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Elko Krisantem lui écrasa le pied sous la table, méchamment.

— Tu te fous de nous, maquereau…

— Non, non, affirma le douanier. Je ne sais rien de plus. Seulement, c’est un très gros camion avec un pneu foutu à l’avant.

Elko et Malko échangèrent un regard éloquent. La terreur de Turan Ucaner était visible à l’œil nu. Il leur avait dit tout ce qu’il savait… Maintenant c’était à la police turque de jouer.

— Laissez-le, dit Malko. Vous savez où joindre ces gens ?

— Non, ce sont eux qui me téléphonent.

— S’ils vous appellent, essayez d’en savoir plus. Voici mon numéro.

Il le griffonna sur un bout de bloc du Marmara et le Turc le mit dans sa poche.

— Je peux m’en aller ?

— Oui.

Il se leva, traversa devant le parking des poids lourds et s’éloigna à pied.

Il n’avait pas disparu depuis trois minutes qu’une Volkswagen jaune canari passa devant le café.

— Holy shit ! s’exclama Milton Brabeck.

Ils avaient compris tous les trois. Ils se ruèrent à la poursuite de Turan Ucaner. De loin, ils virent la voiture jaune arriver derrière lui. Il ne la voyait pas. Un bras sortit de la portière, prolongé par un gros pistolet. Les détonations se perdirent dans le brouhaha du port. Ucaner tituba, puis tomba en avant, frappé de plusieurs projectiles dans le dos. La voiture s’arrêta et, sans même descendre, le tueur logea encore une balle dans la tête du douanier avant de redémarrer. Milton avait tiré son arme, mais il y avait trop de monde. Lorsqu’ils arrivèrent près du corps, Turan Ucaner avait cessé de vivre.

Les Irakiens bétonnaient.

* * *

Un garçonnet s’éclipsa après avoir apporté le café. Okman Askin semblait très embarrassé. Il se retourna vers le Bosphore comme pour y chercher une inspiration, puis affronta le regard de Malcolm Callaghan.

— Ce que vous me demandez est très délicat, expliqua-t-il. Il s’agit d’une décision politique.

L’Américain, en dépit de sa courtoisie, montra un peu d’agacement.

— Je pense que vous ne réalisez pas l’importance de l’enjeu. Si jamais le monde apprend que des composants militaires permettant à l’Irak de noyer Israël sous un déluge atomique ont librement transité par la Turquie, les réactions seront extrêmement négatives…

— Bien sûr, admit le Turc, mais la situation réelle est un peu plus complexe. Le container dont vous parlez n’a pas d’existence officielle. En plus, avec la disparition de ce douanier, je n’ai pas de témoin solide. Il n’y a aucune trace de son débarquement et comme on en manipule des centaines tous les jours, c’est improuvable. Ce navire – le Gur Mariner – n’est pas venu officiellement à Istanbul et son « double » est déjà reparti ! D’après les documents officiels il n’a jamais rien débarqué.

— Vous savez pourtant que tout cela est exact, objecta Malko.

Le Turc eut un geste apaisant.

— Bien sûr ! Seulement, ce que vous demandez aux autorités turques est de saisir un container protégé par l’immunité diplomatique. Imaginez que cet homme ne vous ait pas dit la vérité et que nous tombions sur une cargaison officielle… Vous imaginez la réaction des Irakiens ! Or notre Premier ministre se rend en Irak la semaine prochaine. Il m’est impossible de prendre sur moi de retrouver ce container et de le faire ouvrir.

— Les Services spéciaux sont faits pour ce genre de problème, remarqua suavement Malcolm Callaghan, un peu agacé par ce soudain légalisme. Dans le passé, le MIT s’est permis des entorses infiniment plus graves à la légalité sans faire autant de chichis.

— Exact, reconnut Askin. Étant donné nos excellentes relations, je vais moi-même aller voir le chef de cabinet du Premier ministre. Il est le seul à pouvoir me donner le feu vert.

— C’est urgent ! souligna l’Américain.

— Je vais faire de mon mieux, promit le Turc, je vous appelle au consulat dès que possible.

* * *

Un troupeau de moutons était frileusement blotti sur un triangle d’herbe desséchée au nœud routier de Talatpasa, là où la E5 envoyait un embranchement vers le nord, sur Kasithane. Indifférents au grondement de la circulation, les animaux dormaient sous la protection d’un berger anatolien qui semblait aussi perdu qu’eux.

— On sort ici ! annonça Elko Krisantem penché sur la carte.

Tout le nord d’Istanbul était un no man’s land de collines pelées hérissées de Gecekundus[44] hideux, de part et d’autre de la Çevre Youlou, l’énorme autoroute qui encerclait la ville et ses six millions d’habitants. Une fois sortis de la E5, ils se mirent à la recherche du consulat d’Irak, passant devant un énorme hôpital lépreux et redescendant vers une zone presque campagnarde. À force de demander aux passants, ils aboutirent tout à coup devant un blockhaus gris de quatre étages sur lequel flottait le drapeau irakien, isolé par de hautes grilles, gardé par deux voitures de la police turque.

Tout en haut de la rue Edip Hadivar, une petite voie commerçante et bucolique du quartier d’Okmeydani : c’était le point de départ de leurs recherches pour tenter de retrouver le mystérieux camion, sans attendre la réponse du MIT.

— Il faut remonter vers la E5, dit Malko.

Turan Ucaner avait dit, avant d’être assassiné, que le parking était visible du freeway. Ils le parcoururent trois fois dans les deux sens, sans rien voir entre Talaptsa et Sisli. C’est presque par hasard, alors qu’ils étaient ressortis par la bretelle de Sisli et qu’ils suivaient une rue parallèle à la E5, que Malko aperçut en contrebas une sorte de terrain vague où stationnaient une demi-douzaine de poids lourds. Il leur fallut encore dix bonnes minutes pour y arriver. Malko s’arrêta à bonne distance, en haut d’une rue surplombant le « parking », un simple terrain vague. Il y avait deux camions citernes, un Scania bâché immatriculé en Allemagne de l’Est, un roumain trop petit pour être leur objectif et un énorme semi-remorque Volvo, chargé d’un container couleur rouille de douze mètres de long. Un monstre. Deux hommes se trouvaient dans la cabine du poids lourd en train de casser la croûte. À côté, se trouvait une Mercedes grise, portières ouvertes, avec quatre hommes.

— Je vais voir, dit Elko.

Il s’éloigna, faisant un large détour. Malko le vit réapparaître, dix minutes plus tard, portant un sac de fruits et un journal !

Elko Krisantem longea le terrain vague, débouchant juste devant le Volvo. Tout à coup, Malko et Milton Brabeck le virent monter sur le marchepied et frapper à la glace, côté conducteur !

— Holy shit ! lança l’Américain, he is crazy[45] !

* * *

Quand Elko Krisantem le voulait, il savait prendre l’air totalement abruti… C’est une face d’imbécile un peu amorti, que vit le conducteur du Volvo, en train de dévorer un lakmaccun[46]. Déjà de mauvaise humeur, il baissa sa glace et lança.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Oh rien ! fit Krisantem, je passais et je regardais ton camion.

— Et alors, t’en as jamais vu ! lança le conducteur commençant à remonter sa glacer.

— Si, si, fit Krisantem, je voulais juste te dire que ton pneu a une grosse coupure. À l’avant. C’est dangereux de rouler comme ça.

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44

Bidonvilles.

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45

Merde, il est devenu fou !

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46

Sorte de pizza.