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Baley passa machinalement une main humide dans ses cheveux, puis il la tendit à son interlocuteur, en répliquant :

— Excusez-moi, monsieur Olivaw. Je ne sais pas à quoi je pensais. Bonjour. Je suis donc Elijah Baley, votre associé.

— Parfait !

La main du robot serra celle du détective, exerçant sur elle une douce et progressive pression, comme il est d’usage entre amis, puis se retira.

— Cependant, reprit-il, il me semble déceler en vous un certain trouble. Puis-je vous demander d’être franc avec moi ? Dans une association comme la nôtre, on n’est jamais trop précis, et il ne faut rien se cacher. C’est pourquoi, dans notre monde, les associés s’appellent toujours par leur petit nom. J’ose croire que cela n’est pas contraire à vos propres habitudes ?

— C’est que… répondit Baley d’un ton navré, c’est que… vous comprenez… vous n’avez pas l’air d’un robot !…

— Et cela vous contrarie ?

— Cela ne devrait pas, j’imagine, Da… Daneel. Est-ce qu’ils sont tous comme vous dans votre monde ?

— Il y a des différences individuelles, Elijah, comme parmi les hommes.

— C’est que… nos propres robots… eh bien… on peut très bien les reconnaître. Mais vous, vous avez l’air d’un vrai Spacien.

— Ah ! je comprends ! Vous vous attendiez à trouver un modèle plutôt grossier, et vous êtes surpris. Et cependant n’est-il pas logique que nos dirigeants aient décidé d’utiliser un robot répondant à des caractéristiques humanoïdes très prononcées, dans un cas pareil, où il est indispensable d’éviter des incidents fâcheux ? Ne trouvez-vous pas cela juste ?

Certes, c’était fort juste : un robot, facilement reconnaissable et circulant en ville, ne tarderait pas à avoir de gros ennuis.

— Oui, répondit donc Baley.

— Eh bien, dans ces conditions, allons-y, Elijah !

Ils se dirigèrent vers l’express. Non seulement Daneel n’eut aucune peine à se servir du tapis accélérateur, mais il en usa avec une adresse digne d’un vieil habitué. Baley, qui avait commencé par réduire son allure, finit par l’augmenter presque exagérément. Mais le robot le suivit si aisément que le détective finit par se demander si son partenaire ne faisait pas exprès de ralentir son allure. Il atteignit donc, aussi vite qu’il le put, l’interminable file du tapis roulant express, et bondit dessus d’un mouvement si vif qu’il en était vraiment imprudent : or, le robot en fit autant, sans manifester la moindre gêne. Baley était rouge et essoufflé. Il avala sa salive et dit :

— Je vais rester en bas avec vous.

— En bas ? réplique le robot, apparemment indifférent au bruit et aux trépidations de l’express. Serais-je mal informé ? On m’avait dit que la catégorie C. 5 donnait droit à une place assise à l’impériale, dans certaines conditions.

— Vous avez raison. Moi, je peux monter là-haut, mais pas vous.

— Et pourquoi donc ne puis-je y monter avec vous ?

— Parce qu’il faut être classé en catégorie C. 5.

— Je le sais.

— Eh bien, vous ne faites pas partie de cette catégorie-là.

La conversation devenait difficile ; la plate-forme inférieure comportait moins de pare-brise que l’impériale, en sorte que le sifflement de l’air était beaucoup plus bruyant ; par ailleurs, Baley tenait naturellement à ne pas élever la voix.

— Pourquoi ne pourrais-je pas faire partie de cette catégorie C. 5 ? dit le robot. Je suis votre associé ; par conséquent, nous devons tous les deux être sur le même plan. On m’a remis ceci.

Ce disant, il sortit d’une poche intérieure de sa chemise une carte d’identité réglementaire, au nom de Daneel Olivaw, sans la fatidique initiale R ; il n’y manquait aucun des cachets obligatoires, et la catégorie qui y figurait était C. 5.

— C’est bon, dit Baley, d’un ton bourru. Montons !

Quand il se fut assis, Baley regarda droit devant lui ; il était très mécontent de lui-même et n’aimait pas sentir ce robot assis à côté de lui. En un si bref laps de temps, il avait déjà commis deux erreurs ; tout d’abord, il n’avait pas su reconnaître que R. Daneel était un robot ; en second lieu, il n’avait pas deviné que la logique la plus élémentaire exigeait que l’on remît à R. Daneel une carte de C. 5.

Sa faiblesse – il s’en rendait bien compte – c’était de ne pas être intégralement le parfait détective répondant à l’idée que le public se faisait de cette fonction. Il n’était pas immunisé contre toute surprise. Il ne pouvait constamment demeurer imperturbable. Il y avait toujours une limite à sa faculté d’adaptation ; enfin, sa compréhension des problèmes qui lui étaient soumis n’était pas toujours aussi rapide que l’éclair. Tout cela, il le savait depuis fort longtemps, mais jamais encore il n’avait déploré ces lacunes et ces imperfections, inhérentes à la nature humaine. Or, ce qui maintenant les lui rendait pénibles, c’était de constater que, selon toutes les apparences, R. Daneel Olivaw personnifiait véritablement ce type idéal du détective. C’était, en fait, pour lui une nécessité inhérente à sa qualité de robot.

Baley, dès lors, commença à se trouver des excuses. Il était habitué aux robots du genre de R. Sammy, celui dont on se servait au bureau. Il s’attendait à trouver une créature dont la peau était faite de matière plastique, luisante et blanchâtre, presque livide. Il pensait trouver un regard figé, exprimant en toute occasion une bonne humeur peu naturelle et sans vie. Il avait prévu que ce robot aurait des gestes saccades et légèrement hésitants…

Mais rien de tout cela ne s’était produit : R. Daneel ne répondait à aucune de ces caractéristiques.

Baley se risqua à jeter un coup d’œil en coin vers son voisin. Instantanément R. Daneel se tourna aussi, son regard croisa celui de Baley, et il fit gravement un petit signe de tête. Lorsqu’il parlait, ses lèvres remuaient naturellement, et ne restaient pas tout le temps entrouvertes comme celles des robots terrestres. Baley avait même pu apercevoir de temps à autre bouger sa langue…

« Comment diable peut-il rester assis avec un tel calme ? se dit Baley. Tout ceci doit être complètement nouveau pour lui : le bruit, les lumières, la foule… »

Il se leva, passa brusquement devant R. Daneel, et lui dit :

— Suivez-moi !

Ils sautèrent à bas de l’express, sur le tapis décélérateur, et Baley se demanda soudain :

« Qu’est-ce que je vais dire à Jessie ? »

Sa rencontre avec le robot avait chassé de son esprit cette pensée ; mais voilà qu’elle lui revenait, pressante et douloureuse, tandis qu’ils approchaient rapidement, sur le tapis roulant secondaire, du centre même du quartier de Bronx.

Il crut bon de donner au robot quelques explications.

— Tout ce que vous voyez là, Daneel, dit-il, c’est une seule et unique construction, qui englobe toute la Cité. La ville de New York tout entière consiste en un seul édifice, dans lequel vivent vingt millions d’individus. L’express fonctionne sans jamais s’arrêter, nuit et jour, à la vitesse de cent kilomètres à l’heure ; il s’étend sur une longueur de quatre cents kilomètres, et il y a des centaines de kilomètres de tapis roulants secondaires.

« Dans un instant, se dit-il, je vais lui dire combien de tonnes de produits à base de levure on consomme par jour à New York, et combien de mètres cubes d’eau nous buvons, ainsi que le nombre de mégawatts-heure produits par les piles atomiques. »

— On m’a en effet informé de cela, dit R. Daneel, et les instructions que j’ai reçues comportent d’autres renseignements du même genre.

« Par conséquent, se dit Baley, il est au courant de ce qui concerne la nourriture, la boisson et l’énergie électrique. Il n’y a pas de doute ! Pourquoi vouloir en remontrer à un robot ?… »