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Ils semblaient parfaitement sincères tous les deux. Pourtant, le Gur Mariner était bien quelque part…

— Pourrais-je me rendre à Haydarpaça ? demanda-t-il.

— Bien sûr, accepta le Turc sans hésitation. Nesrin vous y conduira parce qu’il faut un laissez-passer. Mais vous ne verrez que des centaines de Containers et des navires à quai.

— Je pourrai aussi m’entretenir avec les responsables, compléta Malko.

Quand ils quittèrent l’Urcan un peu plus tard, il pleuvait, comme souvent à Istanbul. Sur le chemin du retour, Okman Askin désigna à Malko un grand palais décrépit qui dominait la route.

— Ici vivait un des derniers sultans. Un homme bizarre. Dans une crise de neurasthénie, il a fait noyer, dans le Bosphore, toutes les femmes de son harem. Il y en avait trois cents.

— Comment ?

— Il les a mises dans des sacs, comme des chats.

Encore un misogyne… Le coupé Jaguar d’Okman Askin stoppa devant le Marmara et Nesrin Zilli proposa aussitôt :

— Voulez-vous visiter quelques endroits amusants ?

— Non, dit Malko, je préfère me coucher, demain soir peut-être. Mais pouvons-nous nous retrouver à neuf heures, demain matin ?

— Pas de problème, assura la jeune femme.

Malko n’eut même pas à prendre l’escalator. Elko attendait à côté. Ils redescendirent dans le parking sous l’hôtel prendre la Fiat louée par Malko, contournèrent la place, redescendirent le boulevard Tarlabasi et dévalèrent une rue horriblement raide. Trois cents mètres plus loin, ils durent laisser la voiture, continuant à pied pour gagner la rue Isticlal qui n’était plus qu’un chantier défoncé, y compris les trottoirs. Des néons rouges brillaient dans toutes les impasses, indiquant des boîtes de nuit.

C’est ici, annonça Elko Krisantem.

L’enseigne rouge annonçait Denizli.

Un portier chamarré s’inclina jusqu’au sol, repoussé sèchement par Krisantem. Le gazino était en sous-sol d’où filtrait de la musique orientale. Malko arriva sur le seuil d’une pièce toute en longueur, au plafond bas, coupée en deux par une estrade. Une danseuse du ventre se trémoussait mollement dessus, face à cinq musiciens endormis. Dans la salle, il y avait une majorité d’hommes seuls. Pas gais. Chacun d’eux avait devant lui un verre de raki et de l’eau. Ils ne buvaient pas, le regard glué à la danseuse. Quelques putes à l’allure paysanne occupaient des banquettes, papotant en attendant l’heure de pointe.

Elko murmura quelques mots au loufiat qui s’était jeté sur eux, et on les installa aussitôt au premier rang, bousculant sans ménagement quelques spectateurs amorphes.

Voilà mon copain ! annonça fièrement Elko.

Un homme énorme roulait jusqu’à eux, presque chauve. Des épaules de lutteur de sumo, un ventre impressionnant, un grand nez busqué et une moustache retombant de chaque côté de sa bouche, à la kurde. Il poussa un rugissement en voyant Elko et le serra sur son ventre à défaut de le serrer sur son cœur. Pendant plusieurs minutes ce ne furent qu’embrassades et rires gras.

Malko eut droit quasiment au même traitement et faillit étouffer… Ils s’assirent enfin et le raki commença à couler à flots. Hakan Sungur parlait anglais, mais se lança dans une interminable conversation en turc avec Elko.

Presque tous nos amis sont morts ! traduisit ensuite Krisantem. Abattus par la police ou pendant un « contrat ». D’autres ont quitté le pays. Il n’y a plus de travail, maintenant avec le gouvernement militaire.

— Et lui ?

Il est devenu légal. Juste quelques petits trafics avec la Bulgarie et la Roumanie… Mais il garde le contact.

Hakan Sungur se pencha vers Malko, hilare, montrant ses clients et dit en mauvais anglais.

Ce sont tous des koyru[31], des Anatoliens. Chez eux, ils ne voient jamais de femmes, elles portent toute le tchartchaf. Alors, ils restent ici des heures à regarder. Ils n’osent même pas aller avec les putes. Ils sont contents.

Sur scène, la danseuse avait arrêté ses contorsions et parlait aux musiciens, avec, de temps à autre, une brusque ondulation, comme pour rappeler son numéro. Hakan Sungur l’appela, tira de sa poche une liasse de billets et en garnit généreusement les deux bonnets dorés ornés de pierreries, qui lui servaient de soutien-gorge, et la large ceinture dorée, qui maintenant sa longue robe rouge.

Avec ses gros seins et son visage large et souriant, elle était plutôt avenante.

— Fatos est une brave fille, mais un peu paresseuse ! fit le patron.

Le sourire réapparut sur le visage de Fatos et comme une poupée dont on aurait remonté le ressort, elle se lança dans une danse du ventre endiablée, pour le plus grand plaisir des Anatoliens… Hakan Sungur lança un regard malin à Elko.

— Il paraît que tu as un service à me demander…

Elko Krisantem sourit.

— Oui.

C’est en turc qu’il expliqua son histoire. Hakan Sungur tiraillait sa moustache, pensif. Finalement, il laissa tomber.

— Il n’y a qu’une seule personne qui peut savoir s’il y a quelque chose. Ali Bamyacioglu…

— Qui est-ce ? demanda Malko.

Le Turc eut un geste évasif.

— Il connaît tous les douaniers de Haydarpaça, les dockers aussi. Avant, il était dans le trafic d’armes. Il bosse aussi beaucoup avec les Arméniens du Bazar, ceux qui exportent clandestinement des antiquités.

— Il va parler ? demanda Malko.

Le Turc éclata d’un rire énorme.

— Si vous venez de ma part, sûrement. Mais il ne sait peut-être rien.

En turc, il commença à expliquer la suite à Elko Krisantem.

Le bruit de l’orchestre était assourdissant et le garçon ne cessait de remplir leurs verres. Une autre fille très jeune, l’air vicieux et abruti à la fois, remplaça Fatos qui vint s’asseoir tout contre Malko, le fixant avec des yeux de veau énamouré. Elle avait changé sa tenue de lumière pour un pull, moulant ses gros seins, et une mini. Dans la pénombre, elle glissa la main sur la cuisse de Malko, dans un geste sans équivoque. Hakan Sungur se pencha vers lui avec un sourire salace.

— Elle est arrivée d’Anatolie il y a un mois. On me l’avait réservée. Je vous la donne pour ce soir.

Malko déclina l’offre poliment, mais Fatos ne bougea pas. Ivres de musique et de raki, ils finirent par se lever. Nouvelles congratulations. Malko fut heureux de remonter l’escalier et d’émerger à l’air libre.

Il se retourna, entendant des pas.

Fatos était sur leurs talons !

Malko fit comme s’il ne l’avait pas vue. Mais elle se mit à les suivre, comme un chien perdu.

— Dites-lui que je ne veux pas d’elle, demanda-t-il à Krisantem.

Le Turc prit l’air embarrassé.

— Hakan est un homme susceptible, expliqua-t-il. Il vous a fait un très beau cadeau. Si vous le refusez, il va se vexer. Il risque de donner un mauvais coup de téléphone.

C’était un comble ! L’Anatolienne attendait avec son sourire bovin. Il n’y avait plus qu’à l’adopter. Dans la voiture, elle monta naturellement à côté de Malko. Impossible de s’en débarrasser. Malko demanda finalement à Elko Krisantem.

— Faites quelque chose, emmenez-la !

Il tira une liasse de sa poche et donna cent mille livres à la fille. Elko discuta un peu avec elle et finit par dire :

— Je l’emmène manger une soupe de tripes en haut de la rue Isticlal. Il y a un restaurant ouvert toute la nuit. Après, je verrai.

— Parfait, dit Malko.

Si Elko voulait en profiter, tant mieux. Il rentra dans sa chambre et prit une douche pour dissiper les vapeurs du raki à 50°… S’il ne trouvait aucune trace du Gur Mariner, il n’avait plus qu’à quitter Istanbul. Les copains d’Elko Krisantem allaient-ils se montrer plus efficaces que les féroces Services Spéciaux turcs ?

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31

Paysans.