Выбрать главу

— Pourquoi ?

Il n’y avait pas d’étonnement, pas de regret dans sa voix ; bien des choses avaient changé, pensa-t-il. Mais avant qu’il puisse répondre, elle ajouta :

— Tu ne te plais pas, là-bas.

— C’est peut-être mieux qu’ici … au point où en sont les choses. Ce n’est plus mon foyer.

— Ce sera toujours ton foyer.

— Pas tant que le Magellan restera sur orbite.

Mirissa allongea le bras dans l’obscurité, vers l’inconnu allongé à côté d’elle. Au moins, il ne s’écarta pas.

— Brant. Je n’ai jamais voulu cela. Pas plus, j’en suis bien certaine, que Loren.

— Ça n’arrange rien, tu sais. Franchement, je ne vois pas ce que tu lui trouves.

Mirissa faillit sourire. Combien d’hommes, pensa-t-elle, avaient dit cela à combien de femmes, au cours de l’histoire de l’humanité ? Et combien de femmes avaient demandé : «Qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ?»

Il n’y avait pas moyen de répondre, naturellement ; le tenter ne ferait même qu’aggraver les choses. Mais tout de même, elle avait essayé, pour sa propre satisfaction, de déterminer ce qui les avait mutuellement attirés, Loren et elle, dès la première fois qu’ils s’étaient vus.

La raison principale était la mystérieuse chimie de l’amour qui dépassait l’analyse rationnelle, inexplicable à quiconque ne partageait pas la même illusion. Mais il existait d’autres éléments nettement plus faciles à définir et à expliquer logiquement. Il était utile de les connaître ; un jour (bien trop tôt !), cela l’aiderait à affronter le moment de la séparation.

Il y avait d’abord le tragique prestige de tous les Terriens ; elle n’en négligeait pas l’importance, mais Loren le partageait avec tous ses camarades. Qu’avait-il donc de si particulier qu’elle ne trouvait pas chez Brant ?

Comme amants, ils se valaient ; Loren était peut-être plus imaginatif, Brant plus passionné bien que, pensa-t-elle, il soit devenu un peu plus paresseux ces derniers temps. Elle était parfaitement heureuse avec l’un ou l’autre … Non, ce n’était pas ça.

Peut-être cherchait-elle quelque chose qui n’existait même pas. Il n’y avait pas d’élément unique mais toute une constellation de qualités. Son instinct, au-dessous du niveau de la pensée consciente, avait fait le total et Loren avait obtenu quelques points de plus que Brant. Ce n’était pas plus compliqué, semblait-il.

Par un aspect au moins, Loren éclipsait Brant. Il avait de l’énergie, de l’ambition, ce qui était très rare à Thalassa. Sans aucun doute, il avait été choisi pour ces qualités ; il en aurait besoin dans les siècles à venir.

Brant était absolument dépourvu d’ambition, tout en ne manquant pas d’esprit d’entreprise ; son projet encore inachevé de pièges à poissons en témoignait. Tout ce qu’il demandait à l’univers, c’était de lui fournir des machines intéressantes, pour jouer ; Mirissa avait parfois l’impression qu’il la classait dans cette catégorie.

Loren, en revanche, s’inscrivait dans la tradition des grands explorateurs et aventuriers. Il contribuerait à écrire l’histoire au lieu de se soumettre simplement à ses impératifs. Et pourtant, il savait se montrer — pas assez souvent mais de plus en plus fréquemment — chaleureux et humain. Alors qu’il congelait les mers de Thalassa, son cœur commençait à se dégeler.

— Qu’est-ce que tu vas faire à l’île du Nord ? demanda-t-elle à mi-voix, tenant déjà la décision pour acquise.

— Ils veulent que je les aide à gréer la Calypso. Les Nordiens ne comprennent rien à la mer.

Mirissa se sentit soulagée. Brant ne prenait pas la fuite ; il avait un travail.

Un travail qui l’aiderait à oublier … jusqu’à ce que, peut-être, le moment vienne de se souvenir.

27

Miroir du passé

Moïse Kaldor éleva le module à la lumière et regarda à l’intérieur comme s’il pouvait en lire le contenu.

— J’ai toujours l’impression que c’est un miracle, dit-il, quand je tiens un million de livres entre le pouce et l’index. Je me demande ce qu’auraient pensé Caxton et Gutenberg.

— Qui ? demanda Mirissa.

— Les premiers hommes à faire lire l’espèce humaine. Mais il y a un prix à payer, pour notre ingéniosité. Je fais quelquefois un petit cauchemar en imaginant qu’un de ces modules contient une information absolument capitale — disons le remède infaillible contre une épidémie qui fait rage — mais que la référence a été perdue. C’est sur l’une de ces pages, mais nous ne savons pas laquelle et il y en a des milliards. Comme c’est rageant d’avoir la solution au creux de sa main et de ne pouvoir la trouver !

— Je ne vois pas le problème, dit la secrétaire du capitaine, Joan Leroy, experte en stockage et récupération d’informations, qui aidait aux transferts entre les archives de Thalassa et le vaisseau. Vous connaissez les mots clés ; il vous suffit de mettre en route un programme de recherche. Même un milliard de pages peuvent être examinées en quelques secondes.

— Vous avez gâché mon cauchemar, dit Kaldor en soupirant, puis sa figure s’éclaircit. Mais bien souvent on ne connaît même pas les mots clés. Combien de fois êtes-vous tombée sur quelque chose dont vous ne pensiez pas avoir besoin … avant de le trouver ?

— C’est que vous êtes mal organisé, répliqua le lieutenant Leroy.

Ils aimaient beaucoup ces petites escarmouches ironiques et Mirissa ne savait jamais très bien quand les prendre au sérieux. Joan et Moïse ne cherchaient pas à l’exclure volontairement de leurs conversations, mais leurs domaines d’expérience étaient si différents du sien qu’il lui semblait parfois écouter un dialogue dans une langue inconnue.

— Enfin, bref, voilà qui complète le Maître Index. Nous savons mutuellement ce qu’a l’autre ; maintenant, nous devons simplement — simplement ! — estimer ce que nous voulons transférer. Ce serait malcommode, pour ne pas dire hors de prix, quand nous serons à soixante-quinze années-lumière d’écart.

— Vous me faites penser à quelque chose, dit Mirissa. Je ne sais pas si je dois vous le dire mais une délégation de l’île du Nord est venue la semaine dernière. Le président de l’Académie des sciences et deux physiciens.

— Laissez-moi deviner. La poussée quantique.

— Précisément.

— Comment ont-ils réagi ?

— Ils ont paru contents, et surpris, de voir qu’elle était réellement là. Ils ont fait une copie, naturellement.

— Grand bien leur fasse ; ils en auront besoin. Et vous pourriez leur dire ceci : quelqu’un a un jour déclaré que le dessein réel de la PQ n’était pas de permettre l’exploration de l’univers, ce n’est pas aussi insignifiant que cela. Nous aurons besoin de ses énergies, un jour, pour empêcher le cosmos de retomber dans le trou noir originel … et de commencer le cycle d’existence suivant.

Un silence respectueux et craintif s’installa ; puis Joan Leroy rompit le charme.

— Pas du vivant de cette administration-ci. Remettons-nous au travail. Nous avons encore des mégabytes à faire avant de nous endormir.

Il n’y avait pas que le travail, et parfois, Kaldor était obligé d’échapper à la bibliothèque de Premier Contact afin de se détendre. Il allait alors jusqu’au musée et faisait la visite, guidée par ordinateur, du vaisseau mère (jamais la même ; il essayait de couvrir le plus de terrain possible) ou laissait le musée le transporter en arrière dans le temps.

Il trouvait toujours une longue file de visiteurs, principalement des étudiants ou des enfants avec leurs parents, pour voir les Terramas. Il arrivait à Moïse Kaldor d’éprouver des remords, quand il utilisait sa situation privilégiée pour passer devant tout le monde, mais il se consolait en se disant que les Lassans avaient toute la vie pour profiter de ces panoramas d’un monde qu’ils n’avaient jamais connu alors qu’il n’avait lui-même que quelques mois pour revisiter son pays natal disparu.