Выбрать главу

— Qu’est-ce que c’était ? demanda Baley.

— Dans la paume droite du robot, à l’intérieur de son poing presque fermé, se trouvait un petit objet brillant en forme d’œuf, de deux centimètres de long sur un centimètre de large, et comportant à l’une de ses extrémités du mica. Le poing du robot était en contact avec sa tête, comme si son dernier acte avait précisément consisté à se toucher la tempe. Or, ce qu’il tenait dans sa main était un vaporisateur d’alpha. Je pense que vous savez ce que c’est ?

Baley fit un signe de tête affirmatif. Il n’avait besoin ni de dictionnaire ni de manuel spécial, pour comprendre de quoi il s’agissait. Au cours de ses études de physique, il avait manipulé plusieurs fois au laboratoire ce genre d’objet. C’était un petit morceau de plomb, à l’intérieur duquel, dans une étroite rigole, on avait introduit un peu de sel de plutonium. L’une des extrémités du conduit était obturée par du mica, lequel laissait passer les particules d’alpha ; ainsi, des radiations ne pouvaient se produire que dans la seule direction de la plaque de mica. Un tel vaporisateur radioactif pouvait servir à beaucoup de fins, mais l’une de ses utilisations n’était certes pas – légalement tout au moins – de permettre la destruction des robots.

— Il a donc dû toucher sa tête avec le mica du vaporisateur ? dit Baley.

— Oui, fit le savant, et son cerveau positronique a aussitôt cessé de fonctionner. Autrement dit, sa mort a été instantanée.

— Pas d’erreur possible, monsieur le commissaire ? demanda Baley. C’était vraiment un vaporisateur d’alpha ?

La réponse d’Enderby fut catégorique, et accompagnée d’un vigoureux signe de tête.

— Pas l’ombre d’un doute ! fit-il, ses grosses lèvres esquissant une moue. Les compteurs pouvaient déceler l’objet à trois mètres ! Les pellicules de photos qui se trouvaient dans la pièce étaient brouillées.

Il réfléchit un long moment, puis, brusquement, il déclara :

— Docteur Gerrigel, j’ai le regret de vous prier de rester ici un ou deux jours, le temps d’enregistrer votre déposition et de procéder aux vérifications indispensables. Je vais vous faire conduire dans une chambre qui vous sera affectée, et où vous voudrez bien rester sous bonne garde, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

— Oh ! fit le savant, l’air troublé. Croyez-vous que ce soit nécessaire ?

— C’est plus sûr !

Le Dr Gerrigel, très décontracté, serra les mains de tout le monde, y compris de R. Daneel, et s’en alla.

Enderby soupira profondément et dit à Baley :

— C’est quelqu’un du service qui a fait le coup, Lije, et c’est ça qui me tracasse. Aucun étranger ne serait venu ici, juste pour démolir un robot. Il y en a assez au-dehors qu’on peut détruire en toute sécurité. De plus, il a fallu qu’on puisse se procurer le vaporisateur. Ce n’est certes pas facile !

R. Daneel intervint alors et sa voix calme, impersonnelle, contrasta étrangement avec l’agitation du commissaire.

— Mais quel peut bien avoir été le mobile de ce meurtre ?

Enderby lança au robot un regard manifestement dégoûté, puis il détourna les yeux.

— Que voulez-vous, nous aussi nous sommes des hommes ! J’ai idée que les policiers ne peuvent pas mieux que leurs compatriotes en venir à aimer les robots ! Maintenant que R. Sammy a disparu, j’imagine que quelqu’un doit se sentir soulagé. Vous-même, Lije, vous vous souvenez qu’il vous agaçait beaucoup ?

— Ce n’est pas un mobile suffisant pour l’assassiner ! dit R. Daneel.

— Non, en effet, approuva Baley.

— Ce n’est pas un assassinat, répliqua Enderby, mais une destruction matérielle. N’employons pas de termes légalement impropres. Le seul ennui, c’est que cela s’est passé ici, à la préfecture même ! Partout ailleurs, ça n’aurait eu aucune importance, aucune ! Mais maintenant, cela peut faire un véritable scandale ! Voyons, Lije ?

— Oui ?…

— Quand avez-vous vu R. Sammy pour la dernière fois ?

— R. Daneel lui a parlé après déjeuner. Il pouvait être environ 13 h 30. Il lui a donné l’ordre d’empêcher qu’on nous dérange pendant que nous étions dans votre bureau.

— Dans mon bureau ? Et pourquoi cela ?

— Pour discuter de l’enquête le plus secrètement possible. Comme vous n’étiez pas là, votre bureau était évidemment pratique.

— Ah, bien ! fit Enderby l’air peu convaincu mais sans insister sur ce point. Ainsi donc, vous ne l’avez pas vu vous-même ?

— Non, mais une heure plus tard, j’ai entendu sa voix.

— Vous êtes sûr que c’était lui ?

— Absolument sûr.

— Alors, il devait être environ 14 h 30 ?

— Peut-être un peu plus tôt.

Le commissaire se mordit la lèvre inférieure.

— Eh bien, dit-il, cela éclaircit au moins un point.

— Lequel ?

— Le gosse, Vince Barrett, est venu au bureau aujourd’hui. Le saviez-vous ?

— Oui. Mais il est incapable de faire quoi que ce soit de ce genre.

— Et pourquoi donc ? répliqua Enderby en levant vers son collaborateur un regard surpris. R. Sammy lui avait pris sa place, et je comprends ce qu’il doit ressentir : il doit trouver cela affreusement injuste, et désirer se venger. Vous ne réagiriez pas de même, vous ? Mais il a quitté le bureau à 14 heures, et vous avez entendu R. Sammy parler à 14 h 30. Il peut évidemment avoir donné à R. Sammy le vaporisateur avant de s’en aller, en lui prescrivant de ne s’en servir qu’une heure plus tard. Mais où aurait-il pu s’en procurer un ? Cela me parait inconcevable. Revenons-en à R. Sammy. Quand vous lui avez parlé, à 14 h 30, qu’a-t-il dit ?

Baley hésita légèrement avant de répondre :

— Je ne me rappelle plus. Nous sommes partis peu après.

— Où avez-vous été ?

— A la Centrale de levure. Il faut d’ailleurs que je vous en parle.

— Plus tard, plus tard, fit le commissaire en se grattant le menton. Par ailleurs, j’ai su que Jessie est venue ici aujourd’hui. Quand j’ai vérifié toutes les entrées et sorties des visiteurs, j’ai trouvé son nom sur le registre.

— C’est exact, elle est venue, répliqua froidement Baley.

— Pourquoi ?

— Pour régler des questions de famille.

— Il faudra l’interroger, pour la forme.

— Bien sûr, monsieur le commissaire ! Je connais la routine du métier. Mais, j’y pense, le vaporisateur, d’où venait-il ?

— D’une des centrales d’énergie nucléaire.

— Comment peuvent-ils expliquer qu’on le leur ait volé ?

— Ils ne l’expliquent pas, et n’ont aucune idée de ce qui a pu se passer. Mais, à part la déposition qu’on va vous demander pour la forme, cette affaire R. Sammy ne vous concerne en rien, Lije. Tenez-vous-en à votre enquête actuelle. Tout ce que je voulais… Mais non ! Continuez à mener l’enquête sur l’affaire de Spacetown !…

— Puis-je faire ma déposition un peu plus tard, monsieur le commissaire ? Car je n’ai pas encore dîné.

— Mais bien sûr ! s’écria Enderby en regardant Baley bien en face. Allez vous restaurer, surtout ! Mais restez à la préfecture !… C’est votre associé qui a raison, ajouta-t-il, comme s’il lui répugnait de s’adresser à R. Daneel lui-même ou de le désigner par son nom. Ce qu’il faut, c’est trouver le mobile de cet acte… le mobile !…

Baley se sentit soudain frissonner. Presque malgré lui, il eut l’impression qu’un autre cerveau que le sien rassemblait les uns après les autres tous les incidents de la journée, ceux de la veille, et ceux de l’avant-veille. Une fois de plus, les morceaux de puzzle s’emboitaient les uns les autres, et commençaient à former petit à petit un dessin cohérent.