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Maintenant, le seul réel danger viendrait de la Calypso elle-même, si elle retombait sur sa tête. Où était-elle ?

Bien trop près, dans ces eaux tumultueuses, et avec une partie de ses superstructures à demi immergée. Incroyablement, presque tout l’équipage semblait être resté à bord. On le montrait du doigt, quelqu’un se préparait à lui lancer une bouée de sauvetage.

La surface était jonchée de débris — des sièges, des caisses, des pièces de matériel — et le traîneau passa en sombrant lentement dans les gerbes de bulles d’un de ses flotteurs endommagé. J’espère qu’ils pourront le sauver, pensa Loren, sinon cette excursion aura coûté cher ; et il risque de se passer pas mal de temps avant que nous puissions de nouveau étudier les scorps. Il était assez fier de pouvoir si calmement évaluer la situation, compte tenu des circonstances.

Quelque chose frôla sa jambe droite ; par un réflexe automatique, il tenta de le repousser d’une ruade. Bien que la chose lui entame sérieusement les chairs, il était plus irrité qu’alarmé. Il était à flot, hors de danger, la vague géante était passée et rien ne pouvait le blesser maintenant.

Il donna un nouveau coup de pied, plus prudemment. Au même instant, il sentit le même enchevêtrement autour de son autre jambe. Et ce n’était plus une simple caresse ; en dépit du soutien de la brassière de sauvetage, quelque chose le tirait vers le fond.

Loren Lorenson connut alors son premier moment de véritable panique car il se rappela soudain les tentacules du polype géant. Cependant, ces tentacules devaient être souples et charnus, alors qu’il s’agissait là d’une espèce de câble ou de fil de fer. Naturellement ! Le cordon ombilical du traîneau qui sombrait !

Il aurait peut-être encore pu se dégager s’il n’avait pas avalé une gorgée d’eau d’une vague inattendue. En toussant, en s’étouffant, il s’efforça de vider ses poumons sans cesser de donner des coups de pied dans le câble.

Et puis la limite vitale entre l’air et l’eau — entre la vie et la mort — fut à moins de un mètre au-dessus de lui, mais il n’avait aucun moyen de l’atteindre.

Dans un moment pareil, un homme ne pense qu’à sa propre survie. Il n’y eut pas de regards en arrière, pas de regrets de la vie passée, pas même une brève vision de Mirissa.

Quand il comprit que tout était fini, il n’éprouva aucune peur. Sa dernière pensée consciente fut la rage d’avoir voyagé pendant cinquante années-lumière, pour trouver une fin aussi stupide et peu héroïque.

Ainsi, Loren Lorenson mourut pour la seconde fois dans les eaux tièdes et peu profondes de la mer thalassane. L’expérience ne lui avait rien appris ; la première mort, deux siècles plus tôt, avait été bien plus facile.

V

LE SYNDROME DU BOUNTY

31

La pétition

Le capitaine Sirdar Bey aurait protesté qu’il n’était pas le moins du monde superstitieux, mais, pourtant, il commençait toujours à s’inquiéter quand les choses allaient bien. Jusqu’à présent, Thalassa avait été presque trop bonne pour être vraie ; tout s’était passé selon les prévisions les plus optimistes. Le bouclier avait été construit dans les temps et il n’y avait eu absolument aucun problème digne d’être rapporté.

Mais à présent, en l’espace de vingt-quatre heures …

Naturellement, ça aurait pu être bien pire. Le capitaine de corvette Lorenson avait eu énormément de chance, grâce à ce gosse. (Il faudrait faire quelque chose pour lui.) À en croire les médecins, il s’en était fallu de très peu. Encore quelques minutes et les dégâts occasionnés au cerveau auraient été irréversibles.

Agacé d’avoir laissé son attention s’écarter du problème immédiat, le capitaine relut le message qu’il connaissait maintenant par cœur :

«Combord : ni date ni heure

À : Capitaine

De : Anon

Capitaine. Quelques-uns d’entre nous souhaitent faire la proposition suivante que nous présentons à votre plus sérieuse considération. Nous proposons que notre mission se termine ici à Thalassa. Tous les objectifs seront atteints sans les risques additionnels de la poursuite du voyage jusqu’à Sagan Deux.

Nous reconnaissons volontiers que cela causera des problèmes avec la population existante, mais nous pensons pouvoir les résoudre grâce à la technologie que nous possédons, plus précisément l’utilisation de l’ingénierietectonique pour accroître la superficie des terresdisponibles. Conformément au règlement, section 14, paragraphe 24 (a), nous demandons respectueusement la réunion d’un Conseil de bord pour discuter de cette affaire dès que possible.»

— Eh bien ? Capitaine Malina ? Ambassadeur Kaldor ? Pas de commentaires ?

Dans les appartements spacieux mais simplement meublés du capitaine, les deux hommes se regardèrent. Puis Kaldor fit un signe de tête imperceptible au capitaine adjoint et confirma l’abandon de sa priorité en prenant une nouvelle petite gorgée de l’excellent vin de Thalassa que leur avaient offert leurs hôtes.

Le capitaine adjoint Malina, plus à son aise avec la mécanique qu’avec les gens, examina tristement l’imprimante.

— C’est très poli, au moins.

— Encore heureux ! s’exclama impatiemment le capitaine Bey. Avez-vous une quelconque idée des auteurs ?

— Pas la moindre. À l’exception de nous trois, je crains que nous ayons cent cinquante-huit suspects.

— Cent cinquante-sept, intervint Kaldor. Le capitaine Lorenson a un excellent alibi. Il était mort à ce moment-là.

— Ça ne réduit guère le champ, grommela le capitaine avec un sourire amer. Avez-vous une hypothèse, professeur ?

Certainement, pensa Kaldor ; j’ai vécu deux longues années sur Mars et je parierais que ça vient des Sabras. Mais ce n’est qu’une intuition et je peux me tromper.

— Pas encore, capitaine. Mais je vais garder les yeux ouverts. Si je découvre quelque chose, je vous en informerai … autant que possible.

Les deux officiers le comprirent parfaitement. Dans son rôle de conseiller, Moïse Kaldor n’avait même pas de comptes à rendre au capitaine. À bord du Magellan, il était ce qui se rapprochait le plus d’un confesseur.

— Je pense, professeur Kaldor, que vous ne manquerez certainement pas de m’informer si vous apprenez quelque chose qui risque de compromettre cette mission.

Kaldor hésita, puis il hocha la tête. Il espérait qu’il n’aurait pas à affronter le traditionnel dilemme du prêtre qui reçoit la confession d’un assassin alors qu’il est encore en train de méditer son crime.

Je ne suis pas aidé, pensa amèrement le capitaine. Mais j’ai une confiance absolue dans ces deux hommes et j’ai besoin de me confier à quelqu’un. Même si je dois prendre la décision finale.

— La première question qui se pose, c’est si je dois répondre à ce message ou feindre de l’ignorer. Les deux solutions présentent des risques. Si ce n’est qu’une vague suggestion — peut-être d’un seul individu dans un moment de trouble psychologique —, ce ne serait peut-être pas prudent de la prendre au sérieux. Mais si elle émane d’un groupe résolu, un dialogue nous aiderait certainement. Il permettrait de désamorcer la situation. Et aussi d’identifier les personnes en cause.

Et qu’est-ce que tu ferais alors ? se demanda le capitaine. Tu les mettrais aux fers ?