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Mais R. Daneel, lui, ne souriait jamais.

Baley soupira profondément, et, se relevant, il se dit :

« Et maintenant, Spacetown, prochaine et peut-être dernière étape ! »

Les services de police de la ville, ainsi que certains hauts fonctionnaires, disposaient encore de véhicules individuels pour circuler dans les avenues et dans certains tunnels souterrains, ouverts autrefois au trafic, mais interdits maintenant aux piétons. Les groupement libéraux ne cessaient jamais de demander que ces routes carrossables fussent transformées en terrains de jeux pour les enfants, ou aménagées en boutiques, ou encore utilisées pour augmenter le réseau des tapis roulants secondaires et celui de l’express.

Mais les impératives exigences de la sécurité civique demeuraient inflexibles. Il était en effet essentiel de prévoir des incendies trop importants pour qu’on pût les maîtriser par les moyens habituels, des ruptures massives de courant ou de ventilation, et surtout de graves émeutes ; et, en vue de telles éventualités, il fallait que les forces de l’ordre de la Cité pussent être dirigées en hâte vers les points névralgiques. Pour cela, il n’existait et ne pouvait exister aucun autre mode d’acheminement de troupes que les autoroutes.

Baley avait déjà circulé dans ces tunnels à maintes reprises, mais, chaque fois, le vide de ces espaces lui avait paru choquant et déprimant. Ils semblaient être à des milliers de kilomètres de la vie ardente et chaude de New York. Tels de longs serpents sinistres et aveugles, ces routes se déroulèrent sous ses yeux, tandis qu’il conduisait la voiture de police ; à tout moment, elles s’ouvraient sur de nouvelles avenues, à mesure qu’elles s’incurvaient dans telle ou telle direction ; et, sans qu’il eût besoin de se retourner, il savait que, derrière lui, un autre long et sombre serpent se déroulait de même et disparaissait au loin. L’autoroute était bien éclairée, mais cette lumière ne signifiait rien dans un tel silence et un tel vide.

R. Daneel ne fit rien pour rompre ce silence ; il regardait droit devant lui, aussi indifférent au vide de l’autoroute qu’à la cohue de l’express. En l’espace d’un éclair, et tandis que la sirène de la voiture hurlait sinistrement, ils bondirent hors de l’autoroute pour gagner, par une rampe incurvée, la chaussée carrossable d’une avenue de la ville. Des chaussées carrossables continuaient en effet à être entretenues dans les principales artères, et demeuraient un des rares vestiges du passé. Car il n’y avait plus de véhicules automobiles, à l’exception des voitures de police, de pompiers ou de quelques camions du service de la voirie. Aussi les piétons en usaient-ils en toute tranquillité, de sorte que l’arrivée inopinée de la voiture mugissante les fit s’écarter avec autant de hâte que d’indignation. Baley se sentit respirer plus librement dès qu’il entendit autour de lui le bruit familier de la foule ; mais cela ne dura guère, car moins de deux cents mètres plus loin, il quitta l’avenue pour s’engager dans les couloirs à nouveau déserts qui menaient à Spacetown.

On les attendait à la barrière. De toute évidence, les factionnaires du poste de garde connaissaient R. Daneel, car, tout humains qu’ils fussent, ils lui firent un petit signe d’amitié, sans prendre le moins du monde un air de supériorité.

L’un des gardiens s’approcha de Baley et le salua avec une courtoisie toute militaire, dont la perfection n’excluait pas la froideur. Il était grand et avait l’air grave, mais son physique ne répondait pas aussi parfaitement que celui de R. Daneel à la définition du Spacien.

— Votre carte d’identité, s’il vous plaît, monsieur, dit-il.

Le document fut examiné rapidement, mais avec soin. Baley remarqua que l’homme portait des gants couleur chair, et que, dans chaque narine, se trouvait un petit filtre à peine visible.

Le factionnaire salua de nouveau et lui rendit la carte ; puis il lui dit :

— Il y a ici des Toilettes où vous pouvez prendre une douche.

Baley eut envie de refuser l’offre, car il n’avait aucun besoin de se laver, mais, comme la sentinelle regagnait sa place, R. Daneel intervint :

— Il est d’usage, mon cher Elijah, dit-il en tirant son associé par la manche, que les citoyens de New York prennent une douche avant de pénétrer dans Spacetown. Je me permets de vous le signaler, car je sais que vous ne désirez pas compliquer les choses, ni pour vous ni pour nous, par manque d’information sur nos coutumes. C’est également dans cet esprit que je dois vous prier de prendre toutes vos précautions au point de vue hygiénique, car, à l’intérieur de Spacetown, vous ne disposerez pas de water-closet.

— Pas de water-closet ? s’écria Baley, scandalisé. Mais c’est inimaginable !

— Je veux dire, bien entendu, qu’il n’y en a pas à la disposition des citoyens de New York.

Baley ne put cacher son indignation.

— Je suis désolé, reprit Daneel, mais il s’agit d’un règlement qui ne comporte aucune exception.

Sans répliquer un mot, Baley entra donc dans les Toilettes, et sentit, plus qu’il ne le vit, R. Daneel qui y pénétrait derrière lui.

« Qu’est-ce qu’il veut ? se dit-il. Me contrôler, sans doute, et s’assurer que je me libère des microbes de la ville ! »

Pendant un instant, il eut peine à maîtriser son exaspération, et il n’y parvint qu’en se délectant par avance à l’idée du coup qu’il allait bientôt porter à Spacetown ; il s’en réjouit tellement qu’il en vint à considérer comme négligeable le risque qu’il courait lui-même.

Les Toilettes étaient de petites dimensions, mais bien agencées, et d’une propreté si méticuleuse qu’on pouvait les qualifier d’antiseptiques. L’air avait une odeur que Baley, un peu déconcerté tout d’abord, reconnut bientôt :

« C’est de l’ozone ! se dit-il. La pièce est soumise à l’action de rayons ultra-violets ! »

Un écran s’alluma puis s’éteignit tour à tour et à plusieurs reprises ; quand il demeura définitivement allumé, Baley put y lire l’indication suivante :

« Le visiteur est prié d’enlever tous ses vêtements, y compris ses souliers, et de les placer dans la cavité ci-dessous. »

Baley s’exécuta. Il dégrafa son ceinturon et son baudrier, et quand il se fut déshabillé, il les remit sur son corps nu ; le revolver qui y était accroché pesait lourd, et la sensation était fort désagréable.

Avec un bruit sec, le tiroir dans lequel il avait placé ses vêtements fut tiré vers l’extérieur. Le panneau lumineux s’éteignit, puis se ralluma, et une nouvelle inscription y parut :

« Le visiteur est prié de satisfaire à ses besoins hygiéniques, puis de passer sous la douche en suivant le chemin indiqué par la flèche. »

Baley eut l’impression qu’il n’était plus qu’une pièce de machine, manœuvrée à distance par un bras invisible sur une chaîne de montage.

Son premier geste en entrant dans la petite cabine de douche, fut de veiller à ce que son étui-revolver ne laissât pas pénétrer d’eau ; il tint fermement sa main serrée contre le rabat de l’étui ; il savait, pour en avoir fait l’expérience au cours de nombreux exercices, qu’il pouvait cependant tirer son arme et s’en servir en moins de cinq secondes.

Il n’y avait au mur ni crochet ni patère où la suspendre, et comme Baley ne vit même pas où se trouvait apparemment la douche, il alla placer le revolver dans le coin le plus éloigné de l’entrée de la cabine. A ce moment, l’écran lumineux s’éclaira de nouveau pour signaler :

« Le visiteur est prié d’ouvrir les bras perpendiculairement à son corps, et de se tenir au centre du cercle tracé sur le sol, les pieds orientés dans la position indiquée. »