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Et lorsque, montés à notre chambre nuptiale, tard, très tard, nous fûmes enfin livrés l’un à l’autre, elle se jeta à mes pieds, m’étreignit les jambes et eut d’amères et incompréhensibles sanglots.

Je la relevai tendrement et la déposai sur notre lit : ce parterre de dentelles et de broderies, où passait la fragrance de quelques secrètes lavandes.

Elle m’attira et se blottit entre mes bras, me montrant qu’elle avait peur ; qu’il fallait que je la protège ; que je pouvais tout pour elle ; que…

Mais, grisé et fouetté par son comportement de petit animal craintif, je commençai à la dévêtir.

Sa peau était aussi douce que ses pleurs.

Je frôlai de mes lèvres son cou qui dégageait une légère senteur poivrée. M’attardai à goûter ses joues, veloutées d’un duvet de frissons. Parvins à sa bouche qu’elle me refusa d’abord en détournant la tête, mais que je conquis et qui me rendit ardemment mes baisers. Embrassai ses paupières closes ; les cheveux qui gardèrent mon souffle.

Je l’avais toute à moi. Elle acceptait enfin l’échange de nos désirs.

Soudain, elle eut un cri de détresse si terrible que, d’un bond, je m’écartai d’elle.

Effrayé, je la regardai.

Elle restait allongée, mais ses yeux me fixaient, comme, atteints de folie, et exprimaient le vertige d’une lutte telle, qu’un violent frisson me traversa… Ses doigts agrippèrent le drap en une prise féroce… De sa gorge sortit une plainte, un râle qui se gonfla jusqu’à l’étouffer… Convulsée par un spasme furieux, elle chercha à se redresser, me regardant cette fois avec une haine qui la défigura… Elle fit le geste de me saisir à la gorge, mais ses bras retombèrent, la vie brusquement coupée en elle…

Alors… alors, je mordis mes poings jusqu’au sang afin de ne pas hurler de ce que je vis en un instant… Elle se raidit… Sa peau se flétrit… verdit… se creva çà et là, laissant l’os apparaître dans une puanteur croissante, si fétide qu’elle m’écroula de nausées… Je vis ses traits se fondre en une infecte boule putride, son crâne surgir, puis ses vertèbres, ses côtes… Et Dieu me fut bon, qui m’avait arrêté de la dénuder complètement, sinon j’aurai vu se crever son ventre pourri que sa robe virginale, de satin et de soie, garda au secret de l’horreur. ». Mais l’étoffe vieillit à son tour, comme de plusieurs siècles, et il n’y eut plus sur ma couche souillée que ces macabres restes d’os blanchis, enveloppés d’une sorte de sac flétri semblable à ceux du « Trou aux Huguenots »… Cendres et poussières immédiatement reprises par le Passé soudain cupide de son bien.

La malédiction, enfin accomplie, venait de m’engloutir à tout jamais dans l’Enfer des vivants.

BESTIAIRE ET CRUAUTÉS RUSTIQUES

Lou Siblaire[1]

Ce garnement de Jan lou barjacaire[2] ne faisait pas mentir son surnom. C’était bien le plus bavard d’entre Carcés et Salernes, où, avant tout, le soleil câline les vignobles qui alanguissent la Provence varoise et devrait obliger les gens à se taire. Mais ce Jean-là tenait d’un cep d’ancêtre tout en langue et ne savait rien faire d’autre que de bouger les lèvres.

Or, qui remue de par là, consomme pas mal de mots et, parlant pour parler, disant pour dire, ne peut qu’enquereller son entourage. Ainsi donc, malgré ses tout juste seize ans, ce barjacaire jetait du venin comme une vieille fille, vierge et rancie. Sa langue était si mauvaise qu’elle eût fait se battre entre elles les pierres du chemin et, même, eût dressé l’une contre l’autre, haineuse, les hautes falaises du Caramy pourtant solidairement blessées de bauxites et abruties sous les torrides cascades solaires.

Aussi se gardait-on d’alimenter sa chaudière à médisances et ne disait-on devant lui que des choses banales, ou rien. Seuls les étrangers, rencontrés sur les routes et séduits par sa faconde, s’en distrayaient et se laissaient aller à lui raconter les travers des gens de chez eux. Propos que le bavard décousait et recousait sur certains du pays, loin de mériter de telles guenilles.

Mais, grâce au ciel, sa notoriété de menteur s’était à la longue infiltrée alentour comme l’huile en trop qui file par-dessus le pressoir et va oindre la plus inaccessible fissure. Personne ne l’aurait cru même si, montrant la lune, il avait prétendu que c’était la lune.

* * *

Un midi de franc printemps, alors qu’il braillait à tue-patience tout en allant sur la route de Cotignac, le barjacaire aperçut une paire de pieds qui dépassait sous un buisson. Il s’approcha encore plus bruyamment et réveilla le citoyen qui dormait là, à l’ombre, enroulé dans cette vaste houppelande de laine crue, encore en suint, que portent en toutes saisons les bergers gavots.

Il s’assit à côté de lui et, sans gêne, se lança à demander d’où il venait, où il allait, ce qu’il faisait et patati, patata.

L’homme s’était redressé du buste et, le dos béquillé par ses bras, coudes en terre, fixait le bavard sans plaisir. Son visage maigre, de grand marcheur solitaire vieilli d’avance par le grand air, n’incitait guère à la conversation, mais cela n’entrava nullement la curiosité du galopin qui en arriva tout de suite aux ragots.

L’inconnu, qui n’avait d’oreilles que pour le crissement de ses semelles sur les routes et de regards que pour la nature, pensa éloigner le gêneur en se remettant dans son sommeil.

C’était ne pas connaître les bavards. Celui-ci redoubla de mots, si bien que l’autre, rouvrit les yeux et, pour s’en débarrasser, avança, avec son dur parler de Provençal d’en-haut, que tout bon curieux se devait d’être meilleur siffleur encore : «… de la sorte, pensa-t-il, qui est occupé à siffler n’a pas le temps de médire ».

Lui, n’était pas bavard mais n’avait pas son pareil pour imiter tous les gazouillements, gloussements, cris et sifflements de la volière céleste, au point qu’on le surnommait lou siblaire. Il se leva et se mit à tirelirer et à « turluter » vers les quatre horizons, comme alouette à la fête.

L’imitation avait une telle vérité de ton que le barjacaire sentit glisser un nœud de stupeur autour de son larynx et qu’il s’en trouva étreint de silence. Mais, lorsqu’il vit arriver, fascinées par les « tirelirements », des douzaines d’alouettes, pourtant méfiantes aux imitateurs et qui se posèrent sur les bras tendus de l’homme, il convint que l’art du sifflement lui manquait et il s’envia ce don.

À son tour, il voulut les intéresser à sa personne, mais ses appels restèrent vains.

Alors, comme pour mieux le mettre en appétit, le siblaire contrefit le chant du coucou : « Tou-Pu… Tou-Pu » – là, il faut préciser que l’ouïe des Provençaux n’entend pas « cou-cou » comme les « Franciots » du Nord, mais « Tou-Pu ». Et voilà que ces farouches solitaires qui ne s’éloignent jamais de leur gîte, vinrent faire cercle, perchés sur les buissons autour de lui, « touputant » à grandes becquées.

Cette fois, le bavard ne chercha pas à copier, mais supplia le siblaire de lui apprendre son secret. L’homme lui ayant demandé de quel oiseau il aimerait pénétrer l’intimité, il choisit les hirondelles sans aucune hésitation et avec une sorte de cupidité.

Après lui avoir enseigné la façon de lancer à la volée leur « cri-cri-Jésus-cri », le siblaire fit rapidement virevolter son index comme s’il était soudain ailé, le portant de ses propres lèvres à celles du barjacaire, tout en marmonnant des mots étranges.

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1

Le siffleur.

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2

Bavard et mauvaise langue.