— Qui t’a contacté ?
— Quelqu’un avec qui je travaille d’habitude.
— Qui ?
— Un transporteur. Il sort souvent des marchandises avec ses camions.
— Qu’est-ce qu’il t’a offert ?
— Cinq millions de livres.
— Pour quoi faire ?
— Laisser décharger un container d’un navire, l’entreposer et fabriquer les papiers pour qu’il puisse sortir de la douane sans problème.
Elko Krisantem se pourléchait les babines. Turan Ucaner était brisé. Il avait appelé Malko après avoir rendu une apparence décente au douanier, lui promettant de lui trancher les parties vitales s’il disait quoi que ce soit du traitement qu’il avait subi… Rhabillé, Ucaner était juste un peu pâle et crispé. Gentiment, Elko Krisantem mit de la cire sur ses brûlures pour soulager sa douleur. Quand il l’enlèverait, cela serait une autre paire de manches…
— Vous savez ce qu’il y avait dans le container ?
— Non.
Et visiblement, il s’en foutait.
— Vous avez vu des Irakiens ?
Ucaner ouvrit de grands yeux.
— Des Irakiens ? Non. Pourquoi ?
— Pour rien.
Turan Ucaner aurait bien voulu être ailleurs… La férocité de son interrogateur l’inquiétait pour son proche avenir… Malko continua l’interrogatoire.
— Où est ce container ?
— Dans les docks.
C’était trop beau pour être vrai… Il n’y avait plus qu’à prévenir le MIT.
— Très bien, dit-il. On va y aller.
— Maintenant ?
— Maintenant.
Malko remarqua qu’il avait du mal à marcher, mais préféra ne pas se poser de questions. Le douanier prit place à côté de lui, l’Astra d’Elko Krisantem vissé à sa nuque, et ils refirent le chemin déjà parcouru un peu plus tôt dans la soirée. À l’entrée de l’entrepôt douanier, la sentinelle eut l’air surpris en reconnaissant son chef, mais ils passèrent sans encombre. Des milliers de containers s’empilaient à perte de vue. Turan Ucaner les guida dans le dédale jusqu’à une pile près du quai 5.
— C’est là ! fit-il.
Ils descendirent tons les trois. Soudain le douanier poussa une exclamation.
— At Yarragi[43]. Il n’est plus là.
Elko était déjà sur lui, empoignant son sexe à deux mains. L’autre poussa un hurlement.
— Si tu t’es foutu de notre gueule, gronda le Turc, tu vas terminer dans la flotte…
— Non, non, je vous jure ! Il était là.
Il montrait deux gros containers de quinze mètres de long empilés l’un sur l’autre. Malko s’approcha. Leur étiquette indiquait leur provenance : New York.
Il se retourna vers Ucaner. Le Turc suait à grosses gouttes, paraissant sincère.
— Qu’a-t-il pu se passer ? demanda-t-il.
Le douanier avala sa salive avant de répondre.
— Ils ont dû venir le chercher avec un camion ce soir, pendant que je n’étais pas là… Je leur avais donné tous les papiers…
Malko était déjà en train de calculer combien de temps il fallait à un poids lourd pour atteindre l’Irak. Mais sans savoir lequel, impossible de l’intercepter. En plus, les Irakiens devaient avoir au niveau local des tas de complicités. Elko releva le chien de l’Astra et dit :
— Il ment, il faut le tuer.
— Non, protesta Turan Ucaner, je ne mens pas, je vais savoir ce qui s’est passé. Demain matin. On va venir me donner le reste de l’argent. Je leur demanderai.
— Demain matin, le camion sera loin, fit observer Malko.
Il était déjà loin… mais sans information complémentaire, il n’y avait rien à tenter.
— À quelle heure prenez-vous votre service ? demanda-t-il.
— Neuf heures.
— Très bien. Nous serons là. Vous nous montrerez l’homme qui viendra vous voir. Sinon, nous terminerons au MIT…
Réveillé en pleine nuit, Malcolm Callaghan avait du mal à suivre les dernières péripéties.
— J’appelle tout de suite Okman Askin pour voir ce qu’on peut faire, dit-il… Le MIT dispose de deux hélicos. Ils peuvent rattraper le camion…
Malko alla prendre une douche et en sortait tout juste quand le téléphone sonna. C’était Malcolm Callaghan, pas encourageant.
— J’ai eu Askin, annonça-t-il. Les choses ne sont pas simples. Il faudrait connaître le numéro du camion. Il en passe tous les jours des centaines. Le MIT ne dispose pas d’assez de gens pour fouiller tous les containers… Vous ne pouvez pas avoir une information supplémentaire ?
— Combien faut-il de temps pour arriver à la frontière irakienne ?
— Environ douze heures, en roulant vite.
Cela laissait à peine trois ou quatre heures. Si Ucaner avait dit la vérité. Tout dépendait maintenant du douanier corrompu.
Milton Brabeck, les yeux rougis par le manque de sommeil, fixait le bureau vitré de Turan Ucaner comme un chat regarde un canari… Malko rongeait son frein, comptant les minutes. Imaginant le poids lourd que chaque tour de roue rapprochait de l’Irak… Leur voiture était stationnée en plein soleil, non loin de l’entrée des docks sur la rampe qui descendait vers le chemin de fer. Elko Krisantem, par prudence, était installé dans le bureau du douanier afin de lui éviter toute tentation… Il était dix heures dix et le soleil tapait comme à Cayenne.
Elko apparut soudain sur l’escalier menant au bureau, suivi de Turan Ucaner. Il fit un crochet vers la voiture.
— On lui a téléphoné ! annonça-t-il, nous allons en face, au Kardesler. Voir son type.
Milton et Malko leur emboîtèrent le pas et virent Elko et Ucaner s’installer à des tables séparées. Quelques minutes plus tard, un homme descendit d’une Volkswagen jaune comme un taxi et rejoignit le douanier. Ils restèrent une dizaine de minutes ensemble, puis l’inconnu passa discrètement sous la table une grosse enveloppe à Turan Ucaner qui l’empocha. Il se leva aussitôt après et regagna la voiture jaune où l’attendait le conducteur.
Trente secondes plus tard, le douanier était entouré affectueusement de ses nouveaux amis.
— Alors, maquereau ! demanda aimablement Elko Krisantem.
— C’était lui ! fit piteusement Ucaner.
— On s’en doute. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
— Il était content. Seulement, ils ont un problème.
— Lequel ?
— Le camion n’est pas parti d’Istanbul.
Malko l’aurait bien embrassé.
— Pourquoi ?
— Une histoire de pneus. Il faut en changer un à l’avant. Ils ne l’auront pas avant ce soir ou demain.
— Pourquoi t’a-t-il dit cela ? demanda Elko, soupçonneux.
— Il voulait être sûr qu’il n’y avait aucune trace écrite du passage de ce container à la douane.
— Pourquoi ?
— Officiellement, ce camion emporte un container, expédié par le consulat d’Irak à Istanbul et donc couvert par l’immunité diplomatique. En réalité, il s’agit du container débarqué clandestinement.
C’était diabolique !
— Où est ce camion avec le container ? demanda Malko.
Turan Ucaner s’essuya le front.
— Il ne me l’a pas dit exactement. Dans un parking à l’air libre, pas très loin d’une bretelle de la E5. Tout près du consulat d’Irak.