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La Turque eut un rire charmant.

— Je suis tout en rouge !

Le temps de prendre l’ascenseur et il était dans le salon-bar en face de la réception. Il repéra tout de suite la silhouette rouge… Belle à crever ! Une grande jeune femme au regard de braise, dans un tailleur de toile plein à éclater, les ongles faits, la bouche pulpeuse, les hanches en amphore. Son regard détailla Malko et elle lui tendit une main longue et fine.

— Bonsoir. Je suis Nesrin Zilli. J’espère que je ne vous dérange pas !

Avec un physique pareil, elle ne risquait de déranger personne. Ils s’assirent au bar et elle commanda un Cointreau.

— Que faites-vous ? demanda Malko.

— Oh, je sers un peu de Relations publiques à Mr Askin, qui a tellement de travail. Je suis journaliste aussi, au Cumuriyet.

Son regard ne le quittait pas et il se dit qu’il la mettrait dans son lit quand il en aurait envie… Elle était là pour le « marquer ». Les Turcs n’étaient pas aussi clairs que le disait Malcolm Callaghan. Sinon, cette rouge créature n’aurait pas débarqué ainsi. Ou ils cachaient quelque chose à leurs alliés, ou ils espéraient en savoir plus par lui et prendre l’initiative d’une enquête dans leur pays.

— Istanbul est calme, remarqua Malko, vous n’avez plus de terrorisme.

Nesrin Zilli eut un sourire ironique.

— Il y a trois semaines, le rédacteur en chef du Cumuriyet a été assassiné par trois hommes masqués.

— Pourquoi ?

— On ne sait pas vraiment. Les Syriens ou les Irakiens. À cause du partage des eaux de l’Euphrate.

Elko Krisantem apparut soudain près des ascenseurs et Malko se leva allant à sa rencontre. Inutile qu’elle sache qu’il était turc.

— Je reviens, dit-il.

— Si vous n’avez besoin de rien, j’irai me changer, dit-elle. Je crois que je dîne avec vous. Demain, si vous souhaitez visiter le musée Topkapi, je suis à votre disposition.

— Merci, fit Malko, avec plaisir.

Elko Krisantem arborait un sourire radieux.

— J’ai commencé à travailler, annonça-t-il. Vous venez avec moi ?

— Où ?

— C’est une surprise…

Malko traversa en diagonale la place Taksim, derrière Elko Krisantem. À côté du palais des Congrès, une file de vieilles voitures, qui, à première vue, évoquaient le Musée de l’automobile, étaient stationnées le long du trottoir. Les chauffeurs discutaient avec des gens qui faisaient la queue, d’autres attendaient à l’intérieur. Un marchand d’épis de maïs allait de l’un à l’autre. C’étaient toutes des « américaines » des années cinquante, en plus ou moins piteux état.

Des « dolmus », très prisés des istanbuliotes. Ces taxis collectifs desservaient toutes les directions, à condition de ne pas être pressé : ils ne partaient qu’une fois pleins, ce qui signifiait une bonne quinzaine de passagers…

Elko Krisantem s’arrêta avec émotion devant une antique Buick noire 1958, qui ne tenait plus que par les couches successives de peinture. Les vitres étaient fendillées, le pare-brise rapiécé et des couvertures avaient été jetées sur les banquettes pour en cacher la misère. Un morceau de céramique bleu et rond, le porte-bonheur classique en Turquie, représentant un œil était accroché au-dessus du tableau de bord, remplaçant les cadrans et compteurs depuis longtemps défaillants.

Le chauffeur à la moustache tombante sortit de son véhicule et étreignit Elko Krisantem. Ils s’embrassèrent, se tapant dans le dos sous l’œil résigné de la dizaine de passagers déjà installés. Puis Elko se tourna vers Malko fièrement.

— Elle a bien tenu le coup, dit-il avec une pointe d’émotion dans la voix. J’ai eu du mal à la retrouver.

C’était la voiture qu’il utilisait pour transporter des touristes lorsqu’il avait rencontré Malko, des années plus tôt.

Il se lança dans une longue discussion avec le chauffeur, tandis que les passagers de la Buick se chamaillaient : un vieil homme voulait absolument changer de place pour ne pas se trouver à côté d’une femme : il revenait de La Mecque. Les autres se moquaient de lui.

Dix minutes plus tard, Elko se retourna vers Malko et le chauffeur rentra dans la voiture.

— Alors ? Vous avez appris quelque chose ? demanda Malko.

— Oui, fit Krisantem. Je sais où retrouver mon vieil ami, Hakan Sungur. C’est comme mon frère. Lui sait tout ce qui se passe à Istanbul. S’il y a une arnaque, il va la trouver.

— Où va-t-on le voir ?

— Je lui ai fait donner un rendez-vous ce soir. Il est maintenant propriétaire d’un « gazino »[30].

— Faut-il que je vienne ?

— Bien sûr, fit Elko, dans mes lettres je lui ai souvent parlé de vous. Il sera ravi de vous connaître.

Que faisait-il avant ?

— Comme moi, répondit placidement Elko Krisantem.

Autrement dit, tueur à gages.

— Je vais dîner d’abord, nous irons ensuite, fit Malko. Retrouvons-nous dans le hall de l’hôtel, vers onze heures.

Je n’aime pas cette fille en rouge, dit soudain Elko.

— Pourquoi ?

— Elle ne se conduit pas comme une vraie Turque. Elle veut vous séduire.

Selon Elko Krisantem, seules les « créatures » affrontaient le regard des hommes. Le laxisme de Malko avec Alexandra le plongeait dans des rages noires et silencieuses… Celle-ci, avant le départ de Malko, avait enfin consenti à se laisser violer.

* * *

Sous la table, la jambe de Nesrin Zilli, assise en face de lui, frôlait parfois celle de Malko. Chris et Milton étaient restés prudemment au Marmara, dévalisant la cafétéria de tous ses hamburgers. Okman Askin était toujours aussi courtois et affable. Il avait amené Malko dans un délicieux restaurant de poissons, tout au nord du Bosphore, l’Urcan. Bruyant à souhait, mais délicieux, avec une décoration très folklorique de poissons séchés pendus au plafond, de filets, d’accessoires de pêche.

De la table, on voyait les bateaux défiler lentement sur le Bosphore.

Le Turc leva son verre de vin blanc avec un sourire.

— À votre mission. J’espère que vous retrouverez ce bateau. Sinon que vous garderez au moins un bon souvenir d’Istanbul.

Nesrin Zilli adressa un regard appuyé à Malko. Elle avait troqué sa tenue rouge pour une robe noire, des bas et un collier de perles. Ce qui la rendait encore plus désirable. On aurait dit une publicité pour Shalimar… Pendant tout le dîner, elle lui avait fait un rentre-dedans pas possible… À peine sa langouste terminée, Malko demanda :

— Où les navires sont-ils déchargés, à Istanbul ?

— Sur la rive asiatique, expliqua Okman Askin. Il y a un seul point de dédouanement, à Haydarpaça. Les cargos sont ancrés dans la rade ou à quai. Ensuite, leur contenu est déchargé, stocké dans une enceinte sous douane et emmené ensuite, par camion ou par train, dans le reste du pays.

— Vous y avez été vous-même vérifier que le Gur Mariner ne s’y trouvait pas ?

Le représentant du MIT eut un léger sourire devant cette candeur.

— Non bien sûr ! Mes services ont téléphoné au responsable de la douane. Il eut un sourire mielleux qui le fit ressembler encore plus à Méphisto. Vous savez, les gens ont un peu peur de nous, du MIT, ils ne racontent pas n’importe quoi. Si le Gur Mariner avait été à quai, on me l’aurait dit.

Nesrin Zilli renchérit.

— Nous sommes très proches des Américains. Malcolm Callaghan le sait. Ce serait très mauvais pour la Turquie si elle était mêlée à une histoire de ce genre.

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30

Boite de nuit.