ils étaient profondément enterrés dans des emplacements hyper-secrets.

Il y avait le risque qu’Israël les vitrifie : mais Shamir ne pouvait pas prendre ce risque moral vis-à-vis de la communauté internationale… L’Irak avait besoin encore de trois mois pour les dernières mises au point. La Mauritanie avait accepté, moyennant une somme d’argent considérable, de prêter son territoire désertique pour des essais nucléaires. Les krytrons étaient maintenant hors de portée des Américains. Il restait le maillon faible : Georges Bear. Impossible d’évaluer exactement ses « adhérences » avec les Services adverses. Mais, dans quelques heures, il ne pourrait plus nuire. Tarik Hamadi alluma un gros cigare pour chasser de son esprit une pensée sournoise autant qu’horrible. Et si l’ingénieur canadien avait retourné sa veste pour des raisons morales ? S’il se préparait à les trahir ? Il était en possession d’une information susceptible de faire capoter tout le plan Osirak. L’Irakien demeura le regard dans le vide, contemplant les frondaisons du parc en face. Son instinct lui disait qu’il fallait liquider Georges Bear pour éviter tout risque.

Seulement, c’était impossible. Jamais le Président Saddam Hussein ne donnerait son feu vert. Et pourtant l’ingénieur canadien ne leur était plus indispensable. Il appela le standard et demanda à entrer en contact avec le Président de l’Irak.