Выбрать главу

Elko poussa la porte d’une échoppe sur la vitrine de laquelle on pouvait lire en lettres tarabiscotées : LALIM KALAFAT. GUMUS[38]. Un jeune homme somnolait à la caisse. À la vue de clients éventuels, il envoya un enfant chercher le patron, à l’atelier au-dessus du magasin, tandis que le vendeur commençait à aligner ses trésors et à les peser. Il y avait peu de clients et cette cour était une oasis de calme au milieu du fourmillement du Grand Bazar. Lalim Kalafat arriva en même temps que trois cafés.

Un bonhomme haut comme trois pommes, avec une moustache grise plus grande que lui, un nez cyranesque et un regard de singe malin. Au nom de Faruk Yacisi, son visage s’éclaira d’une lueur cupide. Apparemment, le trafiquant de voitures ne lui envoyait que de bons clients. Assis sur un tabouret en face d’un monceau d’argenterie, Elko détailla leur problème en turc. Dès qu’il eut terminé, Malko, sans laisser le temps de réfléchir à l’Arménien, poussa sur le comptoir cinq billets de cent dollars.

Lalim Kalafat, en bon Arménien, ne put s’empêcher de mettre la main dessus… Et son visage, plutôt rébarbatif pendant le récit, devint nettement plus chaleureux.

— Je connais Turan Ucaner. C’est un spécialiste du rucvet, comme tous les douaniers d’ailleurs. Mais rien d’important ne peut se faire sans lui, à Haydarpaça. Il va bientôt prendre sa retraite, alors il met les bouchées doubles. Tout le monde ferme les yeux parce qu’il est très mal payé et que tout coûte très cher.

— Vous pensez qu’il aurait pu couvrir le débarquement clandestin d’un cargo ? interrogea Malko.

Lalim Kalafat eut un rire frais.

— Bien sûr. Il suffit de ne pas le mentionner dans son registre de douane. Et de donner un rucvet aux dockers. Mais pour une opération de ce type, il a dû être très bien payé. Il ne parlera pas facilement.

— Que pouvez-vous faire ?

Les doigts de l’Arménien caressèrent les billets de cent dollars, avec la douceur qu’on met à effleurer la peau d’une femme aimée.

— Puisque vous êtes un ami de Faruk Yacisi, je vais essayer de savoir ce qui s’est passé en allant là-bas, quand je ferme, vers sept heures.

— Vous pouvez venir à l’hôtel Marmara ensuite ?

L’Arménien hocha tristement la tête.

— Impossible. Je dois revenir ensuite ici. J’ai des ouvriers qui travaillent tard à l’atelier en haut pour finir une commande urgente. Vous pouvez passer à partir de onze heures, ce soir. C’est juste au-dessus de la boutique.

— Alors, à tout à l’heure, dit Malko.

En sortant du Grand Bazar, Elko Krisantem rayonnait.

— Finalement, remarqua-t-il, on a eu raison de ne pas tuer tous les Arméniens. Ils sont vraiment malins…

Jadis, pour Krisantem, comme pour beaucoup de Turcs, tuer un Arménien, c’était comme écraser une mouche sur une vitre. Malko salua intérieurement ce ralliement aux Droits de l’Homme.

Chris et Milton étaient cuits à point dans la voiture quand ils les rejoignirent… Ils mirent presque une heure pour retrouver le pont Galata, dans un embouteillage indescriptible.

Au Marmara, il n’y avait d’autre solution que de se mettre au parking souterrain de l’hôtel. On y accédait par une rue pentue comme une échelle. Malko qui avait repris le volant pénétra dans le parking, descendant la rampe hélicoïdale. Il n’y avait de place qu’au second sous-sol. Il enclenchait la marche arrière lorsque trois hommes jaillirent d’une voiture garée à quelques mètres. Encagoulés, des baskets, des tenues sombres. Tous armés de pistolets mitrailleurs. Ils s’avancèrent, prenant la voiture sous leur feu.

Chapitre XIX

Chris Jones réagit si vite que Malko le vit à peine ouvrir la portière d’un coup d’épaule et se jeter sur le sol de ciment dans un roulé-boulé impeccable.

Sa réaction provoqua quelques fractions de seconde de flottement chez les tueurs et eut deux conséquences. D’abord les trois autres occupants de la voiture, réalisant qu’ils n’avaient pas le temps de sortir sans se faire cribler de balles, plongèrent hors de vue des assaillants. Seul Malko, la portière bloquée par un pilier de ciment, ne pouvait pas sortir.

Les premières rafales claquèrent, pulvérisant les glaces et le pare-brise de la Fiat. Si les passagers avaient été en position normale, ils auraient tous été tués. Un des tueurs, armé d’un Ingram, fit un pas en avant, visant la tôle des portières. Il n’eut pas le temps d’appuyer sur la détente du pistolet mitrailleur.

Avant même d’avoir terminé son roulé-boulé, Chris Jones avait dégainé son Beretta 92, équipé du viseur laser. Un trait rouge, émis par ce dernier, en jaillit et se posa sur la poitrine de l’homme à l’Ingram. Un centième de seconde plus tard, son cœur éclatait sous le choc du projectile de 9 mm. Il recula, battant l’air de ses bras et l’Ingram tomba à terre avec un bruit métallique.

Le trait rouge bascula sur la droite, se fixant sur le visage du second tueur.

Chris Jones tira deux fois et les deux balles groupées percèrent la cagoule, à trois centimètres l’une de l’autre. Il tournoya sur lui-même et tomba derrière un des piliers de ciment. Le troisième tueur, décontenancé, recula, tout en tirant dans la direction de Chris Jones. Ce dernier, en train de se remettre debout, retomba avec une grimace, frappé par deux balles. Le bras tendu, il eut encore le temps de tirer une fois. Le projectile du Beretta 92 pénétra dans le cou du tueur et termina sa course dans son cerveau.

Une grosse tache de sang s’élargissait sur la chemise de Chris Jones, au niveau de l’abdomen. Il bascula en arrière, très pâle, après avoir quand même touché les dividendes de vingt années d’entraînement.

Le moteur de la voiture des tueurs rugit. Son conducteur tentait de fuir. Elko Krisantem jaillit de la Fiat comme, un diable, Astra au poing, et se précipita devant le véhicule en train de manœuvrer. Le chauffeur venait tout juste de passer la première quand sa tête éclata. Pour faire bonne mesure, Elko lui tira encore deux balles dont une lui fit éclater l’aorte. La voiture alla s’écraser contre le mur du fond dans un grand bruit de ferraille. Malko et Milton Brabeck jaillirent de la Fiat, dont les deux portières de gauche étaient bloquées par le mur.

Milton Brabeck se rua sur Chris, allongé sur le dos, horriblement pâle.

— Shit ! s’exclama-t-il. Shit ! Shit ! Il a une balle dans le ventre.

Malko s’approcha et aperçut une seconde tache de sang qui s’élargissait vers l’épaule gauche du « gorille ».

— Il est blessé là aussi, dit-il.

Ils entendirent un piétinement pressé, des appels et plusieurs policiers surgirent, arme au poing, et les mirent en joue. La vue des hommes encagoulés à terre et les explications d’Elko Krisantem les calmèrent partiellement. L’un d’eux remonta en courant réclamer une ambulance. Malko tendit la carte de Okman Askin avec le numéro du MIT, ce qui acheva de les rassurer.

Agenouillé près de Chris Jones, Milton Brabeck appuyait de toutes ses forces un mouchoir sur la blessure du ventre, sans parvenir à arrêter l’hémorragie. Chris ne réagissait plus.

— Bon sang ! Il se vide ! gronda le « gorille ». Qu’est-ce qu’ils foutent ?

L’ambulance arriva douze minutes plus tard. Lorsqu’on déposa Chris Jones sur la civière, il laissa une énorme tache de sang sur le ciment. Milton Brabeck était presque aussi blanc que lui.

— Il va crever, répétait-il machinalement, il va crever.

— Allez avec lui, conseilla Malko. Elko, à quel hôpital vont-ils ?

вернуться

38

Argent.