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Chapitre XVIII

Les cris assourdissants des mouettes accompagnaient sans discontinuer le gros ferry-boat parti de la place Eminonin à Istanbul, juste à côté du pont Galata, à destination de Haydarpaça, sur la rive asiatique. Il ponctuait sa traversée de petits coups de sirène, essayant d’éviter tout ce qui se déplaçait dans tous les sens sur le Bosphore, de la barque de pêche au majestueux pétrolier descendant de la mer Noire.

Une foule bigarrée était tassée sur le pont supérieur. En dépit des deux ponts ultra-modernes enjambant le Bosphore, beaucoup plus au nord, les ferries continuaient à faire le plein : pour 5000 livres[32], on rejoignait l’Asie en dix minutes.

Malko se retourna, admirant le Palais-musée de Topkapi et l’église Sainte-Sophie, derrière lesquels pointaient les six minarets de la mosquée Sultan Ahmet.

— C’est beau, n’est-ce pas ? remarqua Nesrin Zilli.

— Superbe, approuva Malko. Comme vous.

La jeune femme portait une robe en strech blanc décolletée en carré qui faisait loucher tous leurs voisins. Elle était venue le chercher à l’hôtel à neuf heures et il faisait déjà une chaleur accablante.

Malko reporta son attention vers l’avant du ferry. Des dizaines de cargos étaient ancrés dans la baie, en face de Haydarpaça. Certains si loin qu’on distinguait à peine leurs superstructures dans la brume de chaleur. D’autres déchargeaient à quai, sans un espace libre…

Le ferry toucha le quai et ils débarquèrent en face d’un centre commercial pouilleux aux toits de tôle ondulée. Malko, sur les indications de la jeune femme, tourna immédiatement à droite, longeant les docks. Jusqu’à une vaste entrée portant l’inscription : TODD HAYDARPAÇA LIMAN ISLETMESI.

— C’est là, annonça Nesrin Zilli.

Des camions entraient et sortaient sans arrêt. La jeune femme se fit guider par un douanier en uniforme bleu et ils se retrouvèrent dans un petit bureau vitré où il faisait 45°, en face d’un douanier crasseux, moustachu, rougeaud, renfrogné et qui puait l’ail : le responsable du dédouanement, Turan Ucaner. Sur la table, un chawerma[33] entamé enveloppe de papier attirait une nuée de mouches. Les autres se précipitèrent sur Malko… Nesrin Zilli montra son accréditif, expliquant l’affaire du Gur Mariner.

— On m’a déjà posé la question par téléphone, répliqua le douanier. Il n’y a ici aucun bateau de ce nom. Or, tous doivent effectuer une déclaration chez moi.

— Beaucoup de navires sont arrivés durant les quatre derniers jours ? interrogea Malko.

— Des flopées ! lança Turan Ucaner, l’air excédé. Regardez ! Ça n’arrête pas !

De son bureau vitré dominant les docks, on apercevait la rade et les grues en train de décharger. Des containers s’entassaient en piles gigantesques, à perte de vue.

— Vous auriez la liste de ces navires ? demanda Malko.

Pendant une fraction de seconde, il vit le visage du douanier refléter une fureur muette.

— Je crois pas ! finit par dire Turan Ucaner.

— Cherchez bien, insista Malko.

Nesrin Zilli intervint immédiatement, en turc, et le douanier se mit à transpirer encore plus. Farfouillant dans les piles de paperasses. Il exhiba finalement une feuille graisseuse, pleine de ratures et la brandit devant Malko.

— Voilà les mouvements du jour. Vérifiez !

— C’est la semaine que je veux, insista ce dernier.

Encore quelques minutes de palabres et le douanier retrouva enfin un registre noir où tous les mouvements du port étaient répertoriés. Jour par jour, recopiés à la main.

— Il y a une photocopieuse ici ? demanda Malko.

— Non.

C’était net et définitif.

— Dans ce cas, nous emportons le livre, conclut Nesrin Zilli.

Malko crut que le douanier allait frapper la jeune femme, puis la peur du MIT fut la plus forte. Turan Ucaner appela un grouillot et lui confia le registre noir. Ils restèrent tous les trois dans le bureau. Le silence n’étant troublé que par le bourdonnement des mouches. Mal à l’aise, le Turc transpirait à grosses gouttes, évitant le regard de Malko.

— Combien gagnez-vous ? demanda soudain celui-ci d’un ton plus conciliant.

Il fallut répéter trois fois la question pour qu’il consente à marmonner qu’avec les primes il se faisait environ un million de livres par mois. Il vivait dans un petit appartement de Harem, non loin de là. Avec une femme et trois enfants. Encouragé par Malko, il finit par devenir prolixe, expliquant qu’il était nerveux parce que fatigué. Il ne dormait pas assez. Seulement, en face, il y avait une mosquée dont le muezzin le réveillait à l’aube et, au-dessus de lui, la permanence d’un parti de droite, celui du colonel Turkesh, où l’on discutait jusqu’à deux heures du matin. Tandis qu’il parlait à Malko, son regard était irrésistiblement attiré par le décolleté de Nesrin Zilli et il se frottait l’entrejambe machinalement…

Le grouillot revint enfin avec les pages photocopiées et Malko remercia chaleureusement le douanier.

Ce n’est qu’une formalité, affirma-t-il. Mais je dois faire mon travail.

En partant, un énorme Scania manqua les écraser. Des chats faméliques rôdaient partout, traquant même les mouches…

Cet homme ment, dit Malko, lorsqu’ils remontèrent en voiture.

Sur quoi ? demanda Nesrin Zilli.

Je ne sais pas. Il était probablement mal à l’aise. Vous êtes certaine que tous les navires sont enregistrés ici.

Certaine.

Alors, nous avons une chance de découvrir la vérité. Grâce à ce document.

* * *

Cela avait pris une bonne demi-heure d’établir une triple liaison d’une part entre le bureau de la CIA à Istanbul, d’autre part, celui de Londres et, enfin, le QG de la Lloyds, également en Grande-Bretagne. Régulièrement, la communication était coupée et rétablie après-cinq minutes de jurons. Deux employés de la CIA lisaient la liste relevée par Malko et la comparaient par l’intermédiaire de leurs homologues à celles des Lloyds, assureurs de tout ce qui flotte.

Malko arriva au dix-huitième navire enregistré à la douane de Haydarpaça.

Voilà, annonça-t-il, le Sunset King, 10 000 tonnes, minéralier, inscription panaméenne. Armateur Shipping World Corp, Panama.

À Londres, on téléphonait d’abord à la Lloyds pour obtenir les coordonnées de l’armateur et ensuite à celui-ci afin de savoir où se trouvait son navire. La réponse arriva dix minutes plus tard.

— C’est OK. Il décharge de la lignite en provenance de Pologne.

Trois heures déjà que l’on s’escrimait à ce travail de Pénélope. Le chef de station tira Malko par la manche.

— Allons déjeuner, il est plus de deux heures.

Ils partirent à pied, à travers les petites rues de Galata, flanqués de Chris Jones et de Milton Brabeck, gagnant le bas de la rue Isticlal. Ils la remontèrent un peu pour aboutir dans le passage Çiçek, rempli de petits restaurants locaux. C’était bruyant, animé et sympa. Les deux « gorilles », eux, étaient recroquevillés. Il fallut les forcer pour qu’ils acceptent de manger. Épluchant les concombres déjà épluchés et reniflant avec méfiance le shish-kebab transformé en charbon.

— Vous êtes accrocheur, lança, à Malko, Malcolm Callaghan. Je pense que les Israéliens se sont fait avoir. Le Gur Mariner est probablement à Alexandrie où sa cargaison va être transférée sur un autre bateau et ensuite, ni vu ni connu…

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32

Environ 10 francs.

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33

Sandwich au mouton rôti.