— Ananinami[39]…
Le dialogue s’engageait bien.
— Oruspu cocugu[40], fit simplement Krisantem.
Malko intervint pour faire cesser cet échange d’amabilités. Le visage cireux de l’Arménien assassiné fixait le plafond sale. Il tendit le doigt vers le cadavre et demanda au douanier.
— Vous avez assassiné cet homme tout à l’heure. Parce qu’il avait découvert la vérité sur la cargaison du bateau que vous avez déchargé clandestinement, le Gur Mariner. Je sais que vous avez menti. Où est-elle ?
Le gros douanier lui jeta un regard torve et demeura silencieux. Sans illusion sur ce qui l’attendait. Il avait fallu une sacrée motivation pour qu’il prenne le risque de venir tuer le petit Arménien.
Elko le fouilla. Il sortit divers papiers sans importance, puis cinq billets de cent dollars. Les frères jumeaux de ceux donnés par Malko à Kalafat… Cette fois le douanier manifesta une certaine nervosité. D’autant que Krisantem était en train de farfouiller dans des bouts de papier. Il en sortit un portant une suite de chiffres et de numéros avec, entre parenthèses, le mot « Seawolf ». Probablement le numéro d’un container déchargé clandestinement… Il le mit sous le nez du douanier.
— Bok soyu[41]. Tu vas nous dire où il est ?
Sans l’aide de Ucaner, cela prendrait des heures de le découvrir. Or, les containers partaient sans arrêt de la douane. Le prisonnier releva un peu la tête et, délibérément, cracha sur la main d’Elko Krisantem… Il avait dû recevoir vraiment beaucoup d’argent…
Pour l’instant, ils étaient dans une impasse.
Malko s’approcha à son tour.
— Ucaner, dit-il, si vous nous aidez, on oublie ce que vous avez fait, même ce meurtre, et je vous donne cinq millions de livres.
Cela le dégoûtait de faire une telle proposition, mais l’enjeu était trop important pour s’arrêter à des considérations morales. Il s’agissait de contrer le rêve expansionniste de Saddam Hussein qui risquait d’attenter à des centaines de milliers de vies humaines. Grâce à la combinaison de l’arme atomique et des super canons mis au point par Georges Bear, après le Koweït, il pouvait rayer Israël de la carte.
Le douanier, sans même lever la tête, lança une courte phrase aussitôt traduite par Elko Krisantem, qui accompagna sa prestation d’un coup de pied dans les parties vitales du prisonnier.
— Il a dit « j’encule ta mère ! », Sie Hoheit.
Compact comme un bloc de béton, le douanier attendait. À l’aube, ils seraient bien obligés de déguerpir avant l’arrivée des artisans, et ils avaient déjà un cadavre sur les bras. Ils pouvaient l’étrangler, mais, mort, il était inutilisable… C’était l’impasse. Soudain, le regard d’Elko tomba sur un des ustensiles de Pateher et brilla fugitivement.
— Sie Hoheit, dit-il avec infiniment de respect, il faudrait me laisser seul avec lui quelques minutes. Nous parlons la même langue. Si vous faisiez le guet, en bas. Il doit y avoir des patrouilles de police la nuit, à cause des cambriolages.
Comme pour lui donner raison, ils entendirent soudain du bruit dans la galerie. Malko alla voir. L’homme, qu’ils avaient déjà vu, se promenait enroulé dans sa couverture, à demi endormi. Il jeta un regard intrigué à Malko, puis retourna dans son coin.
— Allez-y ! souffla Krisantem, je n’en ai pas pour longtemps.
Chapitre XX
Elko commença par fermer à clef la porte de l’atelier, se méfiant des réactions de son maître. Le douanier le suivait des yeux avec inquiétude. Il avait compris qu’avec Elko il avait affaire à pire que lui-même…
D’une voix presque douce, il demanda :
— Qu’est-ce que tu fais ?
Elko tourna vers lui un sourire féroce.
— Je vais te faire crever, pezevenk[42]…
— Qui tu es ? On peut s’arranger, lança Ucaner. Tu sais, il y a beaucoup d’argent sur ce coup. Détache-moi. On se paie cet étranger et on part…
Sa phrase fut coupée net par le chiffon imbibé de cire qu’Elko venait d’enfoncer dans sa bouche… Il gargouilla, secoua la tête comme un âne fou tandis qu’Elko continuait à lui remplir systématiquement la bouche de tous les chiffons qui traînaient. Lorsqu’il eut terminé, il maintint le tout avec une bande de toile émeri qui servait à polir le métal. Arrachant au passage un peu de muqueuse, juste pour voir s’il pouvait vraiment crier. Il ne sortit de la bouche bâillonnée qu’un très faible cri de souris…
Rassuré, Elko s’approcha de la bouteille de butane alimentant le chalumeau servant à modeler le métal. Il le prit, ouvrit le gaz, approcha son briquet de l’embout. Il y eut un « plouf » sourd et une belle flamme bleue jaillit en chuintant. En bon artisan, Elko régla avec douceur la mollette jusqu’à ce que la flamme n’ait plus que quelques centimètres. Il posa ensuite l’embout et s’approcha du prisonnier. Lorsqu’il déboutonna sa chemise, l’autre se mit à remuer comme s’il était pris de la danse de Saint-Guy…
Ce fut rien à côté du bond qu’il fit lorsque la flamme à 1 500° caressa le mamelon d’un de ses seins, dessinant une arabesque rouge comme un tatouage.
Il tomba avec le tabouret, émettant des grognements saccadés. Patiemment, Elko le releva et s’attaqua à l’autre sein. Il pouvait voir la sueur couler dans les yeux de sa victime, il « sentait » l’horrible douleur, mais le cadavre du petit Arménien était là pour lui rappeler que Ucaner n’avait pas fait de quartier lui non plus. Il s’interrompit pour demander gentiment.
— Tu es prêt à me parler ?
Malgré l’affreuse brûlure, le douanier ne répondit pas. Grognant des mots indistincts. Pour être sûr de ne pas se tromper, Elko lui tendit un papier et un crayon.
Sans résultat.
— Bien, fit-il. On va continuer.
Quand il commença à défaire la ceinture du pantalon, Ucaner se contorsionna désespérément. Elko, impitoyable, parvint à descendre son pantalon et son slip sur ses genoux, libérant ses parties sexuelles. Évidemment, ça le dégoûtait un peu. Malko lui avait quand même inculqué un vernis de civilisation. Mais il avait en face de lui un Anatolien dur comme du granit, capable de supporter des tortures sans se déballonner. Il n’y avait qu’un truc pour le faire craquer… Il se pencha à son oreille et murmura.
— Tu ne pourras plus jamais baiser ta femme, ni aucune autre d’ailleurs. Alors, à la santé des générations futures…
Il reprit le chalumeau et le dirigea avec précaution sur la zone sensible.
Avant même que la flamme n’entre en contact avec la peau, les poils commencèrent à brûler dans une écœurante odeur de cochon brûlé… Ucaner essayait d’entrer dans le mur… La peau de sa verge commença à griller, avec d’énormes cloques. Il était secoué comme sur une chaise électrique, les yeux hors de la tête, bavant à travers le bâillon. Soudain, Elko vit ses yeux se révulser. Il était évanoui…
Il arrêta le chalumeau et lui épongea le front. Pourvu qu’il ne l’ait pas tué ! Mais quelques instants plus tard, le douanier ouvrit les yeux pour rencontrer le regard féroce de Krisantem qui lui annonça :
— Ce coup-ci, je vais te mettre les couilles au barbecue. Tu pourras les ramener chez toi pour les pendre près de ton lit…
Il prenait déjà le chalumeau. Ucaner croisa son regard et craqua. Ce n’était pas de pot d’être tombé sur un autre Turc. Jamais un étranger ne lui aurait fait un truc pareil ! À l’intensité de ses mimiques, Elko comprit qu’il y avait un tournant dans la conversation. Il tendit le mot avec la question « tu veux parler ». Cette fois, d’une main tremblante, sa victime écrivit dessous « oui ».