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— Que s’est-il passé à Berchtesgaden ? demanda-t-il.

Jack Ferguson eut un geste d’impuissance.

— Nous n’en savons rien. John Mac Kenzie n’a pas repris contact avec nous après son départ de Munich. Lorsqu’on a retrouvé son cadavre, toutes ses affaires manquaient. Même chose pour Heidi Ried. La police allemande nous a transmis un rapport détaillé. Il a été égorgé avant d’être jeté dans le vide. Avec une arme très tranchante, style rasoir. Quant à Heidi, elle a eu le larynx fracturé par un professionnel des sports de combat. Elle a aussi été violée par trois hommes. Le rapport scientifique du BKA est formel.

— John Mac Kenzie était armé ?

— Non. Il s’agissait d’une simple filature…

— Apparemment, ils ont vu quelque chose qu’il ne fallait pas voir : le ou les commanditaires de Farid Badr… Personne n’a rien remarqué à Berchtesgaden ?

— Il y a deux mille touristes par jour. Le personnel de la Kehlstein Haus a remarqué plusieurs hommes de type moyen-oriental, mais rien de concret sur le meurtre. Sans l’hélicoptère de la police bavaroise, on ne retrouvait même pas les corps.

— La police bavaroise n’a rien trouvé sur eux ?

— Aucune trace dans les hôtels de Berchtesgaden ou de la région. Nous avons juste un début de piste.

— Lequel ?

Au lieu de lui répondre, Jack Ferguson tira une photo de son dossier et la tendit à Malko.

— Ça vous dit quelque chose ?

Malko examina le document. Un décor de bar avec une superbe créature juchée sur un tabouret. Des cheveux descendant presque jusqu’aux reins, d’immenses yeux noirs et une bouche charnue, pulpeuse, d’une sensualité à donner la chair de poule à un homme normal. Les jambes n’en finissaient pas, découvertes par une robe très courte. Elle souriait d’un sourire carnassier et fascinant qui ne s’adressait pas à l’homme qui la tenait par les épaules.

— C’est le bar de l’hôtel Bristol à Vienne, dit Malko. Et il s’agit d’une certaine Pamela Balzer.

— Vous la connaissez ?

Malko eut un sourire entendu.

— Qui ne la connaît pas à Vienne ! Elle est arrivée il y a deux ans, de Londres, avec une réputation sulfureuse. Elle s’appelait encore Pamela Singh. Une Indienne d’une beauté rare, avec un corps de déesse tantrique. On a prétendu qu’elle se massait tous les matins avec une huile aphrodisiaque, mais c’est vraiment inutile. Elle a épousé un certain Kurt Balzer, dont elle a divorcé six mois plus tard en conservant son nom. Elle a un appartement sur le Schubertring et on la voit dans toutes les soirées. Souvent avec des hommes différents. J’ai dû danser deux ou trois fois avec elle.

L’Américain lui jeta un regard plein de suspicion.

— Vous ne l’avez pas…

Malko sourit. Angélique.

— Cette dame bien que ravissante n’est pas dans mes moyens… Pourquoi me posez-vous toutes ces questions ?

— La police autrichienne affirme que c’est une call-girl de haut vol.

» Elle pourrait être mêlée à notre affaire. Le poste frontalier de Market-Schellenberg entre Berchtesgaden et Salzburg a remarqué, le jour du meurtre, une voiture immatriculée à Vienne, qui rentrait en Autriche avec trois hommes à bord. Ce qui l’a frappé, c’est que le conducteur – de type moyen-oriental – lui a tendu un passeport diplomatique alors que la voiture avait une plaque normale. Une Volvo 480, de couleur noire. Les trois premiers chiffres sont 529… Or Pamela Balzer possède une voiture de même type, même couleur, dont le numéro d’immatriculation est V 529 664…

— C’est un peu mince, remarqua Malko.

— Bien sûr, reconnut l’Américain. Seulement, la police viennoise a procédé à une enquête rapide chez le concessionnaire Volvo d’ici. Il n’a vendu que six voitures de ce type immatriculées à Vienne. Aucun des autres numéros ne correspond…

— Elle a interrogé Pamela Balzer ?

— Oui, sous prétexte d’un accident de la circulation avec une voiture qui se serait enfuie. Elle prétend que sa voiture n’a pas quitté son parking. Invérifiable. Dans le quart d’heure qui a suivi cette demande, le chef de la police a reçu un coup de téléphone très poli du cabinet du Premier ministre s’inquiétant des « misères » qu’on faisait à Pamela Balzer…

— Elle a la cuisse très éclectique, confirma Malko. Je pense qu’en deux ans, elle a couché avec tout ce qui compte à Vienne et en Haute-Autriche. Mais je ne vois pas pourquoi elle serait mêlée à ce double meurtre.

— Moi non plus, avoua l’Américain, mais c’est la seule piste que nous ayons. Aussi, j’ai pensé que vous seriez mieux à même que la police d’approcher cette personne.

— Si c’est comme client, dit Malko en souriant, les comptables de Langley vont s’évanouir.

Décidément l’Américain n’avait pas le sens de l’humour.

— God damn it ! jura-t-il, je ne finance pas vos mauvais instincts. Nous avons perdu deux agents et nous sommes dans la merde. Aucune piste. Tout ce beau monde s’est évanoui. Farid Badr, le Libanais, a disparu. À mon avis il est déjà à Téhéran.

— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

De nouveau, le chef de station fouilla dans son dossier et en sortit un rapport de la police des frontières autrichiennes, avec la photocopie d’une page de passeport, qu’il tendit à Malko.

— Le soir de l’incident de Berchtesgaden, expliqua-t-il, un homme, répondant au signalement de Farid Badr, a embarqué à Schwechat, sur le vol de Larnaca, à Chypre, porteur de ce passeport. Les Autrichiens photocopient tous les passeports orientaux, par précaution. Ils nous ont communiqué celui-ci et nous l’avons passé dans l’ordinateur. Le résultat confirme ce que nous pensons.

— C’est-à-dire… ?

— Ce passeport fait partie d’un lot de passeports vierges iraniens, mis à la disposition des Hezbollahs pour des opérations terroristes.

— Comment avez-vous découvert cela ?

— Une fuite volontaire d’un diplomate iranien qui estime que cela peut nuire à l’image de son pays…

Malko regarda la Grande Roue du Prater qui commençait à tourner. Avec l’été, le parc d’attractions viennois, coincé entre le Danube et son canal, ne désemplissait pas. Tous les indices énumérés par l’Américain concordaient. Mais cela ne leur donnait aucune piste. Il remarqua.

— Quelqu’un va bien récupérer le lot de krytrons qui arrivent des États-Unis ? Cela permettra de reprendre la piste.

L’Américain acheva son café et alluma une Marlboro.

— C’était l’intention initiale, mais, après ce qui est arrivé, nous ne voulons plus jouer avec le feu. On va arrêter le réceptionniste sans aller plus loin. Il y a de fortes chances pour qu’il ne parle pas.

— Je vais voir ce que je peux faire, dit Malko. Si cette Pamela Balzer est mêlée à l’histoire, elle est déjà sur ses gardes et je n’en tirerai rien.

— Essayez quand même. Je vous ouvre un crédit de mille dollars sur le budget de la Station, ajouta généreusement l’Américain.

Malko le regarda ironiquement.

— Cela me donnera tout juste le droit de lui baiser la main.

* * *

Le bar de l’hôtel Bristol était toujours peu fréquenté avant le déjeuner. Le visage du barman s’éclaira en voyant Malko.

— Ach ! Sie Hoheit ! Cela fait plaisir de vous voir. Vous faites enfin une infidélité au Sacherl Est-ce que je peux vous offrir une Stolichnaya ? En guise de bienvenue ?