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— Je proteste ! répliqua Enderby, retrouvant une surprenante énergie. Il pouvait y avoir des espions à la préfecture de police, et tout ce que nous avons fait, vous et moi, a pu être remarqué. Votre femme a pu être l’un d’eux, et si vous ne trouvez pas invraisemblable de me soupçonner moi-même, je ne vois pas pourquoi vous ne soupçonneriez pas d’autres membres de la police !

Baley fit une moue méprisante et rétorqua :

— Ne nous égarons pas sur les pistes chimériques de mystérieux espions avant de voir où la solution la plus simple et la plus logique peut nous mener. J’affirme, moi, que l’informateur des agitateurs, le seul, le véritable, c’était vous, monsieur le commissaire ! Et maintenant que je revois en pensée tout ce qui s’est passé, il me semble remarquable de noter combien votre moral s’assombrissait quand je semblais toucher au but, ou au contraire devenait meilleur dès que je m’en éloignais. Vous avez commencé par être nerveux. Quand j’ai exprimé l’intention d’aller à Spacetown, sans vous en donner la raison, vous vous êtes positivement effondré. Pensiez-vous que je vous avais déjà démasqué, et que je vous tendais un piège pour vous livrer aux Spaciens ? Vous m’avez dit que vous les haïssiez, et vous étiez prêt de fondre en larmes. J’ai cru un moment que cela tenait au cuisant souvenir de l’humiliation que vous aviez subie à Spacetown, quand on vous avait soupçonné ; mais Daneel m’a détrompé, en m’assurant qu’on avait pris grand soin de vous ménager, et qu’en fait vous ne vous étiez jamais douté que l’on vous avait soupçonné. Votre panique a donc été causée, non par l’humiliation, mais par la peur. Là-dessus, j’ai trouvé une solution complètement fausse, et, comme vous assistiez à la scène, vous avez constaté combien j’étais loin, immensément loin, du but ; et aussitôt vous avez repris confiance. Vous m’avez même réprimandé, prenant la défense des Spaciens. Après cela, vous êtes resté quelque temps très maître de vous, et confiant dans l’avenir. Sur le moment, J’ai même été un peu surpris de ce que vous m’ayez si facilement pardonné mes injustes accusations contre les Spaciens, attendu que vous m’aviez longuement chapitré sur la nécessité de ménager leur susceptibilité. En fait, mon erreur vous avait fait un grand plaisir.

« Mais voilà que j’ai appelé au téléphone le Dr Gerrigel, et que vous avez voulu en connaitre la raison ; comme je n’ai pas voulu vous la donner, cela vous a aussitôt plongé dans la consternation, parce que vous avez eu peur…

— Un instant, mon cher associé ! coupa R. Daneel, en levant la main.

Baley regarda l’heure : il était 23 h 42 !

— Qu’y a-t-il, Daneel ? répondit-il.

— Si l’on admet qu’il est membre du mouvement médiévaliste, le commissaire a pu être tout simplement ennuyé que vous en fassiez la découverte. Mais cela n’implique pas nécessairement qu’il soit responsable du meurtre. Rien ne l’incrimine, et il ne peut avoir commis un tel acte !

— Vous faites complètement erreur, Daneel ! Il ne savait pas pourquoi j’avais besoin du Dr Gerrigel, mais il ne se trompait pas en étant convaincu que je désirais me renseigner plus amplement sur les robots. Et cela l’a terrifié, parce que, pour commettre son plus grand crime, il s’est servi d’un robot. N’est-ce pas exact, monsieur le commissaire principal ?

Enderby secoua la tête désespérément, et balbutia :

— Quand tout ceci sera fini…

Mais il ne put articuler un mot de plus.

— Comment le Dr Sarton a-t-il été assassiné ? s’écria alors Baley, contenant mal sa rage. Eh bien, je vais vous le dire, moi ! Par l’association C/Fe, mille tonnerres ! Oui : C/Fe ! Je me sers du propre symbole que vous m’avez appris, Daneel ! Vous êtes tellement imbu des mérites de la culture C/Fe que vous n’êtes plus capable, Daneel, de voir comment un Terrien peut s’être inspiré de ces principes pour mener à bien une entreprise avantageuse pour lui seul. Alors, il me faut vous l’expliquer en détail.

« Pour un robot, la traversée de la campagne, même de nuit, même seul, ne comporte aucune difficulté. Le commissaire a remis à R. Sammy une arme, et il lui a dit où il devait aller, par quel chemin, et quand il devait exécuter ses ordres. Il s’est rendu, de son côté, à Spacetown par l’express, et on lui a confisqué son propre revolver dans les Toilettes ; R. Sammy lui a ensuite remis celui qu’il avait apporté, et avec lequel Enderby a tué le Dr Sarton ; puis il a rendu l’arme à R. Sammy, qui l’a rapportée à New York en revenant à travers champs. Et aujourd’hui il a détruit R. Sammy, qui en savait trop, et qui constituait désormais un danger pour lui. Cette thèse-là explique tout, en particulier la présence du commissaire à Spacetown et la disparition de l’arme du crime ; de plus, elle épargne de supposer qu’un citoyen de New York a pu, de nuit, traverser la campagne à ciel ouvert.

— Je regrette pour vous, répliqua R. Daneel, mais je suis heureux pour le commissaire, que votre solution n’explique rien en réalité, Elijah ! Je vous ai déjà affirmé que la cérébroanalyse du cerveau du commissaire a prouvé qu’il est incapable d’avoir délibérément commis un meurtre. J’ignore quel est le terme exact par lequel vous définissez dans votre langue ce fait psychologique. Est-ce de la lâcheté, est-ce un scrupule de conscience, est-ce de la pitié ? Je ne connais que les définitions de ces termes données par le dictionnaire, et je ne peux juger s’ils s’appliquent au cas qui nous occupe. Mais, de toute manière, le commissaire n’a pas commis d’assassinat.

— Merci ! murmura Enderby, dont la voix se raffermit, et qui parut reprendre confiance. J’ignore pour quels motifs vous essayez de me démolir ainsi, Baley, mais, puisque vous l’avez voulu, nous irons jusqu’au bout !

— Oh ! un peu de patience, je vous prie ! répliqua l’inspecteur. Je suis loin d’en avoir terminé. En particulier, j’ai ceci à vous montrer !

Ce disant, il tira de sa poche, le petit cube d’aluminium que lui avait remis Daneel, et il le posa bruyamment sur la table. De toutes ses forces, il chercha à se donner encore plus d’assurance, espérant que celle-ci impressionnerait ses deux interlocuteurs. Car, depuis une demi-heure, il s’était refusé à songer à un petit fait, cependant essentiel : l’arrivée inopinée de Enderby dans la salle à manger l’avait empêché de voir le film pris sur les lieux du crime, et il ignorait ce que l’on pouvait y découvrir. Ce qu’il allait donc faire, c’était un coup de bluff, un pari redoutable mais il n’avait pas le choix.

A la vue de l’objet, Enderby se rejeta en arrière.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il.

— Oh ! n’ayez crainte ! fit Baley, sarcastique. Ce n’est pas une bombe, mais tout simplement un micro-téléviseur, émetteur-récepteur, qui sert d’appareil de projection cinématographique.

— Et qu’est-ce qu’il est censé prouver ?

— Nous allons le voir.

Il alla baisser la lumière du lustre qui éclairait le bureau du commissaire, puis revint s’asseoir près du petit cube dont il actionna une manette.

L’un des murs du bureau du commissaire principal s’éclaira soudain et servit d’écran de projection, du parquet jusqu’au plafond. Ce qui frappa le plus Baley, tout d’abord, ce fut l’étrange lumière dans laquelle baignait la pièce que le film représentait ; c’était une clarté grisâtre, comme on n’en voyait jamais dans la Cité, et Baley, partagé entre une instinctive curiosité et un certain malaise, se dit que sans doute on avait tourné le film aux premières lueurs du jour, et que ce devait donc être l’aurore qu’il voyait ainsi. Le film montrait le bureau du Dr Sarton, et, au milieu de la pièce, on pouvait voir l’horrible cadavre, tout déchiqueté, du savant spacien. Enderby le contempla, les yeux exorbités, tandis que Baley reprenait son exposé.