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Dès qu’il eut placé ses pieds dans les petites cavités prévues à cet effet, l’écran s’éteignit, et instantanément une poussière d’eau à grande pression jaillit, chaude et piquante, du plafond, du plancher et des quatre murs à la fois ; elle fouetta son corps de tous côtés, et il sentit même qu’elle giclait sous la plante de ses pieds. Cela dura environ une minute, pendant laquelle, sous l’action combinée de la chaleur et de la pression du jet, sa peau rougit violemment, tandis que ses poumons parvenaient difficilement à respirer dans cette vapeur. Puis, pendant une autre minute, la douche fut moins violente et plus fraîche ; enfin, un courant d’air chaud l’enveloppa, et le laissa non seulement sec, mais avec une réelle impression de bien-être.

Il ramassa son arme et son ceinturon, et s’aperçut qu’eux aussi étaient chauds et secs. Il les remit et sortit de la douche juste pour voir R. Daneel qui émergeait d’une cabine voisine.

« Bien sûr ! se dit-il. R. Daneel n’est pas un citoyen de New York, mais il rapporte ici des microbes de la ville ! »

Par la force de l’habitude, Baley détourna automatiquement les yeux ; puis il se dit que, après tout, les coutumes de R. Daneel n’étaient pas les mêmes que celles des New-Yorkais, et il se contraignit à regarder un instant le robot. Ses lèvres ne purent alors réprimer un léger sourire : la ressemblance de R. Daneel avec un être humain ne se limitait pas à son visage et à ses mains ; on avait pris la peine de l’étendre à toutes les parties de son corps, et cela de la façon la plus parfaite.

Baley continua d’avancer de quelques pas dans la direction qu’il n’avait pas cessé de suivre depuis son entrée dans les Toilettes, et c’est ainsi qu’il retrouva un peu plus loin ses vêtements soigneusement pliés, qui l’attendaient, répandant une odeur chaude et propre.

Un nouvel écran lumineux s’alluma, et l’indication suivante apparut :

« Le visiteur est prié de se rhabiller, puis de placer son doigt dans l’alvéole ci-contre. »

Baley, se conformant à la prescription, posa le bout de son index sur une surface laiteuse et particulièrement propre. Aussitôt, il sentit une vive piqûre à son doigt et, relevant en hâte celui-ci, il constata qu’une petite goutte de sang y perlait ; mais une seconde plus tard, elle disparut. Il secoua son doigt et le pressa, sans réussir à le faire saigner de nouveau.

Il était clair que l’on analysait son sang, et, à cette pensée, il ne put se défendre d’une légère inquiétude ; il était certes habitué à subir périodiquement des examens médicaux, mais il fut convaincu que les médecins de la police new-yorkaise y avaient procédé de façon moins complète que ces fabricants de robots n’allaient le faire : peut-être même ces derniers savaient-ils mieux s’y prendre !… Et Baley n’était pas certain de désirer qu’un examen approfondi révélât exactement son état de santé…

Il attendit un moment qui lui sembla long, puis l’écran se ralluma, et il y lut :

« Le visiteur est prié d’avancer. »

Poussant un soupir de soulagement, il fit quelques pas qui l’amenèrent sous un portail ; mais là, deux barres d’acier se rabattirent soudain devant lui, barrant le passage, et, sur un autre écran lumineux, les mots suivants apparurent :

« Le visiteur est prié de ne pas aller plus loin. »

— Qu’est-ce que ça signifie ? s’écria-t-il, oubliant dans sa colère qu’il se trouvait encore dans les Toilettes.

A ce moment, la voix de R. Daneel murmura, tout près de son oreille :

— Des détecteurs spéciaux ont dû, je pense, déceler que vous êtes armé, Elijah. Avez-vous votre revolver dans l’étui ?

Baley, cramoisi, se retourna, et il eut de la peine à s’exprimer, tant il était furieux.

— Evidemment ! finit-il par rétorquer d’une voix rauque. Un policier doit toujours avoir son arme sur lui, ou à portée immédiate de sa main, qu’il soit ou non en service.

C’était la première fois, depuis l’âge de dix ans, qu’il lui arrivait de parler dans les Toilettes. A cette époque, il l’avait fait en présence de son oncle Boris, et ç’avait été pour se plaindre, parce qu’il s’était tordu un doigt de pied. Mais quand ils étaient rentrés chez eux, l’oncle Boris lui avait donné une fessée pour le punir de ce manquement aux bonnes manières…

— Aucun visiteur ne peut pénétrer armé dans Spacetown, répliqua R. Daneel. C’est la règle, et votre chef, le commissaire principal, s’y soumet à chacune de ses visites, Elijah.

En toute autre circonstance, Baley aurait tourné les talons et planté là Spacetown et son robot. Mais, en cet instant même, il n’avait qu’un désir, celui de mener à bien son plan, grâce auquel il comptait prendre une revanche éclatante, qui compenserait toutes ces humiliations.

« Voilà donc, se dit-il, en quoi consiste cette discrète inspection, qui a remplacé les fouilles détaillées d’autrefois ! Rien d’étonnant, vraiment, à ce que les gens en aient été indignés et se soient révoltés, quand on a commencé à appliquer ici ces méthodes ! »

Furieux, il détacha de son ceinturon son étui-revolver. R. Daneel le lui prit des mains, le plaça dans une cavité du mur, et, montrant une petite plaque métallique située juste au-dessus, il dit :

— Veuillez appuyer avec votre pouce sur cette plaque, Elijah. Seul, votre propre pouce pourra rouvrir ce tiroir, quand nous ressortirons.

Baley, ainsi désarmé, se sentit bien plus nu qu’il ne l’avait été sous la douche. Les barres d’acier s’étant relevées, il franchit le passage et sortit enfin des Toilettes.

Celles-ci donnaient sur un couloir, mais Baley y décela aussitôt quelque chose d’anormal. D’une part, la lumière qu’il aperçut au bout du corridor n’était pas celle à laquelle il était habitué ; d’autre part, il sentit sur son visage un souffle d’air, comme si une voiture venait de passer près de lui. R. Daneel parut se rendre compte que son compagnon n’était pas à son aise et lui dit :

— A partir de maintenant, Elijah, vous serez constamment à l’air libre, et non plus dans un air conditionné.

Baley éprouva un léger vertige, et il se demanda pourquoi les Spaciens, si stricts dans leur examen d’un corps humain provenant de la Cité, respiraient cependant un air nécessairement impur. Il pinça ses narines, comme pour mieux filtrer ainsi cet air dangereux. Mais R. Daneel reprit :

— Je suis convaincu, Elijah, que vous allez constater que l’air libre n’a rien de délétère, et n’est pas du tout mauvais pour votre santé.

— Bon ! répliqua Baley, laconiquement.

Cependant ces courants d’air lui fouettaient désagréablement le visage ; ils n’étaient sans doute pas violents, mais ils avaient quelque chose d’impalpable qui le troubla. Ce qui survint ensuite fut bien pire : à l’extrémité du couloir, le ciel bleu parut, et, au moment où ils sortirent, une clarté intense et blanche les inonda. Baley avait déjà vu la lumière solaire, car son service l’avait un jour obligé à se rendre dans un solarium naturel ; mais là, une carapace de verre tamisait les rayons et transformait l’énergie même du soleil en une clarté moins aveuglante. A l’air libre, c’était tout différent, et le détective tourna automatiquement ses regards vers l’astre mais il lui fallut bientôt renoncer à le contempler, car ses yeux s’embuèrent de larmes et il dut les fermer à demi.

Comme un Spacien s’avançait vers lui, Baley ne put tout d’abord réprimer une réaction faite de méfiance et d’inquiétude. Mais R. Daneel, pressant le pas, alla au-devant du nouveau venu, le salua, lui serra la main, et le Spacien, se tournant vers Baley, lui dit :

— Voulez-vous m’accompagner, je vous prie, monsieur ? Je suis le Dr Han Fastolfe.

Quand ils eurent pénétré dans l’une des maisons au toit bombé en forme de dôme, les choses s’améliorèrent. Baley ne put que s’ébahir à la vue des pièces aux vastes dimensions, qui prouvaient combien on se souciait peu, à Spacetown, de ménager l’espace vital de chaque demeure ; mais il fut heureux de constater que l’air y était à nouveau conditionné.