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La menace marchait à tout coup : la mère ne tenait pas à les reprendre et, reconnaissante, se souvenait de l’empressement du Glaude à les « lui dormir » lorsque, à cause d’elles, elle avait failli perdre sa place de cuisinière au château, Mme la Duchesse se sentant mal à l’aise rien qu’à voir du noir sous les ongles des gens ! Glaude les avait fait changer de domicile en un raide sommeil de trente-six heures d’une seule coulée.

La mère Glaude soupirait donc de résignation devant le temps à rester seule car son homme allait encore ronfler des jours. Qui sait ? des semaines comme lorsqu’il avait « dormi » jusqu’à complète guérison la fièvre maligne de la plus jeune des demoiselles de M. le Duc. Mais, après cette fois-là, le Glaude s’était juré de ne plus jamais inviter ce genre de mal à venir se goberger en lui, parce qu’il y avait laissé dix kilos de bonne graisse.

Si les misères qui tourmentaient les autres continuaient toujours à se greffer sur lui qui les épanouissait et les digérait avec son organisme conçu pour, il ne faisait plus de doute qu’avec le vieillissement, elles lui restaient de plus en plus. Ainsi des verrues de la mère et de ce rhumatisme dans l’épaule, pris à Gravier, l’entrepreneur, et toujours là à lui mordiller l’os, si bien que ce malreconnaissant le moquait en demandant parfois, avec ironie, des nouvelles de « sa » crispure. Et le Glaude de faire pâlir le taquin en faisant semblant de la lui redonner, incontinent.

Aussi était-il bien décidé à laisser à chacun ce qui appartenait à chacun, afin de prendre une convalescence méritée.

Hélas ! le destin lui fut contraire et sournois.

Voilà qu’un soir, un gars de Chicrolles, le village voisin, vint trouver mon Glaude au café où, bien réveillé, il se donnait à une alerte partie de domino. L’arrivant réussit à le tirer dehors et lui raconta son mal avec tant de désordre dans les mots que Glaude dut l’obliger à recommencer plusieurs fois ses explications. Enfin, il crut comprendre que son serviteur avait un certain dérangement dans l’esprit.

« Dormir » les tours de reins ou les aigreurs d’estomac, oui ; la folie, jamais – pas plus qu’il n’aurait accepté de « dormir » une agonie définitive : dites voir un peu, comment s’en débarrasser ensuite ?

Et puis, l’inconnu, un maigriot agité, tout en yeux fiévreux, avait une sale tête, mal aimable et gênante à regarder. Ces drôles d’airs craintifs qu’il prenait ajoutaient au malaise de sa personne et forcèrent le Glaude à renifler comme après une fouine sortant d’un poulailler.

Mais, enfin rendu confiant par le calme que l’autre réussit à remettre dans ses propos, il comprit que ce dernier avait simplement peur qu’on cherche à expliquer certaines de ses absences loin de chez lui. Et Glaude jugea qu’il n’était pas fou mais seulement affolé. Sans doute avait-il les nerfs embrouillés par une femme à reproches et des enfants à soucis.

Se sachant un solide équilibre de ce côté-là, et voyant l’autre retourné jusqu’au fond des yeux, Glaude, compatissant, fit entente avec lui. Toute cette instabilité, banale et courante, allait être soigneusement « dormie » pendant quelques jours : après, elle ne serait plus qu’un mauvais souvenir.

Et, si l’inconnu partit sans lui livrer une seule syllabe de son nom, par contre il se montra généreux puisqu’il mit une grappe de louis plein le creux de la main du dormeur. Tellement, que ce dernier dut lui en rendre afin de garder juste les trois nécessaires, l’en-plus ne servant à rien pour cette guérison qui, d’ailleurs, n’en valait pas tant.

Et mon Glaude dormit pour prendre le tourment de cet étranger.

Mais, cette fois-là, il fut « manœuvré » dans son sommeil comme jamais encore. D’habitude, qu’il fît « ronflette » sur un rhumatisme et il sentait que ses articulations lui tiraient ; sur une fièvre à quarante et il grelottait de chaud ; sur une pneumonie et l’incendie lui couvait dans les bronches. Là, il ne ressentit aucune douleur mais pire : des envies à faire rougir Satan lui-même. Il rêva toute la mauvaiseté de l’autre…

… Il guettait les fillettes sortant de l’école et se sentait envahi de démangeaisons dans le bas-ventre comme de l’envie d’une femelle… Il suivait la plus mignonne en se cachant d’elle avec toutes les ruses du désir et lui courait dessus au moment où elle longeait un bois épais, l’y entraînant de force en la tirant par son corsage qui se déchirait, lui montrant un dos qui le faisait presque chavirer de plaisir, comme ça, rien qu’avec son tout blanc de peau, dénudée jusqu’aux reins… Il cherchait à l’embrasser… la fillette se débattait, criait et se roulait dans les fougères, où sa jupe, se relevant, montrait ses cuisses jusqu’en haut… Au lieu d’avoir peur d’être surpris et de fuir, il sentait son envie prendre exigence et il arrachait la culotte de la petite, se jetant ensuite sur ce corps agile, mais qui ne pouvait rien contre sa force désireuse… Il l’écrasait de son poids… Elle le griffait sans parvenir à lui faire mal, et, même, cela ajoutait à son plaisir… Puis, elle hurlait de plus belle… si fort, cette fois, que, pour l’obliger au silence, il la saisissait à la gorge et lui tordait le cou comme à un vulgaire poulet… Ce qui n’apaisait pas son violent besoin…

Il rêvait ça, sans répit, allait jusqu’au bout du viol et recommençait avec une autre et d’autres encore, soubresautant dans son lit, si désireux, si geignant, qu’à force, la mère Glaude, inquiète des grossièretés qu’il criait, prit sur elle d’entrer dans la chambre et de le réveiller en pleine crise.

Si la femme ne s’était pas reculée à temps, il l’aurait attrapée et ramenée avec lui dans le lit.

Revenu à la réalité, le Glaude comprit qu’il avait accepté un marché d’enfer et fut assez sage pour décider de le briser, malgré le plaisir animal qu’il venait de goûter.

Une fois déjà entraîné dans une maladie de haine qu’il croyait d’une autre sorte, ce fut tout juste si, somnambulant, il n’avait pas chargé son fusil pour aller lui-même tirer sur M. le Maire, qui en réalité était visé par son malade. Sans le froid qui le saisit en chemise de nuit dans la cour et qui le réveilla, il devenait criminel !

Heureusement, il put rompre la convention en rapportant sans tarder les trois louis du marché. Le haineux en question ne se trouvait pas chez lui, mais le Glaude les laissa bien en vue, couchés sur un papier blanc, au milieu de la table de cuisine. En rentrant, l’autre, étonné comme si le plafond venait de les pondre, les pinça du bout des doigts : ce fut suffisant pour qu’il reprît aussitôt sa méchanceté.

Là, avec ce drôle de bonhomme à vices, il fallait agir pareillement et sans perdre de temps.

* * *

Les jambes encore béquillées par le sommeil, les sens un rien barbouillés, le Glaude se rendit à Chicrolles afin de retrouver ce malsain et de dépactiser.

Il le chercha sans rien oser demander à personne, lorgnant dans toutes les boutiques avec un toupet qui l’étonna lui-même, car il ne se risquait jamais à déranger le monde et à regarder sous le nez des gens. Toutes les rues et ruelles le virent passer deux, trois fois ; les champs aussi : l’homme n’était pas facile à rencontrer.

Et, chaque fois qu’il longeait l’école communale – y revenant même tout exprès –, Glaude ralentissait le pas, s’arrêtait et écoutait. Il aurait aimé entendre les écolières chanter, lui qui, pourtant, était toujours agacé par celles de Coulondelles.