— Au Pasteur, dit le Turc, après s’être renseigné. C’est juste derrière l’hôtel Divan, tout près. Il faut l’opérer immédiatement.
L’ambulance démarra dans un hurlement de sirène assourdissant, laissant une bonne partie de ses pneus sur le ciment. Les explications commencèrent, relayées par Elko Krisantem. On ôta la cagoule des morts : c’étaient tous de très jeunes gens. On les fouilla sans trouver aucun papier, et les policiers réunirent leurs armes. Un peu plus tard, toujours sexy dans une robe de toile grise, Nesrin Zilli débarqua d’une voiture noire équipée de trois antennes. Après un bref conciliabule avec le chef des policiers, on rendit son arme à Elko Krisantem. Le MIT était vraiment tout-puissant. Les photographes de la police arrivèrent et Malko put enfin quitter le parking, flanqué de Krisantem et de la jeune femme. Il envoya le Turc louer une autre voiture et, avec Nesrin, ils s’installèrent à une table du salon de thé du Marmara, en face de la réception, dominant la place Taksim. La collaboratrice d’Okman Askin semblait très nerveuse.
— Que s’est-il passé ?
— Vous l’avez vu, dit Malko. Nous avons été attaqués par un commando très bien armé.
— Vous savez pourquoi ?
— Pas encore, fit Malko, prudent. Nous avons effectué une enquête qui tendrait à prouver que le Gur Mariner a bien déchargé sa cargaison ici. Mais il nous manque encore beaucoup d’éléments.
La jeune femme faisait machinalement tourner les glaçons de son verre de Cointreau entre ses doigts.
— Vous ne pouvez pas m’en dire plus ?
— Pas pour l’instant, dit-il. J’ai encore des vérifications à effectuer. Mais, d’abord, je voudrais prendre des nouvelles de Chris Jones.
— Allons dans votre chambre, proposa la jeune femme, ce sera plus facile pour téléphoner.
Tendu, Malko écoutait la longue conversation en turc. Nesrin Zilli avait eu du mal à trouver un responsable à l’hôpital Pasteur et ne le lâchait plus.
Elle finit par raccrocher et annonça :
— Il vient d’être opéré. Il a eu beaucoup de chance que l’hôpital soit tout à côté. Il a perdu trois litres de sang. Un quart d’heure plus tard, on ne pouvait plus le sauver.
— Il va bien ? demanda anxieusement Malko.
— Aussi bien que possible avec une balle dans le ventre et une dans l’omoplate, dit la jeune femme. Mais il s’en sortira. Son ami insiste pour rester auprès de lui. Il a demandé s’il y avait des antibiotiques en Turquie…
Ça avait dû faire plaisir aux Turcs…
— Il vous fait dire qu’il sera ici vers dix heures et demie, ajouta Nesrin Zilli.
— Merci, dit Malko.
Il se sentait bizarre, dans un état second. Nesrin Zilli avait une attitude ambiguë avec lui : à la fois très femme et aussi violemment désireuse de lui extorquer ce qu’il savait. Leurs regards se croisèrent et elle lui sourit. Un sourire sensuel, des yeux et de la bouche. En même temps, elle décroisa les jambes, exhibant un peu de ses cuisses. Un brasier s’alluma instantanément au creux du ventre de Malko. Chaque fois qu’il frôlait la mort, il avait la même réaction : une violente envie de faire l’amour. Il eut l’impression que la jeune Turque s’attendait à ce qu’il se jette sur elle. Mais il se contenta de proposer :
— Voulez-vous dîner avec moi, à l’hôtel ?
Avant le rendez-vous avec Lalim Kalafat, à onze heures, il n’avait rien à faire.
La vue, depuis le dix-neuvième étage du Marmara, était somptueuse. À gauche, le Bosphore et la berge asiatique, à droite la Corne d’Or, moins l’odeur pestilentielle. Le caviar était acceptable, le Moët millésimé bien glacé et le service parfait. Installés à une table de coin, dominant à la fois la Corne d’Or et le Bosphore, Malko et Nesrin Zilli pouvaient passer aux yeux des gens non avertis pour un couple d’amoureux. Ils n’avaient plus reparlé de l’incident du parking. Nesrin Zilli n’avait posé aucune question sur la piste suivie par Malko. Pourtant cela devait lui brûler les lèvres…
— Si nous dansions ? proposa-t-elle au dessert.
Une chanteuse en mini était accompagnée par un orchestre moderne. Ils gagnèrent la piste, et à la façon dont elle se serra tout de suite contre Malko, Nesrin Zilli exprima sans détour ce dont Malko se doutait.
À la fin de la danse, ils se séparèrent à regret. On l’appela au téléphone. C’était Milton. Chris avait repris connaissance.
— Restez à l’hôpital, dit Malko. Je me débrouillerai avec Elko.
Pour son rendez-vous de onze heures avec l’Arménien, il n’avait pas besoin du « gorille ».
Il était déjà presque dix heures. Nesrin, ce serait pour une autre fois.
— Je crois que je vais aller me reposer, dit-il en signant l’addition.
La jeune Turque se leva aussitôt.
— Moi aussi !
Dans l’ascenseur, elle demanda soudain.
— Je peux donner un coup de fil de votre chambre ?
— Bien entendu !
Arrivée dans la chambre de Malko, elle ignora le téléphone, alla jusqu’à la fenêtre, puis se retourna. Son regard rivé dans celui de Malko, elle commença à déboutonner sa robe, faisant apparaître un soutien-gorge et un slip de dentelle noire.
Elle le fit glisser le long de ses jambes, puis s’approcha de Malko, sans même retirer son soutien-gorge. Collée à lui, elle demanda d’une voix rauque.
— Baise-moi comme une putain.
Elle n’eut pas besoin de le demander deux fois. Malko plongea avec délices dans un tourbillon érotique inattendu. Nesrin était déchaînée, leurs dents se heurtaient, elle lui griffait le dos, son pubis cognait contre son ventre, impérieusement. Jusqu’à ce qu’elle l’entraîne sur le lit, les jambes déjà ouvertes. Son feulement se transforma en halètement précipité quand il se mit à la prendre violemment, sans se préoccuper de son plaisir à elle, comme elle l’avait demandé. Et pourtant, il la sentit se tordre et jouir presque en même temps que lui.
Cela n’avait pas duré un quart d’heure et elle n’avait même pas ôté sa robe.
Elle se releva, souriante, remit son slip et reboutonna son vêtement. Une lueur amusée flottait dans ses yeux sombres.
— Tu te demandes pourquoi j’ai voulu baiser avec toi ? dit-elle d’un ton léger.
— Un peu, avoua Malko.
Elle lissa un peu le dos de sa robe pour la défroisser et dit :
— D’abord, parce que tu me plaisais, bien sûr. Et puis, j’aime sentir l’odeur de la mort sur quelqu’un, ça m’excite. Mais, aussi, parce que ce salaud de Okman est sur son bateau, en ce moment, avec une poule de vingt ans. Il m’a envoyée m’occuper de cette affaire pour avoir les mains libres. Pensant que je n’oserais jamais coucher avec toi. Eh bien, j’ai osé. Et je recommencerai.
Nesrin éclatait de joie. Sa vengeance, elle ne l’avait pas mangée glacée. Elle embrassa Malko légèrement et s’enfuit. Lorsqu’il sortit d’une douche réparatrice, il était onze heures moins le quart et Elko Krisantem frappait à sa porte : il était temps d’aller au Grand Bazar.
Plus que jamais.
De nuit, les allées du Grand Bazar étaient étrangement silencieuses, contrastant avec le grouillement incessant de la journée. L’activité commerciale s’arrêtait vers sept heures.
Malko et Krisantem, après s’être garés près de la porte Beyazit, descendirent Kalpakcilan pour gagner la cour des argentiers.
Les boutiques étaient barricadées et les chats errants étaient les seuls êtres vivants en vue. Ils gagnèrent la galerie du premier étage. Un rai de lumière filtrait sous la porte de l’atelier de Kalafat. Malko frappa à la porte, une fois, deux fois. Il finit par la pousser et elle s’ouvrit. L’atelier était tout en longueur, avec des étagères chargées d’ébauches de plats. Une bouteille de butagaz servant à faire fonctionner un chalumeau, des tabourets et un établi composaient le reste du mobilier.