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Il y avait exactement cinq manières d’éviter le danger d’être traîné au palais présidentiel (vingt pièces, dont une salle assez grande pour contenir une centaine de personnes) : avoir moins de trente ou plus de soixante-dix ans ; souffrir d’une maladie incurable ; être mentalement déficient ou avoir commis un crime grave. La seule option offerte au président Edgar Farradine était la dernière, et il y avait même réfléchi sérieusement.

Toutefois, il devait reconnaître qu’en dépit des inconvénients personnels que cela lui causait, c’était probablement la meilleure forme de gouvernement jamais imaginée par l’humanité. La planète mère avait mis quelque dix mille ans à la perfectionner, à tâtons et en commettant parfois de hideuses erreurs.

Dès que toute la population adulte avait été éduquée jusqu’aux limites de ses facultés intellectuelles (et parfois, hélas ! au-delà), l’authentique démocratie était devenue possible. La dernière phase exigeait le développement des communications personnelles instantanées, en liaison avec des ordinateurs centraux. Selon les historiens, la première véritable démocratie de la Terre avait été établie en l’an (terrestre) 2011 dans un pays appelé la Nouvelle-Zélande.

Ensuite, la sélection d’un chef d’État était relativement peu importante. Une fois qu’il fut universellement reconnu que quiconque ayant délibérément visé cette fonction serait automatiquement disqualifié, presque n’importe quel système aurait fonctionné aussi bien et la loterie était la procédure la plus simple.

— Monsieur le Président, annonça la secrétaire du cabinet, les visiteurs attendent dans la bibliothèque.

— Merci, Lisa. Et sans leur costume bulle ?

— Oui. Toutes les personnalités médicales sont d’accord, il n’y a aucun danger. Mais je dois vous avertir, Monsieur le Président. Ils … eh bien, ils sentent drôle.

— Krakan ! De quelle manière ?

La secrétaire sourit.

— Oh, ce n’est pas désagréable, du moins je ne trouve pas. Ça doit venir de ce qu’ils mangent. Au bout de mille ans, nos biochimies ont sans doute divergé. Je crois que le meilleur mot pour décrire l’odeur serait «aromatique».

Le Président ne savait pas trop ce que ça voulait dire et il y réfléchissait quand une pensée inquiétante lui vint.

— Et à votre avis, quelle odeur avons-nous, pour eux ?

À son grand soulagement, ses cinq invités ne présentèrent aucun signe évident de détresse olfactive, quand ils lui furent présentés à tour de rôle. Mais la secrétaire Elizabeth Ishihara avait eu bien raison de l’avertir ; il savait maintenant exactement ce qu’«aromatique» signifiait. Elle avait raison aussi de dire que ce n’était pas désagréable ; cette odeur lui rappelait même les épices que sa femme employait, quand c’était à son tour de faire la cuisine au palais.

En s’asseyant à l’arrondi de la table de conférence en fer à cheval, le président de Thalassa se surprit à méditer ironiquement sur le Hasard et le Destin, deux sujets dont il ne s’était jamais beaucoup occupé dans le passé. Mais le Hasard, sous sa forme la plus pure, l’avait placé dans sa situation actuelle. À présent ce Hasard — ou son frère le Destin — frappait de nouveau. Comme il était singulier que lui, fabricant sans ambition d’articles de sport, ait été choisi pour présider cette rencontre historique ! Pourtant, quelqu’un devait bien s’en charger et il reconnaissait qu’il commençait à s’amuser. En tout cas, personne ne pourrait l’empêcher de prononcer son discours de bienvenue.

C’était d’ailleurs un très bon discours, peut-être un peu trop long, même pour une telle occasion. Vers la fin, il s’aperçut que l’expression polie et attentive de ses auditeurs commençait à s’égarer un peu, alors il supprima quelques statistiques sur la productivité et sauta tout le passage sur la nouvelle centrale énergétique de l’île du Sud. Quand il se rassit, il était satisfait, certain d’avoir brossé le tableau d’une société vigoureuse, progressive, atteignant un haut niveau technologique. Même si, au premier coup d’œil, on pouvait s’y tromper, Thalassa n’était ni attardée ni décadente et respectait encore les plus belles traditions de ses grands ancêtres. Et cætera.

— Merci beaucoup, Monsieur le Président, dit alors le capitaine Bey. Ce fut pour nous, certes, une heureuse surprise de découvrir que Thalassa n’était pas seulement habitée mais florissante. Cela rendra notre séjour ici d’autant plus plaisant et nous espérons repartir en ne laissant que des amis.

— Pardonnez-moi d’être si abrupt — cela peut même paraître grossier de poser la question dès l’arrivée d’invités —, mais combien de temps comptez-vous rester ici ? Nous aimerions le savoir dès que possible, afin de prendre toutes les dispositions nécessaires.

— Je comprends très bien, Monsieur le Président. À ce stade, nous ne pouvons être très précis, parce que cela dépend en grande partie de l’aide que vous nous apporterez. En principe, je dirais au moins une de vos années, peut-être plutôt deux.

Edgar Farradine, comme tous les Lassans, dissimulait mal ses émotions et le capitaine Bey fut alarmé par son expression soudain joyeuse, et même rusée.

— J’espère, Votre Excellence, que cela ne posera pas de problèmes ? demanda-t-il avec anxiété.

— Au contraire ! répliqua le Président en se retenant de se frotter les mains. Vous ne le savez peut-être pas, mais nos deux centièmes Jeux Olympiques auront lieu dans deux ans. Quand j’étais jeune, j’ai obtenu la médaille de bronze du mille mètres, confia-t-il en toussotant avec modestie, alors j’ai été chargé de l’organisation. Un peu de concurrence de l’extérieur ne nous ferait pas de mal.

— Monsieur le Président, intervint la secrétaire du cabinet, je ne sais pas si le règlement …

— C’est ma responsabilité, interrompit fermement le Président. Capitaine, considérez cela comme une invitation, s’il vous plaît. Ou un défi, si vous préférez.

Le commandant du vaisseau spatial Magellan avait l’habitude de prendre des décisions rapides, mais pour une fois, il fut totalement pris de court. Avant qu’il trouve une réponse convenable, son premier officier médecin intervint.

— C’est extrêmement aimable de votre part, Monsieur le Président, répondit le commandant Mary Newton, mais en ma qualité de médecin, je dois vous faire observer que nous avons tous plus de trente ans, que nous sommes loin d’être en pleine forme et que la gravité de Thalassa est de 6 % plus forte que celle de la Terre, ce qui nous désavantagerait énormément. Alors, à moins que vos Jeux Olympiques comprennent des épreuves d’échecs ou de jeux de cartes …

Le Président parut déçu mais se ressaisit vite.

— Ah … Enfin … Au moins, capitaine Bey, j’aimerais vous présenter quelques-uns des prix.

— J’en serais enchanté, assura le capitaine quelque peu désorienté, sentant les événements lui échapper et bien résolu à revenir à l’ordre du jour. Puis-je expliquer ce que nous venons faire ici, Monsieur le Président ?

— Certainement.

La réponse était assez indifférente. Les pensées de Son Excellence vagabondaient. Peut-être revivait-il les victoires de sa jeunesse. Finalement, avec un effort évident, il força son attention à revenir sur le présent.

— Nous sommes flattés de votre visite, mais un peu perplexes. Je ne vois pas très bien ce que notre monde peut vous offrir. On me dit qu’il a été question de glace, mais c’était sûrement une plaisanterie.