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— On ne peut rien objecter à ce que vous venez de dire, Elijah, répondit R. Daneel. La journée n’est pas achevée, en effet, je n’y avais pas pensé, mon cher associé.

— Tiens, tiens ! songea Baley en souriant. Je suis de nouveau le cher associé !… »

— Dites-moi, ajouta-t-il tout haut, quand j’étais à Spacetown, est-ce que le Dr Fastolfe n’a pas fait allusion à un film que l’on a pris sur les lieux du crime ?

— Oui, c’est exact.

— Pouvez-vous m’en montrer un exemplaire ?

— Bien sûr, Elijah.

— Je veux dire : maintenant ! Instantanément !

— Oh, dans dix minutes au maximum, si je peux me servir des transmissions de la préfecture !

Il lui fallut moins de temps que cela pour mener à bien l’opération. Baley tint dans ses mains, qui tremblaient un peu, un tout petit appareil en aluminium que R. Daneel venait de lui remettre, et dont une des faces comportait une lentille. Sous l’effet d’une mystérieuse action provenant de Spacetown, le film désiré allait pouvoir dans un instant être transmis à ce micro-projecteur, et les images tant attendues allaient apparaitre sur le mur de la salle à manger, qui servirait d’écran.

Tout à coup, la voix du commissaire principal retentit dans la pièce. Il se tenait sur le seuil, et, à la vue de ce que faisait Baley, il ne put réprimer un tressaillement, tandis qu’un éclair de colère passait dans ses yeux.

— Dites donc, Lije, s’écria-t-il d’une voix mal assurée, vous en mettez un temps à dîner !

— J’étais mort de fatigue, monsieur le commissaire, fit l’inspecteur. Je m’excuse de vous avoir fait attendre.

— Oh ! ce n’est pas bien grave. Mais… venez donc chez moi !

Baley mit l’appareil dans sa poche, et fit signe à R. Daneel de le suivre.

Quand ils furent tous trois dans son bureau, Enderby commença par arpenter la pièce de long en large, sans dire un mot. Baley, lui-même, tendu à l’extrême, l’observa en silence et regarda l’heure : il était 22 h 45. Le commissaire releva ses lunettes sur son front, et se frotta tellement les yeux qu’il fit rougir sa peau tout autour des orbites. Puis, ayant remis ses verres en place, il regarda longuement Baley avant de lui demander, d’un ton bourru :

— Quand avez-vous été pour la dernière fois à la centrale de Williamsburg, Lije ?

— Hier, quand j’ai quitté le bureau ; il devait être environ 18 heures, à peine plus que cela !

— Ah ! fit le commissaire en hochant la tête. Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ?

— J’allais vous en parler. Je n’ai pas encore remis ma déposition !

— Pourquoi êtes-vous allé là-bas ?

— Je n’ai fait que traverser l’usine en rentrant à notre appartement provisoire.

— Non, Lije ! Ca n’existe pas ! Personne ne traverse une centrale pareille pour aller ailleurs.

Baley haussa les épaules. Il était sans intérêt de revenir sur la poursuite des Médiévalistes dans le dédale des tapis roulants. Ce n’était pas le moment. Aussi se borna-t-il à répliquer :

— Si vous essayez d’insinuer que j’ai eu l’occasion de me procurer le vaporisateur d’alpha qui a détruit R. Sammy, je me permets de vous rappeler que Daneel était avec moi ; il peut témoigner que j’ai traversé la centrale sans m’arrêter, et qu’enfin je n’avais pas de vaporisateur sur moi quand j’en suis sorti.

Le commissaire principal s’assit lentement. Il ne tourna pas les yeux vers R. Daneel et ne lui parla pas davantage. Il étendit sur la table ses mains potelées et les regarda d’un air très malheureux.

— Ah ! Lije ! fit-il. Je ne sais vraiment que dire ou que penser ! Et il ne sert de rien de prendre votre… associé pour alibi ! Vous savez bien que son témoignage est sans valeur !

— Je n’en nie pas moins formellement m’être procuré un vaporisateur !

Les doigts du commissaire se nouèrent puis se dénouèrent nerveusement.

— Lije, reprit-il, pourquoi Jessie est-elle venue vous voir cet après-midi ?

— Vous me l’avez déjà demandé. Je vous répète que c’était pour régler des questions de famille.

— Francis Clousarr m’a donné des renseignements, Lije.

— De quel genre ?

— Il affirme qu’une certaine Jézabel Baley est membre d’un mouvement médiévaliste clandestin, dont le but est de renverser par la force le gouvernement de la Cité.

— Etes-vous sûr qu’il s’agit d’elle ? Il y a beaucoup de Baley !

— Il n’y a pas beaucoup de Jézabel Baley !

— Il l’a désigné par son prénom ? Vraiment ?

— Oui. Il a dit : Jézabel. Je l’ai entendu de mes oreilles, Lije. Je ne vous répète pas le compte rendu d’une tierce personne !

— Bon ! Admettons que Jessie ait appartenu à une société composée de rêveurs à moitié timbrés : tout ce qu’elle y a fait, c’est assister à des réunions qui lui portaient sur les nerfs !

— Ce n’est pas ainsi qu’en jugeront les membres d’un conseil de discipline, Lije !

— Prétendez-vous que je vais être suspendu de mes fonctions, et tenu pour suspect d’avoir détruit un bien d’Etat, en la personne de R. Sammy ?

— J’espère qu’on n’en arrivera pas là, Lije. Mais les choses m’ont l’air de prendre une très mauvaise tournure ! tout le monde sait que vous détestiez R. Sammy. Votre femme lui a parlé cet après-midi. Elle était en larmes, et on a entendu quelques-unes de ses paroles. Elles étaient apparemment insignifiantes, mais vous n’empêcherez pas que deux et deux fassent quatre, Lije ! Vous avez fort bien pu juger dangereux de laisser R. Sammy libre de parler. Et le plus grave, c’est que vous avez eu une occasion de vous procurer l’arme.

— Un instant, je vous prie, monsieur le commissaire ! coupa Baley. Si j’avais voulu réduire à néant toute preuve contre Jessie, est-ce que je me serais donné la peine d’arrêter Francis Clousarr ? Il m’a tout l’air d’en savoir beaucoup plus sur elle que R. Sammy. Autre chose ! J’ai traversé la centrale de Williamsburg dix-huit heures avant que R. Sammy parlât à Jessie. Comment aurais-je pu savoir, si longtemps d’avance, qu’il me faudrait le supprimer, et que, dans ce but, j’aurais besoin d’un vaporisateur ?

— Ce sont là de bons arguments, Lije. Je ferai ce que je pourrai, et je vous assure que cette histoire me consterne !

— Vraiment, monsieur le commissaire ? Croyez-vous réellement à mon innocence ?

— Je vous dois une complète franchise, Lije ? Eh bien, la vérité, c’est que je ne sais que penser !

— Alors, moi, je vais vous dire ce qu’il faut en penser : monsieur le commissaire, tout ceci est un coup monté avec le plus grand soin, et dans un but précis !

— Doucement, doucement, Lije ! s’écria Enderby, très crispé. Ne vous emballez pas aveuglément ! Ce genre de défense ne peut vous attirer la moindre sympathie, car il a été utilisé par trop de malfaiteurs, vous le savez bien !

— Je me moque pas mal de susciter la sympathie des gens ! Ce que je dis, moi, c’est la pure et simple vérité. On cherche à m’éliminer dans l’unique but de m’empêcher de découvrir comment le Dr Sarton a été assassiné. Mais, malheureusement pour le bon vieux camarade qui a monté ce coup-là, il s’y est pris trop tard ! Car l’affaire Sarton n’a plus de secret pour moi !

— Qu’est-ce que vous dites ?

Baley regarda sa montre ; il était 23 heures. D’un ton catégorique, il déclara :

— Je sais qui est l’auteur du coup monté contre moi, je sais comment et par qui le Dr Sarton a été assassiné, et je dispose d’une heure pour vous le dire, pour arrêter le criminel, et pour clore l’enquête !