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— De quelle centrale provenait le vaporisateur, monsieur le commissaire ? demanda-t-il.

— De l’usine de Williamsburg. Pourquoi ?

— Oh ! pour rien, pour rien !…

Tandis qu’il sortait avec R. Daneel du bureau d’Enderby, il entendit encore celui-ci murmurer : « Le mobile !… Le mobile !… »

Il avala un léger repas dans la petite salle à manger de la préfecture de Police, laquelle était rarement utilisée. Cette collation consistait en une tomate séchée sur de la laitue, et il l’ingurgita sans même se rendre compte de ce que c’était ; une seconde ou deux après avoir mis dans sa bouche la dernière cuillerée, il s’aperçut qu’il continuait automatiquement à chercher dans son assiette vide des aliments qui n’y étaient plus.

— Quel imbécile je suis ! grommela-t-il en repoussant son couvert.

Puis il appela R. Daneel ; celui-ci s’était assis à une table voisine, comme s’il voulait laisser Baley réfléchir en paix à ce qui, de toute évidence, le préoccupait, à moins que ce ne fût pour mieux méditer lui-même ; mais l’inspecteur ne s’attarda pas à déterminer quelle était la véritable raison de cet éloignement.

Daneel se leva et vint s’asseoir à la table de Baley.

— Que désirez-vous, mon cher associé ? dit-il.

— Daneel, lui répondit Baley sans le regarder. J’ai besoin que vous m’aidiez.

— A quoi faire, Elijah ?

— On va nous interroger, Jessie et moi : c’est certain. Laissez-moi répondre à ma façon. Vous me comprenez ?

— Je comprends ce que vous me dites, bien sûr ! Mais si l’on me pose nettement une question, comment pourrai-je dire autre chose que la vérité ?

— Si l’on vous interroge, c’est une autre affaire. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas fournir de renseignements, de votre propre initiative. Vous pouvez le faire, n’est-ce pas ?

— Je pense que oui, Elijah, pourvu que l’on ne s’aperçoive pas que je cause du tort à quelqu’un en gardant le silence.

— C’est à moi que vous causerez du tort si vous parlez ! Cela, je peux vous en donner l’assurance !

— Je ne comprends pas très bien votre point de vue, Elijah. Car, enfin, l’affaire R. Sammy ne vous concerne absolument pas.

— Ah ! vous croyez ça ! Tout tourne autour du mobile qui a incité quelqu’un à commettre cet acte. Vous avez vous-même défini le problème. Le commissaire principal s’est aussi posé la question. J’en fais autant moi-même. Pourquoi quelqu’un a-t-il désiré supprimer R. Sammy ? Remarquez bien ceci : il ne s’agit pas seulement d’avoir voulu supprimer les robots en général, car c’est un mobile qui pourrait être constaté chez n’importe quel Terrien. La question capitale, c’est de savoir qui a pu vouloir éliminer R. Sammy. Vince Barrett en était capable, mais le commissaire a estimé que ce gosse n’aurait jamais pu se procurer un vaporisateur d’alpha, et il a eu raison. Il faut chercher ailleurs, et il se trouve qu’une autre personne avait un mobile pour commettre cet acte. C’est d’une évidence criante, aveuglante. Ca se sent à plein nez !

— Et qui est cette personne, Elijah ?

— C’est moi, Daneel ! dit doucement Baley.

Le visage inexpressif de R. Daneel ne changea pas à l’énoncé de cette déclaration, et le robot se borna à secouer vigoureusement la tête.

— Vous n’êtes pas d’accord, à ce que je vois, reprit l’inspecteur. Voyons ! Ma femme est venue au bureau aujourd’hui. Tout le monde le sait, et le commissaire s’est même demandé ce qu’elle était venue faire ici. Si je n’étais pas un de ses amis personnels, il n’aurait pas cessé si vite de m’interroger. Mais on va sûrement découvrir pourquoi Jessie est venue ; c’est inévitable. Elle faisait partie d’une conspiration, stupide et inoffensive sans doute, mais pourtant réelle. Or, un inspecteur de police ne peut se permettre d’avoir une femme mêlée à ce genre d’histoire. Mon intérêt évident a donc été de veiller à étouffer l’affaire. Qui, en fait, était au courant ? Vous et moi, et Jessie bien entendu, et puis R. Sammy. Il l’a vue dans un état d’affolement complet. Quand il lui a interdit l’entrée du bureau, elle a dû perdre la tête : rappelez-vous la mine qu’elle avait quand elle est entrée !

— Il me semble improbable, répliqua R. Daneel, qu’elle lui ait dit quelque chose de compromettant.

— C’est possible. Mais je vois comment les enquêteurs vont raisonner. Ils l’accuseront de s’être trahie, et dès lors, ils me trouveront un mobile plausible : j’ai supprimé R. Sammy pour l’empêcher de parler.

— Ils ne penseront pas cela.

— Détrompez-vous bien ! Ils vont le penser ! Le meurtre a été commis précisément pour me rendre suspect. Pourquoi se servir d’un vaporisateur ? C’était un moyen plutôt risqué. Il est difficile de s’en procurer, et c’est un objet dont on peut aisément trouver l’origine. C’est bien pour cela qu’on l’a utilisé. L’assassin a même ordonné à R. Sammy de se rendre dans la chambre noire et de s’y tuer. Je considère comme évident que l’on a agi ainsi, pour empêcher la moindre erreur de jugement sur la méthode employée par le criminel. Car, même si nous avions tous été assez stupides pour ne pas reconnaitre immédiatement le vaporisateur, quelqu’un n’aurait pas manqué de s’apercevoir très vite que les pellicules photographiques étaient brouillées.

— Et comment tout ceci vous compromettrait-il, Elijah ? demanda R. Daneel.

Baley eut un pâle sourire, mais son visage amaigri ne reflétait aucune gaieté, bien au contraire.

— D’une façon très précise, répondit-il. Le vaporisateur provient de la centrale d’énergie nucléaire que vous et moi nous avons traversée hier. On nous y a vus, et cela va se savoir. J’ai donc pu m’y procurer l’arme, alors que j’avais déjà un mobile pour agir. Et l’on peut très bien affirmer que nous sommes les derniers à avoir vu et entendu R. Sammy, à l’exception, bien sûr, du véritable criminel.

— J’étais avec vous, et je peux témoigner que vous n’avez pas eu l’occasion de voler un vaporisateur dans la centrale.

— Merci, dit tristement Baley. Mais vous êtes un robot, et votre témoignage est sans valeur.

— Le commissaire principal est votre ami : il m’écoutera !

— Il a d’abord sa situation à sauvegarder, et j’ai remarqué qu’il n’est déjà plus très à l’aise avec moi. Je n’ai qu’une seule et unique chance de me tirer de cette très fâcheuse situation.

— Laquelle ?

— Je me demande : pourquoi suis-je ainsi l’objet d’un coup monté ? Il est évident qu’on veut se débarrasser de moi. Mais pourquoi ? Il est non moins évident que je constitue un danger pour quelqu’un. Or, je fais de mon mieux pour mettre en danger celui qui a tué le Dr Sarton, à Spacetown. Cela implique qu’il s’agit de Médiévalistes, bien sûr, ou tout au moins d’un petit groupe de gens appartenant à ce mouvement. C’est dans ce groupe qu’on a dû savoir que j’avais traversé la centrale d’énergie atomique ; l’un de ces gens a peut-être réussi à nous suivre sur les tapis roulants jusqu’à la porte de la centrale, alors que vous pensiez que nous les avions tous semés en route. Il en résulte que si je trouve l’assassin du Dr Sarton, je trouve du même coup celui ou ceux qui essaient de se débarrasser de moi. Si donc je réfléchis bien, et si je parviens à résoudre l’énigme, oui, si seulement j’y parviens, alors je suis sauvé ! Moi et Jessie ! Pourtant, je ne supporterais pas de la voir inculpée !… Mais je n’ai pas beaucoup de temps ! fit-il, serrant et desserrant tour à tour son poing. Non ! Je n’ai pas beaucoup de temps devant moi !…