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« Il s’est passé des heures avant qu’on trouve Kumar. Physiquement, son cerveau est intact mais il n’y a aucune trace d’activité. Malgré tout, la réanimation pourrait être possible grâce à une technologie extrêmement avancée. D’après nos archives — qui couvrent toute l’histoire de la science médicale de la Terre —, cela a déjà été fait dans des cas semblables, avec un taux de réussite de 60 %.

« Et cela nous place devant un dilemme, que le capitaine Bey m’a prié de vous expliquer franchement. Nous ne possédons pas les talents ni le matériel pour une telle opération. Mais nous les aurons peut-être … dans trois cents ans …

« Il y a douze grands experts du cerveau parmi les centaines de médecins spécialistes endormis à bord du vaisseau. Il y a des techniciens capables d’assembler et de faire fonctionner tout le matériel de survie concevable. Tout ce que la Terre a jamais possédé sera de nouveau à nous, quand nous aurons atteint Sagan Deux.

Il s’interrompit, pour leur permettre de tout assimiler. Le robot profita de ce moment inopportun pour proposer ses services ; Loren l’écarta avec impatience.

— Nous acceptons, non, nous serons heureux, car c’est bien le moins, d’emmener Kumar avec nous. Sans que nous puissions le garantir, il peut revenir à la vie. Nous aimerions que vous réfléchissiez ; vous avez tout le temps, avant de devoir prendre une décision.

Le vieux couple se regarda pendant un long moment en silence. Loren s’était tourné vers la mer. Comme tout était calme et paisible ! Il pensait qu’il serait très heureux de passer là ses années de déclin, avec les visites de ses enfants et petits-enfants …

Comme la plus grande partie de Tarna, cet endroit ressemblait à la Terre. Peut-être à cause d’un plan concerté, il n’y avait aucune végétation lassane en vue ; tous les arbres étaient nostalgiquement familiers.

Pourtant, il manquait quelque chose d’essentiel ; il s’aperçut qu’il y avait longtemps qu’il cherchait quel était cet élément, en fait depuis son arrivée sur cette planète. Et soudain, comme si ce moment de chagrin avait secoué sa mémoire, il comprit ce qui lui manquait.

Il n’y avait pas de mouettes tournoyant dans le ciel, remplissant les airs des cris les plus tristes et les plus évocateurs de tous les bruits de la Terre.

Lal Leonidas et sa femme n’avaient toujours pas échangé un mot et cependant, Loren devina qu’ils avaient pris leur décision.

— Nous apprécions votre offre, capitaine Lorenson ; nous vous prions de transmettre nos remerciements au capitaine Bey. Mais nous n’avons pas besoin de temps pour réfléchir. Quoi qu’il arrive, Kumar sera à jamais perdu pour nous.

« Même si vous réussissez et, comme vous le dites, il n’y a aucune garantie, il se réveillera dans un monde inconnu, en sachant qu’il ne reverra plus jamais le sien et que ceux qu’il aimait sont morts depuis des siècles. C’est impossible à envisager. Votre intention est excellente mais ce ne serait pas une gentillesse pour lui.

« Nous savons ce qu’il aurait souhaité et ce qui doit être fait. Rendez-le-nous. Nous le renverrons à la mer qu’il aimait tant.

Il n’y avait plus rien à dire. Loren éprouva à la fois une écrasante tristesse et un immense soulagement.

Il avait fait son devoir. C’était la décision qu’il avait attendue.

49

Du feu sur le récif

Le petit kayak ne serait jamais terminé, mais il ferait son premier et dernier voyage.

Jusqu’au coucher du soleil, il était resté au bord de l’eau, caressé par les vagues légères de la mer sans marées. Loren fut ému mais pas surpris par le nombre de ceux qui étaient venus présenter leurs derniers hommages. Tout Tarna était là, mais beaucoup étaient arrivés aussi de tout le reste de l’île du Sud et même de l’île du Nord. Quelques-uns, peut-être, étaient attirés par une curiosité morbide — car toute la planète avait été bouleversée par l’accident unique et spectaculaire —, mais Loren n’avait jamais vu une aussi sincère manifestation collective de chagrin. Il ne s’était pas douté que les Lassans étaient capables d’une aussi profonde émotion et, dans son cœur, il savoura une fois de plus une phrase que Mirissa avait découverte en recherchant une consolation dans les archives : «Petit ami du monde entier.» L’origine était perdue et personne ne savait quel érudit, à quel siècle, l’avait sauvée pour les âges à venir.

Après les avoir embrassés tous deux, avec une compassion silencieuse, il avait laissé Mirissa et Brant avec la famille Leonidas, rassemblée avec de nombreux parents des deux îles. Il ne voulait pas rencontrer des inconnus car il savait ce que beaucoup d’entre eux pensaient : «Il vous a sauvé, mais vous n’avez pas pu le sauver.» C’était un poids qu’il porterait toute sa vie.

Il se mordit la lèvre pour arrêter des larmes qui ne convenaient pas à un officier supérieur du plus grand vaisseau stellaire jamais construit et sentit un des mécanismes de défense de son esprit voler à son secours. Dans les moments de profonde douleur, parfois le seul moyen de se maîtriser est d’évoquer une image absolument incongrue et même comique.

Oui … l’univers avait un curieux sens de l’humour, Loren fut presque forcé de réprimer un sourire. Comme Kumar aurait apprécié le dernier tour qui lui avait été joué !

— Ne vous étonnez pas, avait averti le commandant Newton en ouvrant la porte de la morgue du bord, laissant une bouffée d’air glacé à l’odeur de formol les frapper. Cela arrive plus souvent qu’on pense. Parfois, c’est un spasme final, une tentative inconsciente de défier la mort. Cette fois, cela a probablement été causé par la disparition de la pression externe et la congélation qui a suivi.

Sans les cristaux de glace définissant les muscles de ce jeune corps magnifique, Loren aurait pu croire que Kumar dormait, perdu dans des rêves de plaisir.

Car, dans la mort, le petit Lion était encore plus viril qu’il l’avait été dans la vie.

Le soleil avait disparu derrière les petites collines à l’ouest et le vent frais du soir se levait sur la mer. Presque sans une ride, le kayak glissa dans l’eau, tiré par Brant et trois autres des meilleurs amis de Kumar. Pour la dernière fois, Loren contempla le visage paisible du garçon à qui il devait la vie.

On avait peu pleuré, jusqu’à présent, mais alors que les quatre nageurs entraînaient lentement l’embarcation vers le large, un grand cri de lamentation monta de la foule. Cette fois, Loren ne put ravaler ses larmes, peu lui importait qui les voyait.

Avançant régulièrement sous la puissante poussée de son escorte, le petit kayak mettait le cap sur le récif. La nuit rapide de Thalassa tombait déjà quand l’embarcation passa entre les deux phares marquant l’entrée du chenal vers le large. Elle disparut derrière eux et fut momentanément cachée par la ligne blanche des brisants déferlant nonchalamment contre le récif extérieur.

La lamentation se tut ; tout le monde attendit. Et puis, brusquement, un éclat lumineux se répandit dans le ciel assombri et une colonne de feu monta de la mer. Elle flamba violemment, clairement, presque sans fumée ; combien de temps elle dura, Loren n’aurait su le dire car à Tarna le temps s’était arrêté.

Tout à coup, les flammes descendirent ; la couronne de feu retomba dans la mer. Tout fut plongé dans l’obscurité, mais pour quelques instants seulement.