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Cent générations en arrière, donc deux à la puissance cent ancêtres. Log de deux égale zéro virgule trois zéro un zéro … ça fait trente virgule un … Olympus ! Un million de millions de millions de millions de millions de personnes ! Il y avait une erreur, jamais autant de personnes n’avaient vécu sur Terre depuis le commencement des temps … en supposant naturellement qu’il n’y ait aucun chevauchement — l’arbre généalogique humain devait être terriblement enchevêtré —, enfin bref, après cent générations, tout le monde devait être apparenté plusieurs fois. Je ne pourrai jamais le prouver, mais Fletcher Christian devait être mon ancêtre.

Tout ça, c’est très intéressant, se dit-il en arrêtant l’appareil ; les anciennes archives disparurent de l’écran. Mais je ne suis pas un mutin. Je suis un … un pétitionnaire, présentant une requête parfaitement raisonnable. Karl, Ranjit, Bob, tous sont d’accord … Werner est indécis mais ne nous dénoncera pas. Comme je voudrais parler aux autres Sabras et leur raconter ce monde charmant que nous avons découvert pendant leur sommeil !

En attendant, je dois répondre au capitaine …

Le capitaine Bey trouvait franchement déplaisant d’avoir à s’occuper des affaires du vaisseau sans savoirlequel — ni combien — de ses officiers ou hommes d’équipage s’adressait à lui par l’intermédiaire anonyme du combord. Il n’y avait aucun moyen de retrouver la trace de ces inputs confidentiels ; ils avaient été expressément conçus pour rester secrets, et le système avait été intégré comme un mécanisme social stabilisateur par les génies disparus qui avaient créé le Magellan. Le capitaine, en hésitant, avait tenté d’aborder la possibilité d’un repérage avec son ingénieur en chef de la communication mais le commandant Rocklyn avait paru tellement choqué qu’il avait promptement renoncé.

Alors, maintenant, il examinait constamment les visages, notait les expressions, écoutait les nuances des voix tout en essayant de se comporter comme s’il ne s’était rien passé. Peut-être réagissait-il de façon disproportionnée, et c’était réellement sans importance. Mais il avait peur qu’une graine ait été semée qui ne ferait que croître et s’épanouir tant que le vaisseau resterait au-dessus de Thalassa.

Le premier accusé de réception, rédigé après avoir consulté Malina et Kaldor, était assez neutre :

«De : Capitaine

À : Anon

En réponse à votre communication non datée, je ne m’oppose pas à des discussions concernant ce que vous proposez, soit par combord, ou officiellement en Conseil de bord.»

À vrai dire, il s’y opposait très vivement ; il avait passé près de la moitié de sa vie d’adulte à s’entraîner à la redoutable responsabilité d’une transplantation d’un million d’êtres humains à travers cent vingt-cinq années-lumière d’espace. Telle était sa mission ; si le mot «sacré» avait eu une signification pour lui, il l’aurait employé. Rien, si ce n’est une détérioration catastrophique du vaisseau ou la découverte improbable que le soleil de Sagan Deux était sur le point de devenir nova, ne pouvait le détourner de ce but.

En attendant, il y avait une mesure évidente à prendre. Il était possible que l’équipage — comme les hommes de Bligh ! — soit démoralisé, ou tout au moins négligent. Les réparations à l’usine de congélation, après les dégâts mineurs causés par le tsunami, avaient duré deux fois plus longtemps que prévu et c’était typique. Tout le rythme du vaisseau ralentissait ; oui, il était temps de se remettre à faire claquer le fouet.

— Joan, dit-il à sa secrétaire, à trente mille kilomètres au-dessous de lui, envoyez-moi le dernier rapport sur l’assemblage du bouclier. Et dites au capitaine Malina que je veux discuter avec lui des horaires de soulèvement.

Il ne savait pas s’il leur serait possible de hisser plus d’un flocon de neige par jour, mais ils devaient essayer.

35

Convalescence

Le lieutenant Horton était un compagnon amusant mais Loren fut heureux d’être débarrassé de lui dès que l’électrofusion eut soudé ses os fracturés. Comme l’avait appris Loren, avec un luxe de détails assommants, le jeune ingénieur s’était laissé entraîner par une bande de gaillards équivoques venus de l’île du Nord, dont le second grand intérêt dans la vie était d’escalader des vagues verticales sur des planches de surf à microréacteurs. Horton avait découvert, durement, que c’était encore plus dangereux que cela le paraissait.

— Je suis très étonné, avait dit Loren un jour, au milieu d’un récit plutôt scabreux. J’aurais juré que vous étiez à 90 % hétéro.

— Quatre-vingt-douze, d’après mon profil, rectifia gaiement Horton. Mais j’aime bien vérifier de temps en temps.

Le lieutenant ne plaisantait qu’à moitié. Il avait entendu dire que les 100 % étaient tellement rares qu’on les considérait comme des cas pathologiques. Il ne le croyait pas vraiment, mais ça l’inquiétait un peu, quand il prenait la peine d’y penser.

Mais à présent, Loren était l’unique patient et il avait persuadé l’infirmière lassane que sa présence était tout à fait inutile quand Mirissa faisait sa visite quotidienne. Le commandant-médecin Newton, qui, comme la plupart de ses confrères, était souvent d’une franchise embarrassante, lui avait dit sans ménagement :

— Vous avez encore besoin d’une semaine pour récupérer. S’il vous faut absolument faire l’amour, laissez-la prendre toute la peine.

Il avait beaucoup d’autres visites, bien entendu. Toutes, sauf deux, étaient les bienvenues.

Le maire Waldron bousculait la petite infirmière, pour qu’elle la laisse entrer quand elle voulait ; heureusement, ses visites ne coïncidaient jamais avec celles de Mirissa. La première fois que madame le maire était venue, Loren s’était efforcé d’avoir l’air moribond, mais cette tactique s’était révélée désastreuse et l’avait mis dans l’impossibilité de repousser des caresses moites. Lors de la deuxième visite — par bonheur, il avait été prévenu dix minutes à l’avance — il était assis dans son lit, soutenu par des oreillers et tout à fait conscient. Toutefois, par une curieuse coïncidence, un essai de fonction respiratoire était en cours et le tube que Loren avait dans la bouche interdisait toute conversation. L’essai se termina environ trente secondes après le départ de madame le maire.

L’unique visite de courtoisie de Brant Falconer fut quelque peu éprouvante pour tous les deux. Ils parlèrent poliment des scorps, du travail à l’usine de congélation de la baie des Palétuviers, de la politique de l’île du Nord, en somme de tout sauf de Mirissa. Loren voyait que Brant était soucieux et même embarrassé, mais la dernière chose à laquelle il s’attendait, c’était des excuses. Son visiteur s’arrangea pour dire ce qu’il avait sur le cœur, juste avant de partir.

— Vous savez, Loren, je ne pouvais rien faire d’autre, avec cette vague. Si j’avais maintenu le cap, nous nous serionsécrasés contre le récif. Simplement … C’est malheureux quelaCalypson’ait pas pu gagner à temps la haute mer.

— Je suis tout à fait certain, répondit Loren avec une totale sincérité, que personne n’aurait pu faire mieux.

— Eh bien … je suis content que vous le compreniez.

Brant était visiblement soulagé et Loren éprouva pour lui une soudaine compassion, et même de la pitié. Peut-être avait-on critiqué sa navigation ; pour un garçon aussi fier de ses talents que Brant, ce devait être intolérable.