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Après le Palais de Dolmabahce allongé au bord du Bosphore, la voiture longea un haut mur de pierre, ressemblant à celui d’un couvent, pour stopper devant un portail massif et noir. Malcolm Callaghan sortit de la Ford et alla parler dans un micro. Quelques instants plus tard, le portail s’ouvrit automatiquement pour se refermer sur le pare-chocs arrière. La Ford s’arrêta dans une cour bordée de bâtiments vieillots et jaunâtres, hérissés d’antennes, avec d’antiques climatiseurs, qui sortaient comme des bubons des fenêtres, des voitures-radio et quelques civils.

— Officiellement, c’est une station de météo, expliqua Callaghan, mais c’est le QG du MIT pour tous les problèmes de Sécurité Extérieure. Vous verrez, ce sont des gens charmants.

Un garde moustachu et rébarbatif les fouilla sans ménagement avant de les installer dans une véritable serre où un autre garde vint les chercher. L’homme, qui les accueillit dans un bureau beaucoup plus somptueux avec des tapis, des tableaux et des meubles anciens, ressemblait à un Méphistophélès jeune avec sa moustache et son bouc.

— Okman Askin, présenta Malcolm Callaghan.

Le Turc serra chaleureusement les mains des arrivants. Malcolm Callaghan lui tendit aussitôt une cassette vidéo avec quelques explications. Malko comprit qu’il s’agissait d’une compilation de bandes concernant les derniers accidents de l’Airbus A 320, avec un commentaire approprié. Malcolm Callaghan eut un bon sourire.

Notre ami a des amis à la télévision, cela passera à une heure de grande écoute.

Boeing n’appréciait pas vraiment que les Turcs s’intéressent à l’Airbus et la CIA lui donnait un coup de main… Via ses amis locaux… La cassette honteuse disparut dans une serviette de cuir et Okman Askin les installa.

Café ? offrit-il. Sadi[27] ou Sekubi[28].

Les Turcs buvaient des litres de café fort et brûlant toute la journée, ce qui, évidemment, les rendait irritables. Mais impossible d’échapper à la tradition.

J’ai malheureusement des nouvelles négatives, annonça-t-il. Les reconnaissances aériennes n’ont décelé aucune trace de ce cargo. Il n’est enregistré dans aucun port turc. Nous possédons les écoutes de l’ambassade d’Irak à Ankara et de leur consulat ici et il n’y a rien de mentionné à cet égard. Je me demande si, à la faveur de la nuit, le Gur Mariner n’a pas fait demi-tour et repassé les Dardanelles. C’est la seule explication.

Malko échangea un regard éloquent avec Malcolm Callaghan.

Vous êtes certain qu’il n’a pas franchi le Bosphore ? demanda-t-il. Depuis la mer Noire, on peut arriver en Irak par la route.

Nous en sommes sûrs ! affirma Okman Askin. La surveillance est très stricte, dans les deux sens. Nous avons également interrogé les deux postes de dédouanement, à Haydarpaça et Edime. Il n’y a aucune trace de ce navire.

Un ange passa, déguisé en fantôme. Il y avait toujours une explication logique aux choses. Que le bateau ait fait demi-tour ne semblait pas idiot à Malko. Il pouvait faire escale en Égypte et attendre. Ou à Chypre… Le Turc les contemplait, désolé.

Pour fêter votre arrivée, dit-il à Malko, j’ai décidé de vous inviter ce soir à dîner. À quel hôtel êtes-vous ?

— Au Marmara.

Je vous y prendrai vers neuf heures. Ce sera l’occasion de vous présenter l’une de mes meilleures collaboratrices occasionnelles – vous dites « stringer » en anglais, n’est-ce pas ? – qui vous aidera. Je suis très pris et ne pourrai vous consacrer autant de temps que je le souhaiterais. Maintenant, je dois m’occuper de ceci, si vous voulez que cela passe aux informations, dit-il en montrant la cassette.

Les quatre hommes se retrouvèrent dans la cour, guère plus avancés. Une fois dans la voiture, Malko demanda à Malcolm Callaghan.

— Quelle confiance peut-on lui accorder ?

— Presque totale, confirma l’Américain. Il est loyal et a besoin de nous. Sans nos dollars, le régime se serait effondré. En plus, ils détestent les Irakiens, bien qu’ils fassent parfois des opérations ensemble contre les Kurdes. C’est leur seul point d’accord : liquider du Kurde. Ils ont exilé le consulat irakien complètement en dehors de la ville, pour mieux le surveiller. Il n’y a pratiquement pas d’échanges diplomatiques entre les deux pays.

Ils remontaient de nouveau vers Taksim, là où se trouvaient tous les hôtels. Un camion-grue était en train de retirer fébrilement des voitures mal garées. La Turquie entrait dans la civilisation moderne…

— Et les Israéliens ? demanda Malko.

— C’est le seul pays musulman à entretenir des relations diplomatiques avec eux. Au niveau « Second Secrétaire ». D’ailleurs, les Turcs détestent les Arabes et se tournent beaucoup plus vers l’Europe.

La voiture déboucha sur la « maidane » Taxim, une grande place rectangulaire bordée d’immeubles laids et modernes et encombrée de bus à l’arrêt. De là partaient toutes les grandes artères irriguant le quartier. La Ford stoppa devant l’hôtel Marmara, un bloc de vingt étages avec une terrasse au rez-de-chaussée.

— Je ne vous accompagnerai pas ce soir, annonça Malcolm Callaghan, j’ai des obligations. Je vais envoyer un rapport en rentrant au bureau. Demandant des instructions pour vous. En attendant, bonne soirée.

À côté de l’hôtel, une douzaine de chats vidaient consciencieusement une poubelle. Istanbul était restée la ville des chats.

* * *

— Ça sent l’arnaque.

L’avis d’Elko Krisantem était définitif. Et il connaissait le pays : c’était le sien… Malko regardait un gros pétrolier remonter le Bosphore s’apprêtant à passer sous l’énorme pont suspendu dominant la voie d’eau de soixante mètres, reliant l’Europe à l’Asie. Il y en avait un second quelques kilomètres plus loin. Leur construction en 1973 avait porté un coup fatal aux ferrys d’antan.

— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? demanda-t-il.

Le Turc frottait son menton mal rasé. Il eut un geste bien oriental avec ses mains ouvertes, la paume en l’air.

— S’il n’a pas fait demi-tour, ce bateau est quelque part ! Les Irakiens ne sont pas des imbéciles. Ils ont prévu qu’on leur tomberait dessus. Bien sûr, le gouvernement turc collabore avec nous ! Mais au niveau subalterne ? Au prix où est la livre turque, ce n’est pas difficile d’acheter des gens. Policiers, marins ou douaniers acceptent tous des rucvets[29].

— Mais encore ? insista Malko.

— Il faut que je retrouve des amis, fit Elko Krisantem. Donnez-moi quelques heures. Je suis parti depuis longtemps…

— OK, dit Malko. Tenez-moi au courant.

Il regagna sa chambre. À peine y était-il que le téléphone sonna. Une voix de femme demanda :

— Mr Linge ?

— Oui.

Je m’appelle Nesrin Zilli, annonça-t-elle. Mr Askin m’a demandé de vous servir de guide si vous aviez un problème.

Où êtes-vous ?

— En bas.

— Je descends. Comment vais-je vous reconnaître ?

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27

Sans sucre.

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28

Sucré.

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29

Pots-devin.