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— C’est lui qui y a mis fin, et il y est parvenu en menaçant de son arme les gens qui voulaient fomenter l’émeute.

— Ca alors ! s’écria Enderby violemment. Le rapport de police a dit que c’était vous !

— Je le sais, monsieur le commissaire, dit Baley. Mais ce rapport a été rédigé d’après les renseignements que j’ai moi-même fournis. Comme vous pouvez le comprendre, je n’ai pas voulu que l’on raconte qu’un robot avait menacé des hommes et des femmes de leur tirer dessus !

— Non, non !… Evidemment pas !

Enderby était visiblement horrifié. Il se pencha en avant pour examiner quelque chose qui se trouvait hors du champ de télévision. Baley devina facilement ce que c’était. Le commissaire devait vérifier que la communication ne pouvait pas être interceptée.

— Considérez-vous ce fait comme un argument à l’appui de votre thèse ? demanda Fastolfe.

— Sans aucun doute. La première loi fondamentale de la Robotique déclare qu’un robot ne peut porter atteinte à un être humain.

— Mais R. Daneel n’a fait de mal à personne !

— C’est vrai. Il m’a même dit ensuite que, en aucune circonstance, il n’aurait tiré. Et cependant je n’ai jamais entendu parler d’un robot capable de violer l’esprit de la première loi au point de menacer un homme de lui tirer dessus, même s’il n’avait aucunement l’intention de le faire.

— Je vois ce que vous voulez dire. Etes-vous expert en Robotique, monsieur Baley ?

— Non, monsieur. Mais j’ai suivi des cours de Robotique, et d’analyse positronique. Je ne suis pas complètement ignare !…

— C’est parfait, dit aimablement Fastolfe. Mais moi, voyez-vous, je suis expert en Robotique, et je peux vous assurer que l’essence même de l’esprit d’un robot consiste en une interprétation absolument positive de l’univers ambiant. Le robot ne connaît rien de l’esprit de la première loi, il n’en connaît que la lettre. Les robots très simples que vous utilisez sur Terre ont sans doute été conçus, non seulement d’après la première loi, mais selon des principes supplémentaires si restrictifs qu’en fait ils sont vraisemblablement incapables de menacer un être humain. Mais un type de robot aussi perfectionné que R. Daneel représente tout autre chose. Si je ne me trompe, dans la circonstance que vous venez d’évoquer, la menace de Daneel a été nécessaire pour empêcher une émeute d’éclater. Elle a donc eu pour objet d’éviter que des êtres humains subissent un dommage. Par conséquent il a obéi à la première loi, et non pas agi à l’encontre de celle-ci.

Baley se crispa intérieurement, mais, n’en laissant rien paraître, il parvint à garder un calme imperturbable. La partie serait dure à jouer, mais il battrait le Spacien à son propre jeu.

— Vous aurez beau tenter de contredire chacun de mes arguments, répliqua-t-il, vous n’empêcherez pas qu’ils se tiennent et s’enchaînent les uns aux autres. Hier soir, en discutant sur le prétendu meurtre avec ce soi-disant robot, je l’ai entendu me déclarer qu’on avait fait de lui un détective, en dotant ses circuits positroniques d’une aspiration nouvelle ; il s’agit, m’a-t-il dit, d’un besoin permanent et absolu de justice.

— Je m’en porte garant, dit Fastolfe. Cette opération a eu lieu il y a trois jours, et c’est moi-même qui l’ai contrôlée.

— Un besoin de justice ? La justice, docteur Fastolfe, est quelque chose d’abstrait, et ce terme-là ne peut être utilisé que par un être humain.

— Si vous définissez le mot justice de façon à en faire une abstraction, si vous dites qu’elle consiste à donner à chacun son dû, à faire prévaloir le droit, ou quoi que ce soit de ce genre, je suis d’accord avec vous, monsieur Baley. Dans l’état actuel de nos connaissances scientifiques, on ne peut inculquer à un cerveau positronique une compréhension humaine de données abstraites.

— Vous donc, expert en Robotique, vous admettez cela ?

— Certainement. Pour moi, la seule question qui se pose, c’est de savoir ce que R. Daneel voulait dire en usant du terme « justice ».

— Si j’en juge d’après le début de votre entretien, il attribuait à ce mot la même signification que vous ou moi lui donnons, c’est-à-dire un sens qu’aucun robot ne peut concevoir.

— Mais pourquoi donc, monsieur Baley, ne lui demandez-vous pas tout simplement de vous définir ce qu’il entend par ce terme ?

Baley sentit un peu de son assurance l’abandonner ; se tournant vers R. Daneel il lui dit :

— Eh bien ?

— Oui, Elijah ?

— Comment définissez-vous la justice ?

— La justice, Elijah, c’est ce qui existe quand toutes les lois sont respectées.

Voilà une excellente définition, monsieur Baley ! dit Fastolfe, en approuvant d’un signe de tête la réponse de R. Daneel. On ne peut demander mieux à un robot. Or, le désir de voir toutes les lois respectées a précisément été inculqué à R. Daneel. Pour lui, la justice est un terme très concret, du moment qu’il signifie le respect des lois, lesquelles sont supposées être très clairement et spécifiquement énoncées. Rien d’abstrait dans tout cela. Un être humain peut reconnaître que, sur la base d’un code moral abstrait, certaines lois peuvent être mauvaises, et que, dans ce cas, les appliquer constitue une injustice. Qu’en dites-vous, R. Daneel ?

— Une loi injuste, répondit tranquillement celui-ci, est un contresens.

— Voilà comment raisonne un robot, monsieur Baley. C’est vous dire que vous ne devez pas confondre votre conception de la justice avec celle de R. Daneel.

Baley se tourna brusquement vers R. Daneel, et lui dit :

— Vous êtes sorti de mon appartement, hier soir !

— En effet, répliqua le robot. Si j’ai troublé votre sommeil, je m’en excuse.

— Où êtes-vous allé ?

— Dans les Toilettes des hommes.

Baley fut un peu déconcerté. Cette réponse correspondait bien à ce qu’il avait lui-même pensé, mais il ne s’attendait pas à ce que R. Daneel reconnût le fait. Il sentit qu’il perdait encore un peu de son assurance, mais il n’en poursuivit pas moins fermement sa démonstration. Le commissaire principal suivait intensément la controverse, et, derrière ses lunettes, ses yeux ne cessaient d’observer tour à tour les trois participants. Baley ne pouvait plus reculer, et, quels que fussent les arguments qu’on lui opposerait, il lui fallait s’accrocher à sa thèse.

— En arrivant chez moi, reprit-il, il a insisté pour pénétrer avec moi dans les Toilettes. La raison qu’il m’a alors donnée ne valait pas grand-chose. Or, pendant la nuit, il est sorti de chez moi pour retourner dans les Toilettes, comme il vient de le reconnaître. En tant qu’homme, j’ose dire qu’il avait toutes les raisons et tous les droits d’agir ainsi : c’est l’évidence même. Mais en tant que robot, ce déplacement ne signifiait rien. On ne peut donc qu’en conclure que Daneel est un homme.

Fastolfe fit un signe d’acquiescement, mais ne parut nullement démonté.

— Très intéressant, fit-il. Mais pourquoi ne pas demander à Daneel ce qu’il est allé faire hier soir dans ces Toilettes ?

Le commissaire Enderby se pencha en avant et intervint :

— Je vous en prie, docteur Fastolfe ! Ce n’est vraiment pas convenable !…

— Ne vous tracassez pas, monsieur le commissaire principal ! répliqua le Spacien, dont les lèvres pincées esquissèrent un sourire qui, cette fois, n’avait rien de plaisant. Je suis certain que la réponse de Daneel n’offusquera ni votre pudeur ni celle de monsieur Baley. Qu’avez-vous à nous dire, Daneel ?

— Hier soir, répondit celui-ci, quand Jessie, la femme d’Elijah, a quitté l’appartement, elle m’a témoigné beaucoup de sympathie, et il était évident qu’elle n’avait aucune raison de ne pas me croire un être humain normal. Quand elle est rentrée dans l’appartement, un peu plus tard, elle savait que j’étais un robot. J’en ai automatiquement déduit qu’elle avait appris la chose dehors, et que ma conversation avec Elijah avait été interceptée. Le secret de ma véritable nature n’avait pas pu être découvert autrement. Elijah m’avait assuré que l’appartement était parfaitement insonorisé. Nous avons parlé à voix basse, et on ne pouvait nous entendre en écoutant à la porte. Or, Elijah est connu à New York pour être détective. Si donc il existe dans la Cité un groupe de conspirateurs assez bien organisé pour avoir préparé et exécuté l’assassinat du Dr Sarton, ces gens-là peuvent très bien savoir que l’on a chargé Elijah de l’enquête sur ce crime. Dès lors, j’ai estimé non seulement possible mais probable qu’ils aient placé dans l’appartement un microphone, permettant d’écouter ce qui s’y disait. Quand Elijah et Jessie se sont couchés, j’ai donc fouillé autant que j’ai pu l’appartement, mais je n’ai trouvé aucun fil conducteur, aucun microphone. Cela compliquait encore le problème. Pour pouvoir détecter à distance un tel entretien, il fallait disposer d’un matériel compliqué. L’analyse de la situation m’a amené aux conclusions suivantes : Le seul endroit où un New-Yorkais peut faire à peu près n’importe quoi sans être dérangé ni interrogé, c’est dans les Toilettes ; on peut très bien y installer un détecteur de son à distance. L’usage selon lequel nul ne doit s’occuper d’autrui dans les Toilettes interdit à quiconque de remarquer l’installation d’un tel matériel. Comme les Toilettes se trouvent tout près de l’appartement d’Elijah, la puissance du détecteur électronique n’avait pas besoin d’être grande, et l’on pouvait utiliser un modèle pas plus encombrant qu’une valise. J’ai donc été dans les Toilettes pour perquisitionner.