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— C’est possible, dit Malko. Mais ce Turc de la douane n’est pas net.

L’Américain haussa les épaules, amusé.

— Aucun Turc n’est net ! Avec les salaires de misère et l’inflation, ils sont obligés de trafiquer pour survivre. Ici, il y a deux pays en un : le Danemark, pour les nantis, et le Pakistan, pour les autres.

On apporta le café. Chris Jones but le sien d’un coup. Soudain, Malko le vit devenir violet, se lever brusquement et se mettre à recracher une boue noirâtre sur les occupants de la table voisine, toussant comme un malheureux. Milton Brabeck lui assena une tape dans le dos à lui faire cracher ses poumons et, comme un des arrosés protestait, du plat de la main, il l’envoya de l’autre côté du passage sur un éventaire de tomates.

Dix secondes plus tard, les couteaux sortaient.

C’étaient des Anatoliens qui ne plaisantaient pas avec l’honneur…

Protégeant Chris Jones qui toussait toujours, ignorant qu’il faut boire le café turc lentement à cause du dépôt au fond de la tasse, Milton sortit son 357 Magnum et le brandit vers la verrière. Prudents, les Anatoliens reculèrent et on put enfin engager le dialogue… Grâce aux qualités de médiateur du Chef de station, les choses s’arrangèrent. Dix minutes plus tard, tout le monde sablait le raki. On eut du mal à se quitter.

— Il faut que j’appelle l’hôtel, dit Malko.

Elko Krisantem continuait ses recherches téléphoniques pour joindre son contact. Un peu plus loin, se trouvait une rangée de cabines rouges en face du vieux lycée français. Un petit vieux-assis sur un tabouret vendait des jetons de 100 livres. Malko appela le Marmara et Elko Krisantem annonça :

— Nous avons rendez-vous à quatre heures…

Il ne restait plus qu’à retourner au consulat américain. Ils y furent accueillis par l’adjoint de Malcolm Callaghan qui prévint d’emblée :

— Nous avons trouvé quelque chose. D’après le registre des douanes turques, un cargo de 11 000 tonnes est arrivé à Istanbul il y a trois jours. Le Seawolf, immatriculé au Libéria. Nous avons pu joindre son agent maritime, en nous faisant passer pour des clients éventuels. Or, il nous a été précisé que le Seawolf est actuellement au Bengladesh, désarmé, et qu’il va être découpé au chalumeau pour la ferraille !

— Himmel Herr Gott, murmura Malko, fou de joie.

— Bingo ! lança en écho Malcolm Callaghan.

— Se peut-il que ce douanier turc se soit fait avoir ? demanda Malko.

— C’est possible, répondit le jeune agent de la CIA. Si le navire a de faux papiers en règle, il n’y a pas de problème, c’est impossible à vérifier.

— Nous retournons à Haydarpaça, dit Malko. Avec Elko Krisantem.

* * *

Devant la taille respectable de deux « gorilles », le douanier de garde à Haydarpaça se découvrit une grande disponibilité… Mais lorsque Turan Ucaner vit les quatre hommes pénétrer dans son bureau, il arbora l’expression de quelqu’un à qui on annonce qu’il a le sida.

— Bonjour, dit Malko, je reviens pour vous demander une précision.

L’autre bredouilla. Brutalement, il avait oublié tout son anglais. Puis il croisa le regard de Chris Jones et parvint à dire « please » de façon presque convenable.

— Voilà, expliqua Malko, je veux tout savoir sur le Seawolf, arrivé il y a trois jours. Ce qu’il a débarqué et où il se trouve maintenant.

Il crut que l’autre allait avoir une syncope. Sans la présence des trois autres, il lui aurait sûrement sauté à la gorge.

— Ça va être long ! bredouilla-t-il, les papiers sont partis.

Ce fut le moment que choisit Elko Krisantem pour lui glisser à l’oreille, affectueusement.

— Dépêche-toi, oruscu cocuglu[34]

Le Turc sursauta sous l’injure. Il marmonna quelques mots dans sa langue où revenait « aynasiz »[35].

— Non, précisa Elko Krisantem, nous ne sommes pas des flics. Juste des enquêteurs pour une compagnie d’assurances. Maintenant, si tu veux te retrouver au MIT suspendu par les pouces, jusqu’à ce que tu puisses te gratter sous les genoux sans te baisser, fais ta mauvaise tête.

Chris Jones s’épongea le front et, sûrement par inadvertance, posa le talon de son 45 sur les orteils du douanier, en pivotant légèrement… Le hurlement du Turc fut interrompu par les suaves excuses du « gorille ».

— Oh, I am so sorry !

Après avoir farfouillé fiévreusement dans sa paperasse, Turan Ucaner sortit enfin une feuille crasseuse qu’il mit sous le nez de Malko, goguenard.

— Voilà. Le Seawolf. Il est arrivé il y a trois jours, reparti hier soir. Destination Alexandrie. Il n’a pas touché le quai, il est resté en rade.

— Qu’a-t-il débarqué ?

Un pouce noirâtre se posa sur une ligne vierge.

— Rien. Il était là parce qu’il avait des problèmes de machines. Il a effectué une réparation et est reparti après avoir payé la taxe. Pas de manifeste de chargement puisqu’il n’a rien débarqué.

Le douanier triomphait dans une haleine d’oignons. Malko déçu et intrigué n’insista pas. Il ramassa ses papiers et lança à la cantonade qu’il avait beaucoup de travail. Les quatre hommes se retrouvèrent dans la chaleur humide des docks et refranchirent le portail.

— Il ment ! explosa Elko.

— Évidemment qu’il ment, renchérit Malko. Les Irakiens ont trouvé une astuce géniale : changer le nom du bateau pour la douane et très probablement décharger en douce. Ou alors, ils n’ont rien fait et sont repartis pour Alexandrie où ils doivent se trouver maintenant.

— Comment va-t-on le savoir ? demanda Chris Jones dépassé par ces subtilités orientales.

— En nous intéressant à Turan Ucaner, fit Malko.

* * *

Vingt minutes ne s’étaient pas écoulées que la silhouette ventrue de Turan Ucaner apparut, franchissant le portail de l’entrepôt sous douane. À pied, sans sa casquette. Il traversa le parking des poids lourds, se dirigeant vers la rangée de bistrots alignés en face du terminal des ferries. Il pénétra chez Aslan Kardesler, traversa la terrasse bâchée et alla droit vers la cabine téléphonique.

Malko, en planque dans la voiture, eut un sourire froid.

— Elko, voilà la réponse à votre question. Maintenant, nous savons qu’il y a un loup. Peut-être est-il trop tard déjà, mais il faut aller rendre visite à l’ami d’Hakan Sungur. En priant pour qu’il soit efficace.

Quand ils démarrèrent, le douanier était toujours au téléphone… Ils attrapèrent un ferry de justesse qui les débarqua près du pont Galata. Elko les guida dans Ankara Caddesi qui montait vers le quartier de Babiani, le « Fleet Street » d’Istanbul. Il les fit s’arrêter à l’entrée d’un enchevêtrement de ruelles escarpées, grimpant vers le Grand Bazar.

— Il vaudrait mieux que Chris et Milton gardent la voiture, avertit-il. Ici, ils pourraient faire peur à notre ami.

Les deux « gorilles » ne se formalisèrent pas… Elko et Malko s’enfoncèrent à pied dans un dédale de ruelles bruyantes, animées, sordides. Des fils électriques pendaient, enchevêtrés sur les façades des immeubles noircis par la pollution. Les vieilles maisons aux balcons de bois semblaient prêtes à s’écrouler ; des porteurs écrasés sous d’énormes ballots de tissu, harassés, escaladaient des ruelles raides comme des échelles, trébuchant sur les trottoirs défoncés. C’était aussi le quartier de la confection, avec des centaines de boutiques. Ici, il n’y avait plus de circulation automobile. Certaines rues avaient été carrément transformées en parking par quelques malins. Elko s’orientait parfaitement. Juste avant d’arriver au bazar, il tourna dans un sok[36] en pente raide.

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34

Dépêche-toi, fils de pute.

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36

Impasse.